Viscosité blanche : les relations entre trans et spiritualité new age (I)
Dans Side Affects. On Being Trans and Feeling Bad [affects indésirables. être trans et avoir le seum], le philosophe Hil Malatino réfléchit aux affects négatifs qui accompagnent les existences trans* : plutôt que les récits du bonheur obligatoire et des transitions réussies (avec la pression à la bonne humeur et au succès social qu’elles impliquent), que se passerait-il si l’on faisait place aussi à nos dépressions, à nos dissociations, à la jalousie et à la rage qui nous animent ? Conscient d’écrire depuis une position privilégié (celle d’un mec trans inter blanc et salarié d’une université états-unienne), Malatino cherche à penser du dedans des galères que la majorité des personnes trans* traversons pour trouver là aussi (et pas seulement dans nos euphories de genre) des ressources pour affronter la brutalité anti-trans et le capitalisme patriarcal qui la rend possible. Autrement dit : c’est bien joli d’avoir la joie quand les hormones font pousser les bonnes choses aux bons endroits ou quand on nous genre correctement à la boulangerie, mais qu’est-ce qu’on fait le reste du temps et est-ce que ça pourrait aussi nous donner de la puissance ?
Au bout de son enquête rabat-joie, Malatino finit – au dernier chapitre du livre –par se pencher sur certaines pratiques de guérison trans : celles qui (pour le meilleur) impliquent les usages psychédéliques et (pour le pire) une bonne dose de blanchité. Son examen est à double détente. D’un côté, il s’intéresse à l’histoire raciale des premiers protocoles de transition (notamment ceux développés par Harry Benjamin) en les situant en relation au « mouvement pour le potentiel humain » – autrement connu sous le nom de mouvement « New Age ». Malatino montre notamment comme l’individualisme new age du « développement personnel » a pour partie informée les nouveaux récits de la transition de genre (blanche), décrite comme une exploration (plus ou moins spirituelle) de l’étendue des capacités humaines, au mépris des enjeux sociaux, économiques, écologiques et raciaux qui traversent les transitions de genre.
De l’autre côté, (c’est l’objet du texte qui suit), Malatino s’intéresse à la « viscosité blanche » des pratiques psychédéliques dans les communautés trans* alternatives : des protocoles de prises de LSD proposés par la collective Vanguard à San Francisco dans les années 1960 aux néo-hippies de Gender Quest dans les années 1990 et 2000, Malatino s’interroge sur l’accès aux espaces où il s’agit de « s’abandonner », de « lâcher prise » et de « tout oublier », et sur les conditions sous lesquelles les corps blancs pourraient apprendre à se décoller les uns des autres, et se joindre à la construction d’alternatives plus vastes.
Trou Noir remercie Emma B. pour cette traduction et cette proposition collective de l’histoire trans* de la blanchité.
[Au milieu des années 1960], se constitue Vanguard : un groupe queer et trans radical à San Francisco qui lutte « contre la violence policière, l’exploitation et la discrimination et rassemble la jeunesse à la rue du Tenderloin, en particulier celleux qui s’identifient comme putes ou comme fées poilues, celleux qui échangent du sexe pour de l’argent et/ou qui adoptent des rôles de genre non-conventionnels ». Dès ses débuts, Vanguard commence à publier le Vanguard Magazine : The Magazine of the Tenderloin, tout en menant de front des pratiques d’entraide et d’actions directes [1]. La première grande action de Vanguard, en juillet 1966, est menée en réaction aux « mauvais traitements qu’infligent les gérants de la Compton’s Cafeteria [un repaire important du Tenderloin] aux femmes trans et aux queens à la rue [2] » : Vanguard organise un piquet de grève devant le restaurant ; quand cela se révèle inefficace, « la frustration se mue en résistance militante [3] », et c’est alors qu’éclate une des grandes émeutes queers et trans, de trois ans l’aînée des émeutes (généralement mieux connues) de Stonewall. Comme l’a montré l’historienne trans Susan Stryker, l’activisme multi-niveau qu’a développé Vanguard à la fin des années 1960 est visionnaire à bien des égards : protestant contre les politiques urbaines et les pratiques policières qui ciblent, fliquent et punissent les travailleureuses du sexe, les usagères de drogue, les femmes trans, les personnes pauvres et sans domicile, Vanguard dénonce les logiques de la gentrification qui excluent toustes celleux qui ont fait de la rue leur maison et leur communauté.
Et au milieu de tout cela, Vanguard prend aussi du LSD.
Dans son septième numéro, Vanguard publie un dope sheet [mémo pour la prise de substance], un guide méditatif et pratique sur les bons usages lors d’une première prise de LSD. Dans ce texte, Vanguard reprend à son compte les propos des premières recherches universitaires dédiées aux usages du LSD, insistant sur l’importance tant du set [l’intention] que du setting [le contexte] afin d’éviter les bad trips [mauvaises expériences] et sur la nécessité d’être accompagné·e dans l’expérience par une figure de gourou familière avec les subtilité des effets psychédéliques. Les auteurices du « mémo » y réfléchissent en ces termes :
L’acide est une drogue propre à éveiller la conscience et c’est ainsi qu’il devrait être utilisé. Une erreur habituelle est de dédier le trip à l’introspection ; c’est une mauvaise idée et c’est le meilleur moyen de faire un bad trip, du moins au début des prises d’acide.
