TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Oprah Winfrey, le SIDA et la piscine municipale 

En 1987, alors que plus de 40 000 personnes étaient mortes des complications du sida aux États-Unis, alors que six ans s’étaient déjà écoulés depuis le premier décès connu, le président Reagan a prononcé son premier discours public sur l’épidémie. Au lieu de se concentrer sur l’éducation sexuelle, le gouvernement a attisé la peur et les préjugés. Le message envoyé au monde était clair : si vous êtes pédé, vous mourrez – et tout le monde vous déteste.
En juillet de cette même année, lors d’une journée particulièrement chaude, Mike Sisco, un homo porteur du VIH, décida de se baigner dans la piscine publique de Williamson, sa ville natale. Sa présence provoqua une réaction immédiate : les autres baigneurs quittèrent précipitamment la piscine, et celle-ci fut fermée, vidée et désinfectée le jour même. Quelques mois plus tard, l’animatrice et productrice de télévision Oprah Winfrey se rendit dans cette petite ville pour animer une discussion publique sur le sujet, offrant à Mike Sisco et aux membres de la communauté de cette petite ville une agora pour confronter leurs points de vue.
Dans cet article, Mickaël Tempête prolonge l’analyse ouverte dans son livre La Gaie Panique (Éditions Divergences) sur la façon dont l’épidémie du VIH a donné une nouvelle jeunesse à la paranoïa anti-homosexuelle.

Note : La vidéo de l’émission en son entier a longtemps été présente sur youtube mais Oprah, gardienne de son empire économique, l’a faite supprimer. Heureusement, j’ai eu la bonne idée de la télécharger en craignant qu’un jour celle-ci ne disparaisse. On peut toutefois trouver de courts extraits en ligne.


C’est sur la page facebook de The Aids Memorial [1] que j’ai découvert son histoire. En juillet 1987, la petite ville de Williamson, en Virginie-Occidentale, qui compte 5 600 habitants, a fait l’objet d’un débat national sur le sida. Robert « Mike » Sisco (1961-1994), positif au VIH, s’est baigné dans la piscine publique. Autour de lui se lève un vent de panique, les baigneurs quittent précipitamment le bassin, les habitants présents partent en courant. Dès le lendemain, la nouvelle s’est vite répandue dans la petite ville : la peur, les médisances et les rumeurs ont forcé à la fermeture de la piscine et donné lieu à un article en première page du journal local. Cette affaire est ensuite relayée par des médias nationaux. Quelques mois plus tard, Oprah Winfrey, animatrice star d’un talk-show de confession publique [2] regardé par 9 millions de téléspectatrices en moyenne, se rend à Williamson pour enregistrer une confrontation entre Mike Sisco entre les autres habitants de la petite ville. Habituellement, ses émissions sont enregistrées en studio et en présence d’un public féminin. À un ton sensationnaliste et virulent présent dans les premières émissions, Oprah a ensuite adopté une approche plus bienveillante et introspective, accordant la parole aux personnes concernées tout en prenant part elle-même à la conversation. Pour cette émission exceptionnelle, le tournage eut lieu dans la petite ville de Williamson, dont les habitants constituent à la fois le public et les intervenants.

L’émission s’ouvre par un plan panoramique de la ville, puis Oprah apparaît à l’écran au-devant de son public pour expliquer le fait-divers. Des images de la piscine désertées, la une du journal local relatant les faits avec le titre « Williamson pool closed after swim by AIDS victim » [3]. D’autres images en micro-trottoir recueillent des témoignages d’habitants : « Il faut les faire partir de la ville et les rassembler à Hawaï » [4], « Dieu leur dit qu’ils ont fait quelque chose de mal », « Le VIH est un message de Dieu », « Il ne faut pas que ces gens-là soient dans la rue, il faut les enfermer », « Ces gens-là coûtent très cher », etc. Retour à l’agora, Oprah est à côté de Mike Sisco et le présente. Il prend enfin la parole et raconte calmement sa version des faits : « Je suis allé me baigner, il faisait très chaud, je suis juste allé nager. Le maître-nageur me reconnaît et les gens se mettent à courir ». Il ajoute que les ennuis avaient déjà commencé quand il a fait son coming-out, il vivait ailleurs et est revenu dans sa ville natale, dans sa famille, quand il apprend qu’il est positif au VIH et que sa santé se dégrade et qu’il a perdu son travail. C’est après l’avoir raconté à sa famille que les rumeurs ont commencé. Une de ses sœurs est partie et il interprète ce rejet de cette manière : « Ils avaient peur de manifester l’amour qu’ils avaient pour moi ». Sa famille, effrayée par la létalité du virus, lui dit qu’il ne pourra pas être enterré dans le caveau familial. Oprah lui demande : « Ils avaient peur que la maladie se répande dans la terre ? ». Mike acquiesce. Il explique alors qu’il réfléchissait à se suicider. Un jour, en état d’ébriété, il s’avança au bord d’une falaise et voulut s’y jeter. L’affaire Mike Sisco révèle un aspect souvent oublié de l’épidémie de sida : son impact dans les villes rurales. La plupart des œuvres majeures et des documentaires sur la crise du VIH/sida dans les années 1980 se concentrent sur les grandes métropoles, ce qui est compréhensible, car elles ont été parmi les plus touchées. Cependant, l’effervescence urbaine, hier comme aujourd’hui, tend à masquer les réalités vécues dans d’autres régions.

