Aujourd’hui 28 juin 2020, nous célébrons l’anniversaire des émeutes de Stonewall. Son cinquante-et-unième anniversaire pour être précis. Il est de ces évènements, dont la date et le symbole sont connus dans le monde entier. Il est un de ces évènements dont la puissance originale persiste dans le temps. C’est d’ailleurs en hommage que TROU NOIR publie chacun de ses numéros le 28 du mois.
Cette date deviendra un moment clé dans l’activisme LGBT américain au point d’en faire la date annuelle de ses manifestations : les Lesbian & Gay Pride. Comme tous les évènements, son histoire a beaucoup été racontée, de bien des manières et avec nombre de variations. Des mythes ont vu le jour, des gestes ou des personnes ont été héroïsés et une histoire officielle s’est imposée à la postérité. Et pour cause, la ville de New York, à l’unanimité, désigna le Stonewall Inn comme monument de la ville (premier monument honoré pour son rôle dans la lutte pour les droits des homosexuels). Le président Obama annoncera l’année suivante la classification de la zone des émeutes en monument national du patrimoine américain (la zone en question comprend le parc Christopher et le bloc de la rue Christopher bordant le parc, qui se trouve juste en face de la Stonewall Inn).
Cette reconnaissance inscrite dans le marbre, dans l’Histoire, prend également la forme d’un rouage dans la titanesque machine de l’économie et du tourisme homosexuel. Il suffit de penser à la place des émeutes de Stonewall dans le 4e arrondissement de Paris (le Marais) pour percevoir l’ambiguïté d’un évènement entré dans l’Histoire. Comme le veut la grande tradition des vainqueurs, la manœuvre consiste à prendre le contrôle symbolique des mouvements en les célébrant dans un premier temps pour ce qu’ils ne sont pas, afin de mieux les enterrer le moment venu. D’une émeute violente contre la police, contre la brutalité policière, les tabassages, les humiliations homophobes et transphobes systématiques, on est passé à une lutte pour les droits civiques.
Malgré le travail de sape de l’Histoire sur les émeutes de Stonewall, celles-ci restent une matrice fondamentale dans l’imaginaire des luttes LGBTQI+ et nous mettons en lumière deux points qui nous semblent importants pour continuer à construire cet évènement passé d’où nous puisons force et inspiration.
Notre temps détient une affinité avec de tels évènements. Les émeutes font partie du paysage politique. Elles sont régulières et diffuses et constituent les différents moments des séquences insurrectionnelles qui émaillent notre monde. En France, elles sont une constante depuis 2016. Citons pêle-mêle le mouvement contre la loi travail, dont la fameuse journée aux abords de l’hôpital Necker, les actes des gilets jaunes dont le mémorable 16 mars 2019, le moment des tentatives d’expulsions de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes en mars 2018, les émeutes de février 2017 à la suite du viol de Théo par la police ou ces derniers jours les émeutes partout dans le monde contre les crimes racistes de la police.
Et parce qu’elle incarne la remise en question du monopole de la violence légitime de la police, elle est inassimilable par l’État, elle en est même une opération de destitution en acte.
Le premier élément à souligner est le suivant : nous ne sommes pas quittes de la violence qui s’exerce sur nous. Or, quel que soit l’angle par lequel les émeutes de Stonewall sont réappropriées, le caractère violent et guerrier de l’évènement ne s’efface jamais complètement. Et cela, parce que toute personne trans, toute femme, tout queer, tout gay ou toute lesbienne a déjà fait l’expérience de cette violence légitime (qu’il s’agisse de la police effective ou de celle existant en chacun). Et ce, indépendamment de son propre rapport à la violence.
Les mythes de Stonewall sont comparables à des verres grossissants : un élément devient central au détriment de tout ce qui l’environne qui reste flou. Le fameux mème : « qui a lancé la première pierre ? » en est un exemple flamboyant. Or, et c’est le deuxième élément que nous voulons soulever, c’est un quartier qui se révolte, pas une communauté. Ce sont les clients du Stonewall Inn aussi bien que les gens peuplant les environs qui cristallisèrent ces affrontements. Et il n’existe pas de séparation substantielle entre les deux. Prostituées et gigolos avec leurs michetons, fêtards, musiciens, travestis, étudiants… La liste est longue et n’a pas tant d’importance. C’est dans Greenwitch Village que se situent les établissements ouvertement homosexuels depuis les années 20, que la beat-génération trouva refuge dans les années 50 ou que l’underground musical s’établit dans les années 60. C’est un monde de nuit, de fête, de sexualité, de marginalité, d’illégalité et de violence. Une cour des Miracles moderne. C’est la circulation entre tous les éléments que nous venons de citer, formant un monde opaque et dense, qui est invisibilisé dans le récit de Stonewall.
Les émeutes de Stonewall n’étaient pas des émeutes homosexuelles ou transgenres comme on l’entend souvent par raccourci. Car alors il se serait agi d’une lutte revendicative, construite.
Les émeutes étaient le fruit d’un petit monde nocturne de Greenwitch Village qui comportait beaucoup d’homosexuels et de transsexuels. Nous tenons à cette distinction, car elle met en lumière l’aspect éminemment politique de l’évènement qui tente d’être éteint.
Les émeutes n’étaient pas un moment de lutte sociale c’est-à-dire de catégories ou d’identités particulières, mais une bataille dans la guerre des mondes.
L’aménagement urbain, la police, l’État, la gentrification, la cybernétique, le progrès, les institutions, le néo-libéralisme ne sont que les noms des différentes facettes d’un Ordre qui règne par la marchandise, cette sinistre mise en équivalence de tous les corps et de toutes les choses en tant que marchandise avant de se voir attribuer un prix ou une valeur.
La guerre se livre contre la totalité étouffante du monde de la marchandise.
Et toutes les personnes considérées comme inintégrables, comme négligeables, les sans valeur, les vies nues, tous les fragments de marginalité, d’originalité se verront écrasés, c’est-à-dire privés de leur monde. En attaquant leurs foyers, leurs liens, leurs rues, leurs apparences et même leurs amours, on détruit les gens de l’intérieur (la descente au Stonewall Inn était une attaque contre un bar, contre des pratiques illégales autour de l’alcool, contre les homosexuels, les travestis, les personnes trans, une attaque contre la marginalité, contre la fête et contre un quartier où la police n’est pas maîtresse des lieux).
Et ce qui mine le plus les forces de l’Ordre qui nous font face, c’est tout ce qui pourrait arriver, et qui mettrait à mal le maillage des normes et des dispositifs. Nous sommes partout présents, sous la forme d’un risque permanent.
Voilà pourquoi nous sommes les contemporains de Stonewall et non pas des héritiers.
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