La connaissance de soi est plus importante qu’on ne le croit, c’est vrai, mais l’introspection est la dernière étape du processus qui consiste à se connaître soi-même. Sois avec une belle personne, dans un bel endroit, fais de belles choses, sois belle·au, voilà tout ce qu’il faut pour un bon trip. Ne pense pas à qui tu es – sois [4] !
Cette focalisation sur la présence, sur l’expérience d’être « dans l’instant », détaché·e de l’introspection, pleinement dédié·e à habiter son sensorium, est un lieu commun de la littérature psychédélique. Et en effet, une part importante de l’attrait du LSD (et d’autres psychotropes apparentés) tient dans sa capacité unique à diminuer la conscience de soi et à immerger le moi dans le sensoriel, voire l’hallucinatoire.
Nous voilà bien loin des affects de distance et de dissociation auxquels je me suis dédié dans ce livre. C’est précisément la raison pour laquelle je m’intéresse à ces expérimentations trans menées avec les psychédéliques et plus généralement avec les pratiques de présence : parce que leur intention est, à l’opposé de ces affects négatifs qui caractérise les existences trans, de soutenir la possibilité de n’être que « ici et maintenant [5] ».
Michel Foucault, dans le très long témoignage qu’il a livré de son trip sous acide en 1975 dans la Vallée de la Mort [dans le désert des Mojaves, en Californie], atteste de cette évaporation de la capacité pour la réflexivité critique sous LSD. Lorsqu’un ami lui demande, à la fin de son expérience, s’il a eu des révélations philosophiques, il répond : « Pas vraiment. Toutes ces heures, je ne les ai pas passées à réfléchir à des concepts. Ce n’était pas une expérience philosophique pour moi mais quelque chose de tout à fait autre [6]. » De même, l’auteur Michael Pollan, dans son livre à succès sur les résurgences contemporaines de la recherche psychédélique, How to Change Your Mind [comment changer son esprit], parle de l’usage psychédélique comme d’une expérience essentiellement mystique parce qu’elle est à la fois ineffable et liée à « la conviction qu’une vérité profondément objective nous a été révélée. La plupart des personnes ont le sentiment qu’on leur a laissé entrevoir quelque secret de l’univers et on ne peut leur retirer cette conviction [7]. » Pollan pointe le fait que cette expérience mystique est caractérisée par la dissolution du subjectif et de l’objectif, une dissolution qui complique pour bonne partie la vérifiabilité de l’expérience psychédélique – elle est phénoménologique plutôt qu’empiriquement vérifiable, à ceci près que le « je » phénoménologique est oblitéré dans l’expérience. Il écrit que « lorsque notre sens du “moi” subjectif se désintègre, comme c’est souvent le cas dans une expérience psychédélique à haute dose, il devient impossible de distinguer entre ce qui est subjectivement et ce qui est objectivement vrai. Comment douter, si le moi n’est plus là pour le faire [8] ? » Ainsi le but des psychédéliques est de faire exploser les portes de la conscience afin de dépasser les mécanismes de défense, les critiques, les paranoïas et les peurs du moi à l’égard d’états d’épiphanie. Le mouvement pour le potentiel humain, et le mouvement New Age plus généralement, ont eu tendance à considérer cela comme une étape importante dans le processus d’épanouissement personnel, à la fois au plan individuel et collectif de l’évolution, une pratique cruciale dans la tentative d’atteindre un plus haut plan de conscience.
Prendre congé du « moi » peut avoir beaucoup d’attrait, en particulier pour celleux d’entre nous dont les « moi » sont quotidiennement dévalorisés, diffamés et maltraités – et je veux être clair ici : je chéris tous les moments où de tels congés m’ont été donnés. Mais je pense qu’il nous faut aussi voir ces congés comme des formes de voyages psychiques dont l’accès est fortement disproportionnel, favorisant les personnes blanches en raison des circuits culturels au travers desquels ils sont proposés. Les milieux au sein desquels l’usage des psychédéliques a été popularisé comme un instrument d’épanouissement personnel et d’éveil métaphysique, de la contre-culture des années 1960 à la culture contemporaine des retraites de bien-être et des festivals dédiés à la transformation de soi, sont massivement blancs. Le mélange confus de pratiques spirituelles provenant ou associées avec ces espaces – yoga, travail du souffle, tarot, astrologie – tendent également à être à dominante blanche. De nombreuses personnes trans se sont tourné·es vers ces pratiques comme autant d’instruments de soin et de guérison, mais elles l’ont souvent fait en se retranchant et en intensifiant les opérations de ce que l’anthropologue Arun Saldanha appelle la « viscosité blanche », qui se réfère à la manière dont un agrégat de pratiques culturelles travaillent de concert à « faire que les corps blancs collent ensemble, à l’exclusion des autres [9]. » Le concept de viscosité blanche est le résultat d’une enquête menée par Saldanha sur la culture de la transe psychédélique telle qu’elle s’est établie à Goa, en Inde, à partir du milieu des années 1990, mais Saldanha l’étend à la blanchité des cultures psychédéliques en général, écrivant que « les psychédéliques – voyages, musiques, drogues –, c’est la blanchité qui accélère au moins autant que la blanchité qui bégaye : tantôt retranchement dans l’exploitation économique