L’histoire commence donc par des rumeurs qui font suite à son retour à Williamson dans sa famille pour ne pas vivre seul avec la maladie. Des personnes lui disent qu’ils ne veulent pas être dans le même espace que lui, qu’il doit partir ; dans la rue les gens le dévisagent. Personne ne s’en est pris physiquement à lui mais ils le pointaient régulièrement du doigt. Ce qui ressort déjà de ces premiers témoignages est que la rumeur a une fonction de sociabilité entre les personnes de la communauté, elle est caractéristique de sa faculté à se déplacer de bouche en bouche et de doigt tendu en doigt tendu. Une rumeur circule et, même si l’un de ses effets est de calomnier une personne, elle crée du lien. C’est ici un aspect intéressant de l’émission qui décrit comment une communauté d’habitants ne forme qu’un seul corps et comment elle tente, pour se maintenir, de créer un paria à exclure.

Le public est organisé en forme de cercle, dans une sorte d’agora anale qui encercle un vide où trône l’animatrice star. C’est elle qui distribue la parole et se met à l’écoute sans aucun jugement moral. Les habitants forment l’épaisseur principale de ce cercle tandis que Mike Sisco et le médecin sont assis sur le bord interne, ils sont l’en-dehors de la communauté. La parole se déplace ainsi sur ce cercle/sphincter et suscite parfois des remous. C’est notamment le cas lorsqu’une personne dit : « Pourquoi es-tu allé à la piscine en sachant que tu avais le sida alors qu’il y avait des enfants ? », à cette phrase répondent des applaudissements qui matérialisent la jouissance d’une « vérité » enfin dite et partagée par la foule. Au milieu de tout ça, Mike Sisco, pourtant isolé et accablé, demeure étonnamment calme et à l’écoute, comme endurci par tant de mépris ; il émane de lui une très grande dignité. Il porte un pull violet et vert, une boucle d’oreille brille à son oreille gauche et une coupe mulet typique des rockeurs et marginaux des années 1970 et 1980.

Le dispositif même de l’émission voulu par Oprah est de créer un lien de proximité entre les invités et son audience. Il faut que tout soit limpide et assimilable, que la parole ne s’éternise pas, que ce soit rythmé et vivant. Après chaque coupure publicitaire (et il y en a beaucoup), l’animatrice présente à nouveau le sujet pour les personnes qui prennent l’émission en cours de route. Par exemple : « Nous sommes à Williamson, en Virginie-Occidentale. Mike Sisco a dû quitter cette ville parce qu’il se sentait comme un paria à cause du sida. Beaucoup de gens dans ce pays ont peur du sida. Nous reviendrons sur cette ville dans un instant. » Ensuite, Oprah résume systématiquement la parole de chaque invité après leur intervention, une personne s’exprime et l’animatrice digère cette parole en quelques phrases à l’attention des téléspectatrices. L’important est de créer un lien d’identification par la confession des émotions et l’exposition des vulnérabilités. Par ailleurs, elle ne juge jamais mais cherche à comprendre, y compris les propos les plus durs à l’encontre de Mike ou des homosexuels.

