Ces 13 et 14 décembre 2024 a lieu le colloque « L’après-vie de Monique Wittig » sur le campus Condorcet (Paris 8) et au Centre Pompidou. S’il y réunit des chercheur·euses issu·es de différents champs (écoféminisme, études décoloniales, psychanalyse) il n’est toutefois pas sans poser quelques questions soulevées par ce texte ‒ situé et en situation ‒ de Sam Bourcier : quelles sont opérations de lissage et de respectabilité de la pensée de Wittig à l’œuvre ? Peut-on innocemment se livrer, chercheur·euses queer et féministes, à de telles captures ? En quoi les mécanismes de valorisation et d’exclusion à l’œuvre reflètent-ils ceux de l’université néolibérale à la fois comme productrices de petits soldat·es carriéristes et mais aussi de chercheur·euses queer de plus en plus précaires et éjecté·es de l’université ? En définitive, la pensée straight n’essaie-t-elle pas d’étouffer celleux qui la mettent à mal et qui rendent vivant l’héritage politique et théorique de Wittig ?
Photo de couverture : © Babette Mangolte.
« L’esprit queer » made in hétéroland revendiqué par Émilie Notéris, co-organisatrice avec Fabienne Brugère, la présidente de l’université de Paris Cité, du colloque sur Wittig les 13 et 14 décembre à Paris 8 et Beaubourg n’est qu’une nième ruse de la pensée straight. Celle-là même qu’a si justement défoncée Wittig en tant que régime politique ET épistémologique dans son essai politique du même nom. Intitulé « L’après-vie de Monique Wittig » ‒ on ne saurait faire plus charognard ‒ voilà que des cis-hets s’emparent de Wittig pour frimer leur pensée académique en écrasant les militant•x•s- queer (mais pas que) et les artisan•e•x•s de la réintroduction de Wittig-La-Politique en France dans les années 2000 sans qui ils n’auraient jamais calculé Wittig. Cela mérite qu’on s’y arrête parce qu’il s’agit d’un courant de fond dont je me demande d’ailleurs si le succès d’After Sappho de Selby Wynn Schwartz qui vient juste d’être traduit chez Gallimard pour Noël ne fait pas partie.
Dans les années 90-2000, la pensée straight venait profiter de l’aperture définitionnelle et linguistique du terme Queer et de la relative béance du Queer Bag pour s’y faufiler incognito en tant qu’hétéro. De nos jours, ce sont les hétéros-queers, en position de gatekeepers straights universitaires, qui font leur marché en fourrant les queers dans leur cabas queer avec la complicité de ceux qui les courtisent. En particulier celleux qui ont craché sur « le queer » ces dernières années. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les oxymorons hétéros-queer ont pris du galon et nous font la leçon. Quant à savoir pourquoi les LGBTQ+ leur en donnent autant et contribuent volontairement à cette inversion dépouvoirante et méprisante de leurs propres luttes et cultures, gageons qu’il faut bien faire allégeance à cette mafia universitaire et que dans l’université néolibérale archi-précarisante, leurs besoins et leurs carrières individualisées leur ont fait pousser les dents pour s’entretuer et nous trahir. Celleux-là ne rentrent pas à l’université pour la changer alors qu’elle est devenue irrespirable et injuste.
Comme dans bien d’autres institutions et lieux de pouvoir, de l’état aux entreprises en passant par les municipalités, le marqueur queer est devenu la hype, le marqueur progressiste dont raffolent les straights pour faire leur beurre. Moi qui pensais que les godes-tentacules et les molécules, c’était pour qu’on s’encule et que la pieuvre en avait plein la bouche de l’anus, voilà-ti pas qu’avec beaucoup d’autres, nous sentons sur notre cuir cette pieuvre straight qui tentacule de préférence les lesbiennes, les trans, et les queers, leurs pensées, leurs cultures, leurs histoires, leur politiques, leurs archives, leurs histoires, leur jus théorique, leur créativité et leur mémoire.
Comment s’agitent ses bras visqueux pour nous étouffer avec ce colloque ? En voilà deux, trois. A vous de compléter !
Tentacule 1 Déposséder, Effacer, silencier prédater, extraire en imposant un narratif loufoque mais rétributeur sur « le retour de Wittig » en France.