et culturelle, tantôt tentative de se défaire de ses privilèges, au moins pour un instant, ici et maintenant [10]. » Ce qu’il veut dire par là, c’est que la culture psychédélique est envisagée comme un espacetemps qui excède la race, un site de désobéissance aux règles et aux normes de la blanchité bourgeoise. Beaucoup de personnes blanches ont tendance à imaginer que le seul fait de s’impliquer dans cette culture psychédélique est soit le signe qu’elles sont aveugles à la couleur, soit – pire encore – qu’elles commettent un acte de trahison vis-à-vis de leur propre blanchité. Exotisation du chamanisme, quête du gourou non-occidental comme figure de dévotion et chef spirituel, appropriation culturelle en tous sens de symboles et de pratiques rituelles non-occidentales, romantisation de spiritualités et de modes de vie prémodernes : tous ces éléments travaillent de concert pour convaincre les personnes blanches qui s’impliquent dans ces espaces qu’elles sont simultanément conscientes du racisme et capables de s’en excepter. Amanda Lucia, dans son introduction à White Utopias : The Religious Exoticism of Transformational Festivals [utopies blanches : l’exotisme religieux des festivals transformationnels], offre une illustration précise de ces logiques appropriationistes et exotisantes tout en soulignant les liens qui vont de la contre-culture des années 1960 à nos jours :
Dans les librairies New Age de ma jeunesse, on pouvait trouver des traductions du Livre des morts tibétain aux côtés de Be Here Now de Ram Dass et de traductions du Livre des changements, le tout rangé à côté de cartes de tarot dédiées à la Terre mère, de statues de divinités égyptiennes, de bâtons de fumigation autochtones et de manuels de rituels païens. L’opérateur de ces amalgames était une sorte de réveil des explorations religieuses des transcendantalistes des années 1840, qui avaient été revisitées au début du XXe siècle, auxquelles la contre-culture des années 1960 avait donné une nouvelle vie et sur lesquelles les librairies New Age des années 1990 faisaient leur miel. Aujourd’hui, presque le même ensemble de textes et d’attirail exotisants d’objets religieux continue d’informer la spiritualité des festivals transformationnels. [11]
Un amalgame confus, en effet, qui m’est bien familier. Il semble que les rayons des librairies de ma jeunesse (la même que celle de Lucia) aient aujourd’hui pris la forme des flux qui nous arrivent des réseaux sociaux. Ainsi, j’observe de fortes résonances entre les bricolages New Age que décrit Lucia et ceux de mon compte Instagram, qui est rempli à ras bord de discours queers et trans sur le bien-être, la guérison et les marchandises affiliées dédiées à réduire le stress des effets combinés des oppressions structurelles, de la vie sous une pandémie qui n’est toujours pas finie (j’écris ce texte en février 2021, à un moment où la pandémie fait toujours rage malgré la fin des quarantaines et de la distanciation sociale), d’un effondrement du tissu des filets de sécurité sociale, de la dette qui n’en finit pas, des traumas intimes et intergénérationnels… et je pourrais continuer. Mais prenons un instantané, qui nous dira déjà beaucoup : l’artiste trans Jonah Welch, muni·e d’un chapelet, annonce le commencement de son rituel quotidien, la boutique de produits féministes Otherwild propose des teintures faites-par-des-fèms-Noires afin d’honorer le Black History Month, Lizzo poste des tutoriels pour envoyer de l’amour à son gros ventre et le couvrir d’éloges, un·e ami·e m’invite à ses cours de yoga queers et trans (tarifs variables selon les revenus), l’artiste queer Sweeney Brown vend des oreillers munis de slogans de développement personnel sur lesquels on peut lire « Ton futur moi est fier de toi » et « Ton passé n’est pas ton futur », læ lecteurice de tarot non-binaire Edgar Fabián Frías fait la publicité de son cours dédié à une pratique dégenrée du tarot, et l’astrologue queer Chani Nicholas me presse d’être vigilant parce que Mercure en rétrograde augmente mon besoin d’établir des frontières avec l’extérieur et de dire non à ce qui n’est pas au service de la meilleure version de moi-même. Mon Instagram est rempli de ce genre de contenus tous les jours, et bien sûr, il est en grande partie hautement adapté à moi, potentiellement tout à fait idiosyncrasique (j’expose donc mon propre woo-woo ici, j’en ai bien conscience) mais j’ai l’intuition que d’autres que moi voient leurs médias sociaux inondés d’exemples similaires du nexus qui lie la culture queer et trans avec tout un fatras d’objets, de rituels et de pratiques New Age.
Je souligne cette résonance parce qu’elle soulève des questions sur les politiques raciales troublantes du mouvement New Age : pourraient-elles informer nos manières de faire des alliances et nous inviter à d’autres engagements envers les pratiques spirituelles queers et trans contemporaines ? Chaque fois qu’une personne trans blanche charge ses cristaux pendant la pleine lune, traverse un asana ou tire un tarot, fait appel aux étoiles pour résoudre ses problèmes de couple ou envisage de voyager dans le désert pour une retraite au peyotl, nous nous enfonçons un pas de plus dans la longue histoire de la romantisation, de l’appropriation fragmentaire et de la marchandisation exotisante qui a sans cesse eu pour conséquence de produire et de renforcer la viscosité blanche.