Oprah s’adresse aux classes moyennes, à la familiarité de la vie quotidienne, et à leurs aspects tordus (queers) à l’intérieur de cette apparente normalité. Elle le fait à partir d’une exploitation des émotions de personnes victimes d’injustices, de violences ou d’inégalités. Mais jamais elle n’interroge la dimension structurelle et politique de ces préjudices. Il y a toujours une victime isolée face à la possibilité ou non de surmonter l’offense. C’est tout le succès économique des productions d’Oprah qui repose sur cette méthode : la réussite individuelle américaine à travers le dépassement de soi d’une victime. C’est pourquoi on ne saura pas grand-chose d’autre de Mike Sisco que cette histoire-là. Si on en avait su davantage, par exemple sur sa sexualité, ses amours, ses amis gays, cela aurait créé une distance trop grande avec son public de femmes au foyer des classes moyennes. Il ne fallait pas présenter le pédé, mais l’enfant d’une communauté provinciale victime de son environnement. Oprah ne dit strictement rien des politiques anti-homosexuelles qui ont ouvert la décennie et qui pourraient pourtant contextualiser la situation. En revanche, le contexte apparaît de manière plus allégorique, notamment lorsque Mike compare la réaction de panique qu’il a suscitée à celle réservée au monstre Godzilla dans les films. Godzilla est une figure mythologique qui condense les peurs du nucléaire après les bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki au Japon en 1945. Et le nucléaire est cette menace invasive invisible capable d’anéantir l’ensemble d’une communauté. Et puis, le monstre est bien entendu la figure par excellence du paria dans la littérature populaire. Lorsque Mike y fait référence, il dit en souriant : « Ils ont en quelque sorte couru comme dans ces films de science-fiction où Godzilla marche dans la rue ». Oprah reprendra son expression pour le présenter à nouveau après une énième coupure pub : « Nous sommes ici aujourd’hui dans une ville où un jeune homme atteint du sida a déclaré qu’il avait dû partir parce qu’il se sentait exclu. Il a dit qu’il était rentré chez lui pour mourir en paix, mais qu’au lieu de cela, il avait été traité comme Godzilla. »

La paranoïa collective autour de Mike Sisco ne s’est pourtant pas arrêtée à cette baignade estivale. Une autre rumeur circulait comme quoi il aurait léché des légumes dans un supermarché de Williamson. Le McDonald du coin a aussi dû publier un article dans le journal local parce que le bruit courait qu’il y travaillerait. La piscine publique, le supermarché, le McDonald forment la trame d’une quotidienneté de n’importe quelle petite ville états-unienne et les fluides de Mike y sont partout traqués, partout délirés. Les habitants de Williamson n’étaient pas les seuls à craindre, à tort, que le sida ne se propage par contact occasionnel – par la sueur, l’urine ou la salive, en s’embrassant, dans les piscines et même sur les poignées de porte. En ouverture de l’émission, Oprah faisait référence à d’autres histoires assez similaires :

« À Needham, dans le Massachusetts, 29 employés du téléphone ont quitté leur travail lorsqu’ils ont appris qu’un de leurs collègues était atteint du sida. À Arcadia, en Floride, trois frères hémophiles atteints du sida ont été méprisés par les habitants de la ville et contraints de déménager lorsque leur maison a été incendiée. À Los Angeles, un parti politique appelé PANIC (Prevent AIDS Now in California) a recueilli 720 000 signatures en faveur d’une mesure de mise en quarantaine des victimes du sida. Alors que la peur du SIDA a également touché les salles de classe à travers le pays, des rumeurs selon lesquelles un élève était atteint du SIDA à Macon, en Géorgie, ont semé la panique chez les parents. À Kokomo, dans l’Indiana, un garçon a été contraint de rester à la maison et d’écouter les cours par téléphone lorsque des parents ont protesté contre sa présence dans la salle de classe avec leurs enfants. »

Plus tard dans l’émission, la parole se fait accusatrice envers la parole scientifique : « Nous ne sommes pas sûrs de ce qu’il se passe. Le consensus c’est qu’on ne croit pas la science en général. Parce que les scientifiques disent que tu peux l’attraper comme ça, maintenant ils disent que c’est plutôt comme ça. On ne sait pas où tracer la ligne (je souligne) pour être protégés de cette maladie ». Le docteur Woody Myers [5], commissaire à la santé de l’État de l’Indiana rejoint le débat qui va se recentrer sur le rôle de l’institution médicale dans la vie d’une petite ville états-unienne. Il se distingue du public par sa tenue vestimentaire, portant costard et cravate, là où tous les autres s’habillent avec des vêtements très représentatifs des années 1980 (épaulettes, couleurs flashy, coiffures volumineuses). Sa fonction d’expert est interpellée par Oprah pour expliquer clairement les modalités de transmission du VIH et tenter d’offrir une approche rationnelle de la maladie dans un but pédagogique. Il dit : « Je comprends cette crainte, et c’est une crainte qu’ont de nombreuses communautés à travers les États-Unis, dit-il. Il est très important que les gens connaissent les faits, et les faits sont que cette maladie s’attrape par contact de sang à sang, par contact sexuel, et qu’une mère peut transmettre cette maladie à son enfant. » Or la méfiance de ces habitants envers le discours scientifique ne leur permet pas de voir distinctement cette ligne qui leur permettrait de protéger leur communauté. La panique naît de cette incapacité à « croire » la science, puisque c’est ce qu’on leur demande.