C’est l’objet du post pédant de décembre d’Emilie Notéris [1], l’une des deux co-organisatrices straight qui nous dégouline sa réflexivité savante en posant sur facebook. Elle se regarde écrire son papier pour le positionnement « historique » de son colloque qu’elle veut faire passer à la postérité. Elle y décrète sans rire un zeitgeist, pourquoi pas un génie tant qu’on y est, un esprit programmatique queer à deux balles en remachouillant plus de 20 ans après une pauvre définition "du queer" étymologique à la Segdwick, la théoricienne préférée des straights parce qu’elle n’était pas queer. Surtout avec Sedgwick, le cabas queer, c’est open bar : tout rentre. Celle qui n’a ni l’archive écrite ou orale, affective ou politique du "retour" de Monique Wittig à Paris à Beaubourg à la fin des années 90 nous fade d’une vignette inaugurale inculte : elle n’y était pas mais elle peut nous raconter que Wittig a applaudi le défilé définitionnel queer à deux mains. On rêve. Inculte, faux et invisibilisant. Le problème est que cet évènement à Beaubourg a été organisé de manière à exclure les queers de l’époque, dont je faisais partie, par des gays coutumiers de ce genre d’effacement. On fait mieux comme généalogie. Elle engage dans cette galère les intervenant•e•x•s qui ont passé le casting dans cette opération de réécriture de l’histoire, d’effacement des luttes et des débats queers : Estelle Coppolani, Catherine Malabou, Joao Gabriel, Pierre Joël Niedergang, Sara Garbagnoli, Laurie Laufer, Hourya Benthouhami, Margot Notari, Luce DeLire, Helen Fishman, Star Finch, Sara Salima Boutebal, Pauline Verlaine (Pauline Clochec). Qu’en pensent-iels ?
On en rigolait ce matin avec l’un•e d’entre iels : déjà qu’on s’était payé la mini biographie de Notéris qui insiste lourdement sur le manuscrit non publié de Wittig qui raconte LA relation hétéro de Wittig et où c’est tout juste si c’est pas le mec en question qui donne à W l’idée du mouvement politique qu’elle doit créer… Pour ne pas parler de l’utilisation constante par Notéris des photographies ultra straight prises par les agences qui shootent les Médicis et les Goncourt qui féminisent Wittig à outrance…
Tentacule 2 La pensée straight qui se croit queer, un classique en France et à Paris.
Ce colloque s’inscrit dans une continuité bien française que l’on subit depuis l’introduction de la théorie queer états-unienne issue de la pensée post-structurale française des Lacan, Derrida, Foucault, Deleuze mélangée à de la pensée de la différence essentialiste qui n’a rien à faire là : du Cixous, du Kristeva, le dit French Feminism fait pour étouffer les féminismes politiques. Je me souviens encore des lacaniens de chez EPEL qui traduisent le corpus queer en nous expliquant que Lacan était queer avant la lettre. C’est les deleuziens straight qui serrent dans leurs bras les allergiques à la politique des identités sexuelles et de genre. C’est les foucaldiens qui n’ont pas compris que pour rentrer au Collège de France, on va pas raconter qu’on est pédé et qu’on prendra l’avion pour aller fist-fucker et sniffer en Californie.
Tentacule 3-4 je te sublime avec ma discipline, bête que tu es.
On nous a donc seriné qu’on était des suiveurs du queer made in France pendant des lustres pour prendre notre place. See ce qui s’est passé et se passe encore à Paris 8 justement où des générations d’étudiant•e•s•x queers ont perdu leur temps avec des cours prodigués par un régiment de profs si peu féministes et si souvent straight qui imposait la fiction cixouenne du queer et de la psychanalyse. Sans parler de la violence épistémique adjacente. La variante avec ce colloque, c’est de nous montrer le chemin : sublimer Wittig en quelques sorte en l’attachant au poteau avec des cordes à la mode qui n’ont rien à voir avec sa pensée : l’écoféminisme par exemple. Pourquoi pas, me direz-vous ? Perso, je n’ai rien contre l’acrobatie spéculative ET politique si c’est bien fait. Mais le bénéfice sournois ici, c’est de sublimer Wittig, comme on sublime une recette de charlotte au chocolat dans Top Chef en faisant une charlotte d’agneau par exemple dans un geste burlesque culinaire audacieux. Je prends la forme, le nom Wittig, le signifiant, et je le fourre avec autre chose, lui révélant à elle-même sa dimension philosophique (et la voilà la discipline en embuscade) dont la pauvre ignorait l’ampleur et la portée actuelle… C’est le même geste surplombant que celui de l’hétéro-inspirateur/aspirateur, mentor moderniste de la pensée de Wittig dans le fameux manuscrit non publié.
La structure linguistique de ces deux journées « Wittig ET » qu’il faudrait renommer « Sans Wittig »… est édifiante : Wittig et la race, Wittig et l’écoféminisme, Wittig et la marque du genre, Wittig et la norme, Wittig et la philosophie politique, sans oublier la tentacule gluante de bienveillance perverse : Wittig et… TADA ! La psychanalyse ! Défoncée comme régime épistémologique et politique par Wittig, comme lacanerie, comme entreprise de domination discursive et linguistique via le décryptage de ton inconscient par les maîtres du divan, la tentacule psychanalyse occupe une place de reine dans l’argument du colloque et c’est pas pour rien. Elle est l’alliée par excellence du retour de la pensée straight sur les queers : « la psychanalyse accueille à présent celle qui l’a violemment rejetée pour apprendre de ses critiques et » bla bla bla. Quelle mansuétude ! Quelle hospitalité excessive de merde qui vous capture à votre insu pour reprendre ses basses besognes : « elles t’enfonceront dans la fosse pleine de merde en prétendant que c’est un bain d’eau de rose, elles t’y noieront, étoufferont, feront suffoquer » (Paris-La-Politique).