Pour réfléchir davantage encore à la manière dont ces pratiques s’entrelacent dans la production de la viscosité blanche, je voudrais à présent me tourner vers un bulletin d’information tout droit venu du tournant du XXIe siècle qui documente une communauté trans de wiccan·es, cérémonialistes et chamans auto-proclamé·es qui se sont vaguement constitué·es en collectif au travers de la fréquentation d’une série de retraites et de festivals transformationnels de petite échelle dans les environs d’Asheville, une ville moyenne de Caroline du Sud située au sud des montagnes des Appalaches. Asheville a depuis longtemps une réputation de ville progressiste, queer et trans-friendly, celle d’une enclave contre-culturelle dans le Sud. Cela fait un certain temps qu’Asheville sert de centre névralgique pour ce genre de festivités, qui sont également accueillies dans les communautés montagneuses voisines du Blue Ridge. C’est notamment le cas de Hot Springs, une petite ville-station-de-montagne à quelques pas du sentier des Appalaches, en vogue chez les randonneureuses comme chez les touristes qui viennent s’y baigner l’été. Mais c’est aussi le cas de Black Mountain, la ville où l’ école d’art expérimentale connue sous le nom de Black Mountain College a ouvert ses portes de 1933 à 1957. Fondée sur les principes d’éducation expérientielle holistique du philosophe John Dewey, le Black Mountain College a été un foyer pour de nombreux·ses artistes et penseureuses de l’avant-garde états-unienne, de l’architecte polymathe Buckminster Fuller au compositeur John Cage et au chorégraphe Merce Cunningham. Bien que l’école ait fermé au milieu du XXe siècle, la ville de Black Mountain est restée profondément associée aux valeurs contre-culturelles et elle continue d’abriter retraites de yoga, groupes de jazz et festivals de musique du monde. Un·e participanz à un rassemblement trans new age à Asheville en 1999 formule les choses ainsi : « Il y a quelque chose de magique ici, quelque chose qui n’a de cesse de m’attirer ici. De partout en Amérique du Nord, les gens font des pèlerinages jusqu’ici. Personne ne se l’explique. Personne ne peut donner de preuve de ce qui est en train de se passer. Seules les montagnes et la Déesse le savent [12]. » En d’autres termes, les vibes sont extrêmement, extrêmement bonnes dans ces montagnes anciennes. Et de fait, ces vibes ont si bien alimenté le développement immobilier et le tourisme depuis les années 1980 que la ville connaît aujourd’hui une crise massive du logement, résultat d’un des processus de gentrification les plus rapides de l’histoire récente des États-Unis.
Le bulletin d’information qui a émergé de cette agglomération approximative de personnes trans et en questionnement présentant un intérêt pour les rituels et les pratiques New Age qui se rassemblaient régulièrement dans ces montagnes de Caroline du Sud avait pour titre Gender Quest : The Quarterly Journal of Kindred Spirits [en quête de genre : revue trimestrielle des âmes sœurs] et, comme la communauté qu’il documente et au sein de laquelle in circule, ce journal a largement été le fait des efforts de l’activiste trans Holly Boswell, qui avait emménagé à Asheville à la fin des années 1970. Aux côtés de Jessica Britton – une autre activiste trans blanche –, Boswell cofonde en 1986 le Phoenix Transgender Support Group [groupe de soutien transgenre], un instrument important dans l’établissement de la réputation trans-inclusive d’Asheville, grâce auquel elles organisent des rassemblements pour les personnes trans et en questionnement dès 1993, notamment avec une autre femme trans blanche, Yvonne Cook-Riley, par ailleurs connue pour son rôle dans l’International Foundation for Gender Education [fondation internationale pour l’éducation de genre] et sa publication affiliée, Transgender Tapestry[le tissu transgenre], l’un des périodiques trans avec la plus longue histoire de diffusion, puisqu’il sera publié de manière continue de 1979 à 2008 [13]. Kindred Spirits [les âmes adelphes], tel est le nom qu’elles donnent à ces rassemblements, qui sont présentés comme « dédiés au bien-être spirituel, émotionnel, intellectuel et physique de toutes les personnes transgenres [14]. »
Il faut souligner, avant même d’analyser les publications et les objets culturels produits autour de ces rassemblements, que Boswell et Cook-Riley ont joué un rôle clef dans la popularisation de l’usage du terme transgenre à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Tout en refusant ce qu’elles voyaient comme le langage pathologisant de la transsexualité et son insistance concomitante sur la binarité de genre, elles faisaient de la transitude un point névralgique de leur activisme mais aussi de leur pratique spirituelle. L’historienne et théoricienne de la littérature Amanda Wray, qui supervise depuis Asheville l’archive LGBTQIA+ de la Caroline du Nord occidentale, résume la manière dont Boswell théorise le terme transgenre à partir de ses publications et de ses entretiens dans les médias, mais aussi des histoires orales que ses ami·es et ses complices lui ont transmises de manière posthume au travail que Boswell a mené toute sa vie :
En 1991, Holly publie un article intitulé « The Transgender Alternative » [l’alternative transgenre] dans Chrysalis et dans Tapestry. Ce texte est considéré comme un des premiers textes féministes qui déconstruit l’identité transgenre. Il faut garder à l’esprit qu’à l’époque, les universitaires continuent de présenter l’expérience transgenre comme un trouble dans l’expérience du genre en s’appuyant sur le langage du DSM [manuel des diagnostics et statistiques médicales]. L’essentiel de la recherche médicale est alors dédiée aux opérations de changement de sexe, qui sont conçues pour aider les individus à mieux se conformer aux genres binaires. L’article de Holly propose au contraire de « s’efforcer de définir transgenre comme une option viable entre personne travestie et personne transsexuelle, option qui se trouve par ailleurs avoir un fondement dans la tradition ancienne de l’androgynie. » Après avoir critiqué les manières dont sexe et genre sont confondus par la médecine moderne, le langage courant et les discours universitaires, Holly décrit l’androgynie comme un « réconfort » tout en définissant le transgendérisme comme « une identification au-delà des lignes de genre ». Stryker et d’autres historien·nes LGBTQ+ citent le court article de Holly comme un article pionnier, que Holly elle-même considère comme sa contribution à la capacité de chaque personne de « parler de soi-même d’une manière plus transcendante ». Dépassant les stigmatisations associées au transsexualisme ou travestisme à la même période, Holly parle d’un épanouissement « profondément enraciné et ancestral » qui défie et transcende les fausses associations obligatoires entre sexe biologique et expression de genre [15].
