Ce premier article paru sur History.com nous raconte avec précision et détails les émeutes de Stonewall. Il est une bonne synthèse du discours officiel et militant des événements. Sa triple approche par le récit, la chronologie et le diaporama permet une immersion ouvrant à l’imaginaire que déploie encore Stonewall aujourd’hui.
Paru le 31 mai 2017
sur le site www.history.com
Les émeutes de Stonewall, également appelées soulèvement de Stonewall, ont commencé aux premières heures du 28 juin 1969, lorsque la police de New York effectue une descente au Stonewall Inn, un club gay situé dans Greenwich Village à New York. Le raid déclencha une émeute formée par des clients du bar et des gens du quartier alors que la police sortait violemment les employés et les habitués de l’intérieur, conduisant à six jours de protestations et de violents affrontements avec les forces de l’ordre à l’extérieur du bar sur Christopher Street, dans les rues voisine et à proximité de Christopher Park. Les émeutes de Stonewall ont servi de catalyseur au mouvement des droits des homosexuels aux États-Unis et dans le monde.
Raid constants dans les bars gays
Les années 1960 et les décennies précédentes n’étaient pas des périodes bienveillantes pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) américains. Par exemple, la démonstration d’un rapport homosexuel était parfaitement illégale à New York.
C’est pour de telles raisons que les personnes LGBT affluaient vers les bars et clubs gays, lieux de refuge où ils purent s’exprimer ouvertement et socialiser sans souci. Cependant, la New York State Liquor Authority se mit à pénaliser et à ordonner des fermetures d’établissements qui servaient de l’alcool à des personnes LGBT connues ou soupçonnées, arguant que le simple rassemblement d’homosexuels était un trouble à l’ordre public.
Grâce aux efforts des militants, ces réglementations furent annulées en 1966 et les clients LGBT purent désormais se voir servir de l’alcool. Mais faire preuve d’un « comportement gay » en public (se tenir la main, s’embrasser ou danser avec une personne du même sexe) était toujours illégal, de sorte que le harcèlement policier des bars gays se poursuivait et de nombreux bars fonctionnaient toujours sans licence d’alcool — en partie parce qu’ils appartenaient à la Mafia.
Stonewall Inn
Le syndicat du crime a tiré profit de la restauration d’une clientèle gay réprouvée, et au milieu des années 1960, la famille criminelle Genovese contrôlait la plupart des bars gays de Greenwich Village. En 1966, ils ont acheté le Stonewall Inn (un bar hétéro et un restaurant), l’ont rénové à bon marché et l’ont rouvert l’année suivante en tant que bar gay.
Le Stonewall Inn était enregistré comme un type privé de « bar à bouteilles », qui ne nécessitait pas de permis d’alcool parce que les clients étaient censés apporter leur propre alcool. Les participants au club devaient signer leur nom dans un registre à l’entrée pour maintenir la fausse exclusivité du club. La famille Genovese a soudoyé le sixième commissariat de police de New York pour qu’ils ignorent les activités qui se déroulaient au sein du club.
Sans ingérence de la police, la famille du crime pouvait réduire les coûts comme elle l’entendait : le club n’avait pas de sortie de secours, pas d’eau courante derrière le bar pour laver les verres, pas de toilettes propres qui ne débordaient pas régulièrement et pas de boissons appétissantes qui n’étaient pas diluées au-delà de toute reconnaissance. De plus, la mafia aurait fait du chantage aux clients les plus riches du club qui voulaient garder leur sexualité secrète.
Néanmoins, le Stonewall Inn est rapidement devenu une importante institution de Greenwich Village. C’était grand et relativement bon marché pour y entrer. Il a accueilli les drag queens, qui ont reçu un accueil amer dans d’autres bars et clubs gays. C’était une maison de nuit pour de nombreux fugueurs et jeunes homosexuels sans abri, qui mendiaient ou volaient à l’étalage pour payer les frais d’entrée. Et c’était l’un des rares — sinon le seul — bars gays qui permettait de danser.
Les descentes étaient encore une réalité, mais les flics corrompus avertissaient généralement les bars gérés par la mafia avant qu’ils ne se produisent, permettant aux propriétaires de cacher l’alcool (vendu sans permis d’alcool) et de cacher leurs autres activités illégales. En fait, le NYPD avait pris d’assaut le Stonewall Inn quelques jours seulement avant la descente qui déclencha les émeutes.