L’anxiété biologique fonctionne à plein régime dans ces discours, d’autant plus qu’ils ne parviennent pas à s’appuyer sur des informations « stables ». Le thème de la croyance («  beleave  ») revient à plusieurs reprises dans les témoignages : « Il [Mike Sisco] ne devrait pas être en présence de gens qui ne croient pas en son mode de vie », « Je suis contre les homosexuels, je ne crois pas en eux ». Lorsque le médecin intervient pour expliquer scientifiquement les risques de transmission de la maladie, il est obligé d’affirmer en même temps qu’il ne peut pas donner de réponse « sûre à 100% » car « il y a toujours un risque ». Mais lorsqu’il avance tout de même certaines certitudes, plusieurs personnes du public rappellent que par le passé des scientifiques disaient que le tabac était sans danger ou que tel médicament anti-nauséeux prescrit aux femmes enceintes s’est finalement révélé dévastateur pour le bébé à naître. C’est un moment intéressant que l’émission n’a pas développé : la confrontation faite par les habitants d’une petite ville des institutions médicales à leurs propres erreurs. Là où les autorités scientifiques se présentent comme les garantes de l’objectivité et de la rationalité, elles se retrouvent renvoyées à certaines politiques mensongères envers la population [6].

Face à cette incertitude, le public s’agite, un homme très nerveux prend la parole lorsque le médecin leur dit qu’ils réagissent surtout parce qu’ils ont peur :

Je n’ai pas peur. J’éprouve du dégoût pour le style de vie de cet homme. Je suis dégoûté par sa maladie et je suis dégoûté par lui ! Dieu n’a rien à voir avec les gens qui ont le VIH. Puisque le VIH tue aussi des bébés, Dieu ne peut pas en être l’auteur. Ça, c’est une maladie de la nature. La nature va se charger de ce qui ne va pas et va l’éradiquer. Et s’ils étaient mis tous ensemble sans aucune femme, ils s’éteindraient de la face de la Terre en un rien de temps.

« Il faudrait les mettre dans une colonie », « les envoyer à Hawaï », « les confiner », etc., tous ces discours ne sont pas sans fondements. Ils reflètent tout d’abord l’histoire des répressions passées et présentes. La gestion sécuritaire des « grandes menaces » contre la société par les prisons, les centres concentrationnaires, les hôpitaux psychiatriques, viennent se déposer comme du limon dans leurs paroles. Ils reflètent aussi les discours de personnalités importantes comme Anita Bryant qui, avec son organisation « Save our children », partit en croisade contre les homosexuels à partir de 1977. Cette figure de la répression que subit la communauté gay entendait faire abroger une loi contre les discriminations à l’emploi et au logement basées sur l’orientation affective sexuelle des individus [7]. Un des slogans de sa campagne très médiatisée était : « Tuer un homosexuel pour l’amour du Christ ». Le théoricien Leo Bersani rapportait le titre d’un article dans un journal londonien : « Je descendrais mon fils s’il avait le sida, dit le révérend » [8], accompagné d’une photo d’un homme pointant un fusil sur un garçon. Selon lui, si le point de vue du révérend est si largement partagé, c’est que « le pouvoir est dans les mains de ceux qui se montrent plus capables de sympathiser avec la fureur morale et meurtrière du bon révérend qu’avec un patient à l’agonie, atteint du sarcome de Kaposi » [9]. Tous ces propos entendus dans l’émission et ceux du révérend reflètent finalement les décisions prises par les politiciens qui étaient beaucoup plus pressés de protéger les familles saines (victimes innocentes) que de subvenir aux besoins des malades homosexuels et toxicomanes (victimes coupables).
Dans la perception homophobe, la morbidité est non seulement une composante du désir homosexuel, mais elle pourrait également contaminer et embarquer avec elle l’ensemble d’une communauté nationale. De telle sorte qu’il y a dans la paranoïa anti-homosexuelle, un réflexe de conservation civilisationnelle.