L’articulation que Boswell propose du concept de transgenre s’appuie sur des tropes de la transcendance et du transhistoricisme qui étaient largement répandus au sein des activismes trans états-uniens de l’époque : contre les images phobiques que les corporéités trans prennent dans le miroir déformant des appareils médico-techniques, il s’agit d’affirmer des formes de subjectivités qui s’appuient sur le fait que les personnes trans existent depuis toujours, même si ces lignées historiques sont parfois refoulées ou masquées – c’est en tous cas ce qu’affirme le livre de Leslie Feinberg paru en 1996, Transgender Warriors, en se proposant d’aller, comme son sous-titre l’indique, « de Jeanne d’Arc à Dennis Rodman [16] ». Être transgenre, dans ces récits, c’est s’inscrire dans une lignée ancienne et sacrée d’individu·es qui ont transcendé à la fois la binarité de genre et les liens naturalisés entre le sexe biologique et l’expression de genre. C’est à cette époque qu’on assiste à la formation d’un modèle extra-large de l’identité transgenre, une sorte de grand parapluie capable d’abriter tout à la fois Jeanne d’Arc et Dennis Rodman, modèle conçu directement dans le but de faire appel à des lignées pensées comme sacrées, transhistoriques et transculturelles de la transgression de genre.
Dans un des premiers numéros de Gender Quest, Boswell signe un article intitulé « The Spirit of Transgender » [l’esprit transgenre] qui articule clairement ces liens en situant la résurgence de la visibilité et de l’activisme trans au XXe siècle comme une mesure de rectification des cultures patriarcales et bellicistes qui auraient soi-disant remplacé « les cultures agricoles pacifistes organisées autour du culte de la Déesse partout en Europe et autour de la Méditerranée » au cours de l’Âge de Bronze (entre -3000 et -1200). Dans ce récit, la clandestinité forcée des cultes de la Déesse est une des causes « de la répression et de la persécution des personnes transgenres » au cours des derniers 5000 ans [17]. Elle écrit :
L’Esprit Transgenre transcende le dictum culturel simpliste selon lequel le sexe anatomique est synonyme de l’expression de genre. Le genre ne devrait jamais être polarisé. C’est un arc-en-ciel qui est bien trop splendide dans sa diversité. L’expression de genre ne peut qu’être intuitive, fluide et dans un état perpétuel de devenir. Il ne peut y avoir de règles pour gouverner la manière dont l’Esprit se manifeste. Les cas extrêmement répandus d’hermaphrodisme chez les plantes, les animaux et les humains donnent des preuves explicites de la manière dont l’Esprit exprime sa diversité au-delà des constructions culturelles et bipolaires du genre. Les personnes transgenres incarnent l’esprit de la Déesse dans sa diversité en l’intégrant dans un seul être. La guérison intérieure par laquelle nous trouvons notre intégrité peut aussi être appliquée au déséquilibre et à la détresse du monde qui nous entoure. Nous pouvons servir de pont entre les polarités, aider à rétablir l’équilibre, l’intégration et l’intégrité.
