Du "jeune homme excentrique" des années 1920 au vieillard rejoignant les étudiants parisiens en décembre 1986, Daniel Guérin s’est toujours placé à l’avant-garde des combats de libération : il s’engage contre le système colonial dès la fin des années 1920 ; puis contre le fascisme ; en 1936 comme en 1968, il est acteur des mouvements populaires ; le voilà enfin à la pointe des combats pour la libération des minorités, des Noirs américains aux homosexuels.
Ni son combat irréconciliable contre le capitalisme, ni son rejet de l’impasse sociale-démocrate ne l’ont conduit à se compromettre avec le régime lénino-stalinien. Viscéralement attaché à la vérité et à l’honnêteté en politique, il a consacré sa vie et son oeuvre à la recherche d’une synthèse entre le marxisme et la tradition libertaire.
Cet article aborde l’enfance de Daniel Guérin pour chercher à rendre visible la façon dont une pratique de liberté politique s’élabore dès le plus jeune âge. Malgré un parcours politique fascinant, il fut si difficile pour lui de faire se rapprocher Homosexualité et Révolution, au point de faire bouillir l’enfant qu’il a toujours été.
« Ma mère fut courageuse. Je lui fis pousser durant une heure des cris terribles, puis, à la fin, elle contribua vigoureusement à ma sortie. Un peu avant une heure de l’après-midi ma douce et confortable vie intra-utérine, aux libertés illimitées, prenait très brutalement fin. Je fus expulsé sans ménagement. Comme tous les petits, j’entrai dans le monde en vociférant. »
Daniel Guérin, Autobiographie de jeunesse.
Amorce
L’angoisse de la séparation et le plaisir primitif du recommencement inaugurent son autobiographie de jeunesse et ces deux sentiments n’allaient plus le quitter. Je vais aborder ce que je nommerai l’enfance de Daniel Guérin ; les bornes chronologiques de celle-ci paraîtront probablement classiques et banales, respectant l’idée normative qu’un adulte se fait de l’enfance, mais le but secret est d’en dégager ce qui deviendra des possibilités tenaces renouvelant sans cesse le désir d’enfance sur toute une vie : assouvir une soif absolue de liberté.
Issu d’une grande famille bourgeoise libérale et dreyfusarde, Daniel Guérin fut de toutes les luttes du vingtième siècle, il assiste à la répression de la révolte de Saïgon (Indochine) en 1930, il témoigne de la montée du fascisme en Allemagne, de l’organisation du mouvement noir américain, il soutient la révolution algérienne, participe à la revue homophile Arcadie avant de rejoindre la jeunesse pédé et lesbienne du FHAR en 1971. Grand voyageur, mille et une vies le précipitent, dans ses pérégrinations politiques, dans les bras d’hommes étrangers à la politique elle-même. Un décalage subsiste inlassablement dans toutes ses entreprises : comment réconcilier vie sociale et dissidence sexuelle, faim de chair et vertu révolutionnaire, amour des garçons et camaraderie politique ?
Ce que j’envisage dans cette partie se situe bien avant la période des grands voyages, bien avant le départ du foyer et le reniement familial, bien avant les bouleversements politiques et charnels, bien avant les « branchements erratiques où se déploie à l’état libre une énergie passionnelle » (Co-Ire, p. 18) ; l’enfant Guérin n’a pas encore quitté son nid qu’il brûle déjà de l’intérieur.
C’est bien cet intérieur que nous allons habiter durant ces quelques paragraphes pour y chercher ce qui s’apparente déjà à une recherche (et donc une expérience) de liberté. Cet intérieur peut tour à tour se nommer différemment selon s’il est vécu positivement ou négativement mais toujours de manière contradictoire : le moi, l’âme, le placard, le foyer, le rêve ou la raison.
Guérin dira de l’exercice autobiographique qu’il entreprend à la fin des années 1960 (juste avant l’éclosion du FHAR) : « Le jeune homme dont je tente de retracer les zigzags et les faux pas, est-il bien moi ? J’ai subi tant de mues. Parfois, je me reconnais. Parfois, j’ai affaire à un autre. Je ne m’identifie vraiment que par quelques cicatrices à la surface de l’épiderme – et par un état civil. À tel point que j’ai longtemps hésité à m’exprimer à la première personne. ’Nous sommes déjà nous-même à dix ans’, m’écrivit un jour François Mauriac » (Autobiographie d’une jeunesse, p. 43). Le dilemme de Guérin est entier, à la fois ce besoin primitif du recommencement et de la rencontre disruptive, à la fois cet éternel rattrapage vers l’angoisse de l’abandon. Faut-il quitter cet enfant ou le retrouver ? Pour ébaucher une réponse à cette question impossible, je présenterai ici les quelques branchements erratiques qui parcourent l’enfance de Daniel Guérin.