Tant au niveau des thématiques que de la formulation, le cadrage est tel qu’on se demande s’il faut entendre que Wittig y change quelque chose à ces disciplines et à ces sujets, ou bien si on n’a pas affaire à une série de mini procès, de duels qu’elle pourrait bien perdre. Tout cela nous rappelle « les Judas » et les harpies du féminisme de la différence de Paris-La-Politique, qui bastonnent le ‘Petit Wittig’ : « A ce moment, l’une d’elles, une amie de longue date, me retire mon chapeau, se le met sur la tête, fait avec, quelques jongleries et passes, en riant et en disant : le petit Wittig, et à moi elle cligne de l’œil, il va entrer dans le sac ».
Il reste 4 tentacules que je vous laisse le soin, en plein carnaval, de dénoncer. En attendant, nous, on rentrera pas dans votre totebag. Mais on est là bien planté•e•x•s dans l’arène ennemie avec nos sublimes cuisses de guerillère•x•s et on vous y attend.
Basta la pensée straight !
Sam Bourcier.
[1] Ajout de Trou Noir dudit post Facebook :
« En préparant mon introduction au colloque "L’Après-vie de Monique Wittig" qui aura lieu à Paris 8 le 13 décembre prochain et à Pompidou le 14 je suis allée consulter les actes du colloque “Rencontres gaies et lesbiennes” qui avaient été organisées à Pompidou en 1997 par Didier Eribon et qui marquaient le retour exceptionnel de Wittig en France dans le cadre d’une intervention publique. Figure également dans ce livre un texte de mon autre théoricienne queer préférée Eve Kosofsky Sedgwick. Il se conclue ainsi :
“Le mot queer lui-même signifie « à travers », il vient de la racine indo-européenne twerkw, qui a donné également l’allemand Quer (transversal), le latin torquere (tordre), l’anglais athwart (en travers)... Ce sont précisément des énoncés « à travers » que de nombreux écrits s’efforcent de produire aujourd’hui : à travers les sexes, à travers les genres, à travers les « perversions ». Le concept de queer, dans ce sens, est transitif de multiples façons. Le courant immémorial que le Queer représente est anti- séparatiste autant qu’il est anti-assimilationniste. Profondément, il est relationnel. Et, assurément, il est étrange.”
Elle inclue dans l’équation : “lesbiennes féminines et agressives, tapettes mystiques, masturbateurs, folles, divas, snap !, virils soumis, mythomanes, trans, wannabe, tantes, camionneuses, hommes qui se définissent comme lesbiens, lesbiennes qui couchent avec des hommes... et aussi toustes ceulles qui sont capables de les aimer, d’apprendre d’eulles et de s’identifier à eulles.”
Elle a été ovationnée y compris par Monique Wittig.
C’est dans cet esprit-là que seront réuni·es ces deux jours Estelle Coppolani et Margot Notari, Luce DeLire, Hourya Bentouhami, João Gabriel, Helen Fishman, Star Finch, Sara Garbagnoli Pierre Joël Niedergang Laurie Laufer, Salima Boutebal, Pauline Verlaine (Pauline Clochec) et Catherine Malabou. Can’t wait 🔥
co-organisation : Fabienne Brugère »
A quoi servent les archives ? La réponse est dans ce qu’elles produisent : des savoirs, des politiques, de l’activisme, des cultures, des subjectivités, des identités et des expériences.
28 mai 2021
« Oserons-nous formuler cette revendication radicale, que la sexualité des enfants soit reconnue et protégée aussi bien de son exploitation que de son inhibition par les adultes ? »
28 octobre 2021
« Le mâle hétérosexuel est un assassin collectif, il prend à sa charge l’ensemble du délire paranoïaque d’une société pour la diriger négativement – et destructivement – contre les homos. »
28 février 2020
Projectile pour la création d’archives vivantes débarassées de ses experts, de sa police, de sa nécrophilie.
Intervention de Sam Bourcier au colloque GeSex#1
28 février 2020
Sur l’archive vive, l’activisme, l’université, les gilets jaunes.
28 Novembre 2020
Récit et analyse d’un clash lors du "cluster révolutionnaire" de Paul B. Preciado.
28 FÉVRIER 2021
Chronique sur le mystère d’un organe disparu.
Extraits d’une entretien inédit avec Klaus Theweleit à paraître aux éditions Météores.
Réponse à « Wittig avec Cixous »
28 juin 2022
Quel est ce renouvellement éthique qui s’opère à partir de la réinvention de l’amour ?