Les sages autochtones du continent américain considèrent que la multiplication contemporaine des personnes transgenres est une promesse de guérison du monde. Le genre est au cœur de ce que nous sommes en tant qu’être humains. Nos transitions de genre – le processus même par lequel nous changeons de genre – peut être interprété comme une sorte de Quête de Vision, une réponse donnée à la question millénaire : qui sommes-nous ? Transcender les stéréotypies de genre, c’est oser être soi-même pleinement, pleinement humain·es, comme l’Esprit le voulait. Nous sommes des divinités. Nous sommes l’Esprit manifesté en formes humaines. Qu’on nous laisse vivre cette vérité et aider le monde à voir la beauté et la force qui se trouvent au-delà des contraintes du genre. Notre gratitude va à l’opportunité unique que nous recevons de faire cela. [18]
Il y a beaucoup de choses à déballer ici. La première pourrait être l’histoire trop parfaite pour être vraie de la transformation historique mondiale qui sous-tend le récit de la répression transgenre. Dans ce récit, la possibilité d’une existence trans paisible est synonyme du retour d’une hégémonie matriarcale pacifiste. Autrement dit, la vie trans ne peut prospérer qu’avec la résurgence du culte de la Déesse, conçu comme un antidote aux cinq derniers millénaires d’hégémonie globale d’un patriarcat militarisé. À cela s’ajoute l’idée que la visibilité et l’activisme accrus des communautés trans serait une manifestation de l’émergence d’un moment de guérison du monde, une bascule de la conscience mondiale d’une importance telle que même les « sages autochtones du continent américain » (présenté·es ici comme une masse amorphe et non-spécifique qui dépeint l’autochtonie comme homogène et générique) en reconnaissent le caractère crucial. Ce récit positionne les personnes trans à l’avant-garde de l’évolution spirituelle : la transition devient une quête de vision. Les personnes trans deviennent des déités, des émissaires au service du Nouvel Âge, envoyé·es pour aider le monde à se réveiller au milieu de l’arc-en-ciel post-binaire du genre, « splendide dans sa diversité ». Seul ce Nouvel Âge de paix matriarcale pourra faire pleinement fleurir et resplendir la diversité de genre dans toutes ses formes. Et tant que le Nouvel Âge ne sera pas arrivé, toutes les personnes trans seront des figures de chamanes dont la mission est de mener le monde à sa pleine manifestation : le Nouvel Âge, ou Âge des Verseaux (en ce temps mais pas de ce temps), une ère qui appartient tout à la fois au futur et à une prémodernité primordiale. Dans cette mise en scène des métaphysiques de l’être trans, nulle place n’est faite à la complicité avec la violence coloniale et avec le capitalisme racial, aucune possibilité d’interpréter la subjectivité trans en dehors de trans-comme-révélateur-spirituel-démontrant-au-monde-que-l’essence-de-l’être-est-irréductible-au-genre. Il n’y a sans doute rien de surprenant à ce que certaines personnes trans aient pu trouver ce récit du Nouvel Âge trans attrayant : prophétie et élection y sont déployées comme des portes de sortie de la discrimination et de l’exclusion. Rien de surprenant non plus à ce que, dans les images des rassemblements Kindred Spirit reproduites dans Gender Quest, pas une seule personne racisée n’apparaisse.
J’ai longuement cité l’article de Boswell parce qu’il offre une représentation paradigmatique du discours trans New Age : les pratiques spirituelles autochtones y sont notamment saisies hors de tout contexte et intégrées aux spiritualités ésotériques occidentales de sorte à positionner les personnes trans comme chamans et guérrisseur·es, permettant une révision de « l’hétérosexualité tantrique » dont les contours avaient été définis par Kripal [19]. Dans la version trans de ce récit, l’union entre les antinomies cosmiques du masculin et du féminin poursuivie et réalisée par l’union sexuelle hétérosexuelle devient possible dans l’incarnation psychique et physique des sujets trans et de genre variant. De manière troublante, la figure de « l’hermaphrodite », un terme qu’on comprend généralement comme trompeur, anachronique et péjoratif quand il est utilisé pour désigner les sujets intersexes, est ici invoqués à plusieurs reprises comme une preuve de « l’Esprit exprimant sa diversité », et les sujets trans sont, par extension, pensés comme à peu près équivalents aux sujets intersexes. Cette confusion évite la spécificité et les différences importantes qui caractérisent les expériences trans et intersexes et contribue à l’exotisation et à la fétichisation des corporéités intersexes. Enfin, dans sa figuration constante des personnes trans comme déités investies d’une mission spéciale de guérison des clivages sociétaux et politiques, censées « servir de pont entre les polarités, aider à rétablir l’équilibre, l’intégration et l’intégrité », ce récit s’allie à la logique structurante de la viscosité blanche, qui s’appuie sur un discours de l’unité soutenu par l’aveuglement à la couleur et par des fantasmes de transcendance raciale, où l’expérience transformatrice dans la contre-culture blanche est « considérée comme un moyen de dépasser ses assignations d’espèce ou de race afin d’embrasser toute l’humanité voire toute la planète [20]. »
Tout au long des numéros de Gender Quest, les personnes qui participent aux rassemblements trans parlent des montagnes de Caroline du Nord occidentale comme d’une forme de refuge, un espace de sécurité et d’appartenance où iels peuvent laisser tomber leurs lignes de défense et se relaxer, un espace où iels peuvent simplement être, pleinement et authentiquement. Un·e contributeurice écrit qu’à un moment, iel s’est tourné·e vers Holly Boswell pour lui dire : « Merci pour cette deuxième maison en Caroline du Nord [21]. » Un·e autre, dans un article intitulé « Carte postale envoyée depuis la maison », détaille son voyage vers Hot Springs pour un rassemblement. L’auteurice s’y émerveille du « sentiment qu’on a de revenir à la maison quand on arrive à Hot Springs et près de Asheville » où « l’énergie est différente » et où les chants des montagnes « traversent le temps » : on s’y rappelle « la finitude de nos corps » et la longue durée « des pierres sans âges et des bois vivants [22] ». Il est important de se demander, face à de pareilles affirmations, à quel point ce sens d’appartenance et de sécurité ne serait pas prédiqué sur des formes raciales (ou autres) d’homogénéité : à quel point ces sentiments positifs sont-ils atteints – et contribuent à renforcer – la viscosité blanche ? Qui ne se sentirait pas chez soi dans ces montagnes, dans ces contrées qui sont à presque 90 % blanches, dans une région (les Appalaches méridionales) souvent représentées comme monolithiquement blanches et racistes ? À quel point la circulation d’affects positifs de guérison s’appuie-t-elle sur l’homogénéité raciale et l’hégémonie blanche en guise d’unité et de transcendance ?