Papa et le coiffeur
Son père, Marcel Guérin, était un collectionneur et critique d’art né en 1873. C’est avec sa femme Juliette d’Eichthal qu’il eut le petit Daniel. Dans son autobiographie, il n’hésite pas à mettre en avant les difficultés conjugales de ses parents, Marcel fugue régulièrement du foyer, tandis que Juliette subit le mauvais rôle de la femme demandant trop d’attention. Où le papa Guérin fugue-t-il ? En parcourant les correspondances entre ses parents, Daniel découvre que Marcel entretient une liaison en dehors des liens du mariage. Papa aime secrètement Jean le coiffeur de la famille. « […] le petit Jean, un protégé de mon père, surnommé par nous ’Struwel Peter’ [1], jeune et charmant coiffeur, au visage de bébé rose, donne de grands coups de ciseaux dans nos tignasses » (Autobiographie d’une jeunesse, p. 77). La discrétion de cette liaison sera mise à rude épreuve lorsque retentira la Première Guerre mondiale et que Jean fut appelé pour intervenir sur le front. En juin 1917, Jean est porté disparu. Marcel entre dans un état de « prostration pitoyable » (A.d.J., p. 117), Juliette-jalouse dit de son mari qu’il « n’a pas le cœur équilibré », jusqu’au jour où il reçoit une carte d’un camp de prisonniers de guerre qui annonce que Jean est vivant. Daniel Guérin, enfant témoin du marasme conjugal : « De mon côté, je prends ma part de jubilation. Par une sorte d’osmose, un peu du feu qui inonde le cœur paternel a passé dans le mien » (A.d.J., p. 118). L’enfant Guérin, en tant que témoin du drame familial qui se jouait certes devant lui mais sans mots clairs, emploie une expression métaphorique (« le feu qui inonde le cœur ») pour dire ce qui circule entre son père et lui. La latence du désir homosexuel semble fonctionner à plein régime et donne une forme aux sentiments de l’enfant voyant le père accablé de douleur puis de soulagement. Quelque chose est compris, sans se dire par des mots, comme si un passage secret existait entre leurs placards respectifs : « Les rapports tourmentés que la guerre noue entre le front et l’arrière, j’y participe, à travers un seul drame qui les symbolise tous : celui qui se déroule entre mon père et le ’poilu’. » (A.d.J., p. 112)
Malgré cette correspondance inconsciente des désirs entre Marcel et son fils (car ce n’est que bien plus tard que Daniel apprit l’homosexualité de son père à travers ses lettres), un interdit s’installe dans cette relation, lorsque Daniel sera découvert de son amour pour les garçons, le père vécut cette révélation comme un fardeau. « Au lieu de m’accabler de reproches, il fondit en larmes et me plaignit d’avoir à ’porter cette croix’. » (A.d.J., p. 217) Car le père vivait cet amour interdit dans la culpabilité, ce quelque chose de plus fort que soi qui contraint le corps aux demandes plaintives et répétitives du fantasme. Dans la famille Guérin, il y a le noyau, c’est-à-dire le couple formé par Marcel et Juliette, et leurs enfants, il y a le foyer. Mais il y a aussi « l’étranger », qui en 1914-1918, est symbolisé par Jean le coiffeur parti au front. C’est un étranger familier tout de même, puisqu’il est celui qui s’occupe des cheveux des enfants, puis il se met à exister lointainement, par les lettres et par les fugues de Marcel parti le retrouver pendant les permissions du soldat. Jean devient la figure du tiers-désiré qui peut mettre en danger l’équilibre et la quiétude familiale. De tout cela, l’enfant le pressent mais ne sait encore rien : « De part et d’autre, irruption de l’étranger que seul un tour de passe-passe peut réduire à la position de l’enfant entre les deux membres du couple, et fascination de l’événement comme tel, irréductible à la satisfaction hallucinatoire qui est celle du fantasme lorsqu’il se développe sur la base de ce que l’enfant peut appréhender des débats familiaux » (Co-ire, p. 16).