L’émission se finira dans un tohu-bohu sans fin, dans un duel entre la parole scientifique et la parole religieuse que seule la musique du générique de fin viendra recouvrir. Ce qui est étonnant dans ce talk-show, c’est que son fondement est proprement anal. Il va puiser dans ce qu’il y a de plus privatisé, de plus secret. Ce qui intéresse Oprah, et qui fera la marque de son émission, c’est d’interpeller la domesticité, d’ouvrir les portes de l’intériorité américaine. C’est pourquoi, lorsqu’elle aborde des thèmes comme l’alcoolisme ou les sans domiciles fixes, elle présentera toujours des personnes perçues comme « normales », empreintes de ce que Freud nomme « l’inquiétante étrangeté ». Ce trouble dans la familiarité met en crise le principe de reconnaissance d’un individu dans cette communauté. Dans cette affaire, Mike Sisco en fait les frais, au lieu que la communauté puisse jouer un rôle de protection en le reconnaissant comme l’un des siens, elle le tient à l’écart pour préserver une vision mutilée et mutilante d’elle-même. La crise du sida est à ce titre une crise politique de la reconnaissance qui aboutit à des prises de positions défensives, voire agressives.

On peut dire que l’émission expérimente une nouvelle forme de connexion entre la distance et la promiscuité. En cela, elle apparaît comme un essai thérapeutique visant à réparer les effets de la crise de la reconnaissance. Or il y a surtout des énoncés individuels qui s’entrechoquent, une exploitation lucrative du « petit secret honteux », sans interroger à un seul moment le champ politique qui organise ces rapports de pouvoir.

Finalement, l’histoire de Mike Sisko est celle de ces smalltown boys qui ont rejoint les grandes villes pour trouver un peu de liberté et qui ont dû retourner dans leur bourgade lorsque, atteints du VIH, ils ont perdu leur travail et leur sécurité matérielle. Confrontés à ce qu’ils avaient fui ou mis à distance, ce retour au bercail n’en fut que plus brutal, ensevelis dans l’incompréhension et la peur de mourir. Après son apparition dans The Oprah Winfrey Show, Mike Sisco a quitté sa ville natale, pour s’installer d’abord à Charleston, puis en Californie. Il est décédé paisiblement en 1994, entouré de ses proches.

Mickaël Tempête.

[1Cette page facebook est un mémorial numérique pour préserver l’héritage de l’épidémie de sida grâce à des histoires d’amour, de perte et de souvenir. Elle comporte d’innombrables souvenirs de personnes mortes des complications du sida, qu’elles ait été connues ou inconnues. On peut suivre cette page sur facebook et instagram.

[2Cette émission quotidienne est aujourd’hui considérée comme celle qui a révolutionné le talk-show, la mise en scène de la confession publique à la télévision. Animatrice et productrice, Oprah Winfrey est devenue milliardaire grâce à ce succès industriel qui s’oriente de plus en plus, au fil des années, vers le développement personnel. La majorité des téléspectatrices étaient des femmes au foyer ou des professionnelles qui regardaient l’émission en journée.

[3Traduction : « La piscine de Williamson fermée suite à la baignade d’une victime du sida ».

[4Pour la suite des interventions, je traduis directement en français.

[5Woody Augustus Myers Jr., (1954-…), a été une des figures importantes de la médecine dans la lutte contre le VIH. Bien qu’il ait exercé à des postes influents (commissaire à la santé de l’Indiana puis de New York et membre de la commission du Président Reagan sur l’épidémie de VIH), il rencontra tant d’obstacles institutionnels pour mettre en place une véritable politique sanitaire efficace qu’il démissionna assez de ces postes. Il appartient aujourd’hui au Parti démocrate.

[6Je n’ai pas le temps de le développer mais évidemment un pont est à faire avec la période de propagation du Covid et la gestion sanitaire par les gouvernements et les instances médicales.

[8Le titre original est : « I’d shoot my son if he had AIDS, says vicar ! », in The Sun, 14 octobre 1985.

[9Leo Bersani, « Le rectum est-il tombe ? », in Sexthétique, Paris, EPEL, 2011, p. 24.

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