Les émeutes de Stonewall commencent
Lorsque la police fit une descente dans le Stonewall Inn le matin du 28 juin, cela a été une surprise — le bar n’avait pas été prévenu cette fois-ci. Armés d’un mandat, les policiers sont entrèrent dans le club, brutalisèrent des clients et, trouvant de l’alcool illégal, arrêtèrent 13 personnes, y compris des employés et des personnes violant la loi de l’État sur le travestissement (les policières emmenaient des clients soupçonnés de travestissement dans les toilettes pour vérifier leur sexe). Marre du harcèlement policier constant et de la discrimination sociale, les clients en colère et les gens du quartier restèrent devant le bar plutôt que de se disperser, s’agitant de plus en plus à mesure que les événements se déroulaient et que les gens étaient malmenés violemment. À un moment donné, un officier a frappé une lesbienne sur la tête alors qu’il la forçait dans le panier à salade — elle a crié aux spectateurs d’agir, incitant la foule à commencer à jeter des sous, des bouteilles, des pavés et d’autres objets sur la police. En quelques minutes, une véritable émeute impliquant des centaines de personnes a commencé. La police, quelques prisonniers et un journaliste du Village Voice se sont barricadés dans le bar, que la foule a tenté d’incendier après avoir forcé la barricade à plusieurs reprises. Les pompiers et une escouade antiémeute ont finalement réussi à éteindre les flammes, à secourir ceux qui se trouvaient à l’intérieur du Stonewall et à disperser la foule. Mais les manifestations, impliquant parfois des milliers de personnes, se sont poursuivies dans le quartier pendant cinq jours de plus, laissant éclater leur colère après que le Village Voice ait publié son compte rendu des émeutes.
L’héritage de Stonewall
Bien que le soulèvement de Stonewall ne soit pas à l’origine du mouvement des droits des homosexuels, il a été une force de galvanisation pour l’activisme politique LGBT, conduisant à de nombreuses organisations de défense des droits des homosexuels, y compris le Gay Liberation Front, Human Rights Campaign, GLAAD (anciennement Gay and Lesbian Alliance Against Defamation) et PFLAG (anciennement Parents, familles et amis des lesbiennes et des gais).
En 2016, le président Barack Obama a désigné le site des émeutes — Stonewall Inn, Christopher Park, et les rues et trottoirs environnants — monument national en reconnaissance de la contribution de ces événements aux droits des homosexuels.
PARTIE 2 LA CHRONOLOGIE
24 juin 1969 : la police arrête des employés du Stonewall et confisque de l’alcool
Le mardi précédant le début des émeutes, la police mena une descente en soirée sur le Stonewall Inn, arrêtant certains de ses employés et confisquant sa réserve illégale d’alcool. Comme pour de nombreux raids similaires, la police ciblait les débits de boisson qui n’avaient pas de licence d’alcool approprié.
Après ce raid, le NYPD avait prévu un deuxième raid pour le vendredi suivant, qui, espérait-il, fermerait définitivement le bar.
27-28 juin 1969 : Devant le Stonewall, la colère de la foule éclate contre la police après l’arrestation et la brutale de clients
Après minuit, un vendredi soir inhabituellement chaud, le Stonewall était plein à craquer lorsque des policiers en civil sont entrés dans le bar. En plus des employés du bar, ils ont également pris pour cible des drag queens et d’autres clients travestis avant de les arrêter. À New York, se faire passer pour une personne de sexe opposé était un crime.
D’autres officiers du NYPD arrivèrent à pied, rejoints par trois voitures de patrouille. Pendant ce temps, les clients du bar, qui avaient été libérés, ont rejoint la foule de badauds qui se formait à l’extérieur du Stonewall. Un fourgon de police, communément appelé "wagon à paddy" est arrivé et la police a commencé à charger des employés du Stonewall et des travestis à l’intérieur.
Tôt le matin du 28 juin 1969 : des femmes transgenres résistent à l’arrestation. Des bouteilles sont jetées sur la police
Il n’y a pas d’exactitude sur ce qui a déclenché les émeutes, mais selon les témoignages, la foule laissa éclater sa colère après que la police ait brutalisé une femme d’allure masculine (certains pensent que la femme était la militante lesbienne Stormé DeLarverie) qui s’était plainte que ses menottes étaient trop serrées. Les gens ont commencé à narguer les officiers en criant "Pigs !" et "Cooper" et en leur jetant des cents suivis de bouteilles ; certains dans la foule crevèrent les pneus des véhicules de police.
Selon David Carter, historien et auteur de Stonewall : les émeutes qui ont déclenché la révolution gay, la « hiérarchie de la résistance » dans les émeutes a commencé avec les enfants de la rue, ces jeunes homosexuels qui considéraient le Stonewall comme le seul endroit où ils étaient un peu chez eux.
Deux femmes transgenres de couleur, Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera, auraient respectivement résisté à l’arrestation et jeté la première bouteille (ou brique ou pierre) sur les flics. Bien que Johnson ait déclaré plus tard dans une interview en 1987 avec l’historien Éric Marcus qu’elle n’était pas encore arrivée lorsqu’éclata le soulèvement.
La connaissance de qui a fait quoi n’est pas précise - en partie parce qu’il s’agit d’un temps d’avant l’ère des smartphones et que la documentation des événements de la nuit était minimale.