J’ai mes doutes – et je pense que nous devrions toustes en avoir – quant aux pratiques de guérison transformatrice qui reproduisent la viscosité blanche et reposent sur l’élision d’axes cruciaux de différences entre sujets trans qui produisent des potentiels de vie très, très différents. Dans les premières phases d’écriture de Side Affects [le livre où ce chapitre prend place], d’autres personnes trans m’ont dit encore et encore à quel point ce livre résonnait avec leur expérience « d’être trans et d’avoir le seum » comme le dit le sous-titre du livre. Mais il y a aussi eu un bon nombre de personnes qui m’ont demandé pourquoi j’avais choisi de me concentrer sur les affects négatifs plutôt que, disons, sur les expériences d’« euphories de genre » que vivent certains sujets quand leurs pronoms sont respectés ou quand iels s’engagent dans une activité qui leur permet d’affirmer leur genre. Ma réponse est la suivante : si la question est d’améliorer les conditions structurelles qui produisent la précarité trans et exacerbent la transphobie, la transmisogynie et la transmisogynoir, cela importe peu que – moi, trans masc blanc privilégié économiquement et éducativement – j’éprouve de la satisfaction à être correctement genré, ou à m’habiller d’une manière qui confirme mon genre, ou à pouvoir me regarder dans le miroir sans avoir à me confronter à des sentiments dysphoriques. Même si mes propres affects positifs m’aident assurément à me lever le matin et peuvent jusqu’à un certain point servir de modèle de possibilités pour d’autres personnes trans (plus jeunes en âge ou dans leurs transitions), cela ne fait pas disparaître l’ensemble des affects négatifs discutés dans Side Affects, ni au niveau individuel, ni au niveau collectif, et cela ne propose pas de modèle ou d’incitation à la coalition. Je ne peux pas me contenter d’appeler les autres à se sentir bien de la manière dont je me sens bien ; je ne peux pas prétendre que le bonheur est contagieux, et je ne peux définitivement pas prétendre que cultiver le bonheur puisse constituer un but politique. Si et quand je ressens quelque chose comme de l’euphorie de genre, c’est une surprise qui dépend de facteurs qui sont souvent bien au-delà de ma propre agentivité et qui relèvent souvent de ces mêmes axes de privilèges qui structurent mon expérience quotidienne. Et puis, ça ne dure jamais bien longtemps. Souvent, ce que nous appelons euphorie de genre n’est rien d’autre qu’une expérience plaisante. Parler d’euphorie, c’est employer un langage démesuré pour parler du plaisir de la reconnaissance et de l’affirmation, notamment parce que ces affects ne sont jamais bien loin de quantités d’autres affects négatifs dont je ne crois pas qu’ils soient tout à fait supplantés par elle ; l’usage du terme euphorie dans de telles circonstances n’est donc pas vraiment fidèle au sens originel du terme, qui renvoie à la félicité et à l’oblitération simultanée (bien que temporaire) de tout sentiment négatif.
La littérature sur la production de la viscosité blanche dans les mouvements spirituels new age et dans les mouvements psychédéliques montre, encore et encore, que quand certaines personnes partent à la recherche de l’euphorie – qui revêt de nombreux noms à l’intérieur de ces mouvements : union extatique, épanouissement personnel, sentiments d’intégrité, d’unité, de communion, impression d’être capable d’oublier le soi et, pour citer Vanguard à nouveau, « d’être avec une belle personne, dans un bel endroit, occupé·e à faire de belles choses et à être belle·au » –, ce genre de recherche est souvent prédiquée sur la reproduction du même, l’élision et l’élimination tacite de la différence. Le conflit et les tensions sont évitées au nom de la guérison et de la transformation personnelles. Toutes choses qui impliquent la régulation excluante de la présence des « autres », et en particulier de celleux que Sara Ahmed a appelé de manière suggestive des « étrangères affectifves [23] » (affect aliens). (Dans le vocabulaire de Sara Ahmed, les étrangères affectifves sont celleux qui perturbent la capacité des autres à prendre plaisir à une scène ou à une situation : ielles « convertissent les bons sentiments en sentiments négatifs » par le seul fait de refuser ou ne pas pouvoir ressentir le bonheur que d’autres ressentent à l’égard de ladite scène ou situation.) Or, si l’enjeu d’un rassemblement, ou d’une série de rassemblements, ou d’un mouvement, est de produire et de soutenir l’euphorie et la dissolution du soi, rien de surprenant à ce que les étrangères affectifves n’y soient pas les bienvenu·es. Et même si je suis prêt à parier que la plupart des personnes trans savent intimement ce que cela veut dire que d’être l’étrangère affectifve des espaces cisnormatifs, cela ne veut pas dire que nous soyons immunisé·es contre la reproduction des mêmes dynamiques dans nos tentatives d’atteindre la sécurité, le sentiment d’appartenance et le bonheur. S’il y a une leçon à retenir des récits un-peu-trop-parfaits-pour-être-vrais qui apparaissent dans Gender Quest, ce pourrait être ceci : tout récit qui positionne les sujets trans comme des prophètes et guérrisseureuses parfaitement identiques s’investit aussi dans la tâche d’éviter les complexités concrètes des vies trans, des vies qui inévitablement incluent la complicité avec les régimes de la violence raciale et coloniale, des vies qui sont pleines de défauts, imparfaites, impures et éthiquement complexes. Un tel récit est soutenu par une course à la guérison qui, voulant brûler les étapes, produit une histoire trompeusement simpliste de ce qu’il nous serait nécessaire de faire pour que nous puissions collectivement prospérer et fleurir.
À la place de ce récit, comme ce livre le suggère, il pourrait être utile de nous atteler au négatif, d’observer ce qui résonne au travers de terrains subjectifs et communs complexes et suivre la trace des formes de solidarité qui émergent de cette résonance. Quand il est question de trauma intergénérationnel, comme c’est souvent le cas à la maison, maon partenaire (qui est particulièrement fan de littérature russe – plus c’est triste, plus ça lui plaît) aime à paraphraser les premières lignes d’Anna Karénine de Tolstoï : toutes les familles heureuses sont les mêmes, dit-on ; mais toutes les familles malheureuses ont leur manière bien à elles de l’être. Ce que maon partenaire veut dire par là, c’est que le bonheur n’est pas si intéressant que cela : il n’y a rien à y digérer, rien à y découvrir, rien qui y soit particulièrement mystérieux, énigmatique, déroutant ou complexe. Le bonheur est sympa, cet adjectif tiède qui, dans sa sympathitude, ne donne rien que le banal. Quand nous parlons de trauma intergénérationnel, maon partenaire me dit que c’est okay, que nous allons probablement digérer nos traumas tout le reste de notre vie ; c’est ce qu’on peut attendre, et c’est par et à partir de cette assimilation collective de nos traumas que nous deviendrons le mieux capable de nous approcher des transformations radicales dont nous avons besoin pour guérir. La seule manière d’y arriver, c’est de les traverser.
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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emma B.
Texte original : extrait de Hil Malatino, Side Affects. On Being Trans and Feeling Bad, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2022 pp. 183-198.
Source de l’image en frontispice : montage à partir d’une photographie figurant dans le numéro d’automne 1999 du magazine Gender Quest documentant « un cercle de vision et de guérison sur le mont Max Patch » ; https://www.digitaltransgenderarchive.net/col/47429913s
[1] Christina Hanhardt, Safe Space : Gay Neighborhood History and the Politics of Violence, Durham, Duke University Press, 2013, 73.
[2] Susan Stryker, Transgender History : The Roots of Today’s Revolution, New York, Seal Press, 2017, 95.
[3] Stryker, Transgender History, 96.
[4] Vanguard Magazine 1, no. 7 (May 1967), Digital Transgender Archive, https://www.digitaltransgenderarchive.net/files/3r074t94h.
[5] Pour reprendre le titre que le psychonaute et guide spirituel gay Ram Dass a donné à son classique de la contre-culture, Be Here Now (San Cristobal, N.M. : Lama Publishing, 1971).
[6] Simeon Wade, Foucault in California, Berkeley, Calif. : Heyday Press, 2019, 62.
[7] Michael Pollan, How to Change Your Mind, New York : Penguin, 2018, 41.
[8] Pollan, How to Change Your Mind, 42.
[9] Arun Saldanha, Psychedelic White : Goa Trance and the Viscosity of Race, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2007, 50.
[10] Saldanha, Psychedelic White, 198.
[11] Amanda J. Lucia, White Utopias : The Religious Exoticism of Transformational Festivals, Oakland : University of California Press, 2020, 12.
[12] Gender Quest (Summer 1999), Digital Transgender Archive, https:// www.digitaltransgenderarchive.net/files/ft848q60n.
[13] Amanda Wray, « Holly Boswell : Asheville’s Social Justice War- rior, Voices from the LGBTQIA+ Archive of Western North Carolina », Journal of Appalachian Studies 26, no. 2 (2020) : 180.
[14] Gender Quest (Autumn 1998), Digital Transgender Archive, https:// www.digitaltransgenderarchive.net/files/0c483j37r.
[15] Amanda Wray, « Holly Boswell : Asheville’s Social Justice Warrior, Voices from the LGBTQIA+ Archive of Western North Carolina », Journal of Appalachian Studies 26, no. 2 (2020) : 182 (c’est moi qui souligne).
[16] Leslie Feinberg, Transgender Warriors : Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman, Boston : Beacon Press, 1997.
[17] Gender Quest (Summer 1998), Digital Transgender Archive, https:// www.digitaltransgenderarchive.net/files/0c483j37r.
[18] Gender Quest (Summer 1998).
[19] Jeffrey J. Kripal, Esalen : America and the Religion of No Religion, Chicago, University of Chicago Press, 2007, 110–11.
[20] Saldanha, Psychedelic White, 72.
[21] Gender Quest (Summer 2000), Digital Transgender Archive, https:// www.digitaltransgenderarchive.net/files/1r66j1131.
[22] Gender Quest (Summer 1999), Digital Transgender Archive, https:// www.digitaltransgenderarchive.net/files/ft848q60n.
[23] Sara Ahmed, Manuel rabat-joie féministe, trad. t4t, Paris, La Découverte, 2024, p. 44.
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