Près de 4 heures du matin le 28 juin 1969 : la police se replie et se barricade à l’intérieur du Stonewall
Alors que le panier à salade et les voitures d’escouade partaient pour déposer les prisonniers dans le sixième arrondissement voisin, la foule croissante força le groupe de la police de New York à fuir à l’intérieur du Stonewall et à se barricader à l’intérieur.
Certains émeutiers utilisèrent un parcmètre comme bélier pour enfoncer la porte ; d’autres jetèrent des bouteilles de bière, des ordures et d’autres objets, ou fabriquèrent des cocktails molotov improvisés avec des bouteilles, des allumettes et des briquets.
Les sirènes ont annoncé l’arrivée de nouveaux policiers, ainsi que des escadrons de la Tactical Patrol Force (TPF), la police antiémeute de la ville. Alors que les officiers casqués marchaient en formation dans Christopher Street, les manifestants ont déjoué leur stratégie en s’enfuyant, puis en contournant les petits blocs du quartier pour remonter derrière les officiers, les prenant à revers.
Finalement, peu après 4 heures du matin, les choses se sont calmées. Étonnamment, personne n’est décédé ou n’a été grièvement blessé la première nuit des émeutes, bien que quelques policiers aient signalé des blessures.
28-29 juin : Le Stonewall rouvre, les soutiens se rassemblent. La police attaque et disperse la foule à coup de gaz
Bien qu’il ait été endommagé par les flics, le Stonewall Inn a rouvert le lendemain (même s’il ne servait pas d’alcool). De plus en plus de soutiens se sont présentés, scandant des slogans comme « le pouvoir gay » et « nous vaincrons ».
Encore une fois, la police a été appelée pour rétablir l’ordre, y compris un groupe encore plus important d’officiers des TPF, qui ont tabassé des personnes et gazé la foule. La situation s’est poursuivi jusqu’aux petites heures du matin, lorsque la foule s’est dispersée.
29 juin-1er juillet 1969 : Le Stonewall devient le point de rassemblement des militants LGBT
Au cours des nuits suivantes, des militants homosexuels ont continué de se rassembler près du Stonewall, profitant de ce moment pour informer et construire une solidarité qui permettrait bientôt l’épanouissement du mouvement pour le droit des homosexuels. Bien que les policiers soient également revenus, l’ambiance était moins conflictuelle, des escarmouches isolées remplaçant les émeutes à grande échelle du week-end.
2 juillet 1969 : des militants gays protestent contre la couverture d’un journal
En réponse à la couverture des émeutes par le journal Village Voice, qui faisait référence aux « forces de la tantouzerie », des manifestants envahirent les bureaux de la rédaction. Certains appelaient à brûler le bâtiment. Lorsque la police repoussa les assaillants, les émeutes recommencèrent, mais sans durer, se terminant vers minuit.
Le New York Daily News a également eu recours à des insultes homophobes dans sa couverture détaillée, titrant : « Homo Nest Raided, Queen Bees Are Stinging Mad. » (Raid de la police dans un nid homo, les reines des abeilles sont follement piquantes). Pendant ce temps, le New York Times écrivit avec parcimonie sur l’ensemble de l’événement, imprimant un court article à la page 22 du 30 juin intitulé « Police Again Rout« Village »Youths » (la police encore en déroule dans le quartier des jeunes).
L’impact durable des émeutes de Stonewall
Avec Stonewall, l’esprit de la rébellion des années 60 s’est propagé aux personnes LGBT à New York et au-delà, qui pour la première fois ont ressenti une force d’appartenance à ce qui allait devenir la communauté. Bien que le mouvement pour les droits des homosexuels n’ait pas commencé à Stonewall, le soulèvement a marqué un tournant. Les organisations « homophiles » antérieures comme la Mattachine Society ont cédé la place à des groupes plus radicaux comme le Gay Liberation Front (GLF) et la Gay Activists Alliance ( GAA).
28 juin 1970 : le premier défilé de la Gay Pride part de Stonewall
À l’occasion du premier anniversaire de la descente de police au Stonewall Inn, des militants gays de New York organisèrent la marche de libération de Christopher Street pour clôturer la première semaine de la fierté gay de la ville. Alors que plusieurs centaines de personnes commencèrent à monter sur la 6e Avenue en direction de Central Park, des soutiens de la marche se sont joints à eux. Le cortège s’est finalement étendu sur une quinzaine de pâtés de maisons, englobant des milliers de personnes.
Inspirés par l’exemple de New York, des militants dans d’autres villes, dont Los Angeles, San Francisco, Boston et Chicago, organisèrent à leur tour des célébrations de la fierté gay la même année. La frénésie de l’activisme né cette première nuit à Stonewall finit par alimenter les mouvements des droits des homosexuels au Canada, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande, entre autres pays, devenant une force durable qui perdurerait pendant le prochain demi-siècle ... et au-delà.
Traduit de l’américain par Tati-Gabrielle
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