Lorsque Daniel se remémore son enfance, ses premiers onanismes dans sa chambre à coucher, lorsqu’il entend le plancher craquer derrière la porte, craignant d’être « surveillé » de l’œil inquisiteur parental, se met-il déjà à rêver d’un ailleurs où son désir disparaîtrait (ainsi que la frustration martyrisant le corps) ou bien serait pleinement assouvi (faisant ainsi grimper son expérience de la liberté), l’un ou l’autre, l’absence de feu ou le feu alimenté.
L’odeur du cuir
« Un jour, cantonna chez nous un mâle escadron de cavalerie, répandant une affriolante odeur de crottin, de cuir et de sueur... »
Autobiographie de jeunesse, p. 67.
Le cuir, matériaux à l’odeur enivrante, peau d’animal, révèle à l’enfant Daniel de drôles de sensations. Au début de l’été 1911, le petit Daniel est opéré de l’appendicite. Pendant sa convalescence, il profite de ce moment d’oisiveté autorisée pour jouer seul dans la bibliothèque, « j’oubliais mon identité pour prendre celle, grisante, d’un facteur, avec képi, sacoche de cuir et bandoulière (…). Je n’avais joué à jeu si excitant, avec son uniforme, ses fétiches de cuir » (A.d’.J., p. 67). Mais le sens qui exacerbe le plus l’excitation du petit Daniel, c’est l’odeur. L’odeur de l’animal mort qui reprend vie lorsque cette peau suinte sur la peau d’un homme. Une odeur forte, virile et tenace ; le cuir se déduit d’un meurtre de l’animal. C’est assez régulièrement que l’on retrouve dans sa prose des références à un retour à l’animalité, à la question de savoir s’il faut se soumettre ou non à l’instinct animal de l’homme. Animal, en latin animalis provenant de anima : « air, souffle, âme ». Il semble pouvoir se conjuguer, pour Daniel, à la fois l’excitation primaire de la libido et la spiritualité des morts. Mais qu’est-ce que c’est donc d’être dans la peau d’un animal ?
Dans Co-Ire, René Schérer et Guy Hocquenghem esquissent une réponse qui défie celle qui aurait pour toute explication le manque, le manque à n’être pas encore adulte, pas encore formé, pas encore grandi, pas encore désiré. « Il ne s’agit pas là d’une simple fiction, d’une image, ou de la nostalgie d’un monde perdu dont on pourrait trouver des traces chez des enfants élevés par des bêtes, mais bien d’une inhumanité vécue immédiatement dans le corps en tant que tel » (Co-Ire, p. 81). Ce n’est donc pas un manque qui constituerait cette énergie libidinale soudaine chez le petit Daniel, c’est qu’il est en train de faire l’expérience de son inhumanité vécue immédiatement dans le corps. Si cette part du désir se situe hors des hommes, c’est-à-dire de leur sociabilité, se pourrait-il donc qu’elle renvoie également à un en-dehors du politique qui est le propre des affaires humaines ? Cet en-dehors est-il sous terre ? Dans les airs ? Est-il visible ? Ou peut-on seulement le sentir... ?
C’est en tout cas une véritable obsession pour le petit Daniel parfois rattaché à un plaisir masochiste comme lorsqu’il alourdissait volontairement son cartable de livres superflus « pour aller en classe, ahanant et ployant sous ce terrible fardeau (je souligne). L’odeur animale du cuir, les courroies s’enfonçant dans mes aisselles, la pression de cette charge sur mes reins provoquèrent une érection dont je n’étais pas sûr qu’elle demeurât inaperçue de mon sarcastique camarade André Sicard. » (A.d.J., p. 113) Ici, plusieurs choses se conjuguent : l’odeur du cuir, le masochisme, le fardeau, l’érection de l’enfant et le camarade témoin de cet imparable agencement du désir. Il faudrait aussi souligner que cette scène se déroule en extérieur, pas à la maison ni à l’école, mais sur le chemin entre deux institutions, activée par la force de la marche et la camaraderie qui l’accompagne. Cette dimension du voyage, de la marche à deux, reviendra souvent dans le parcours de Daniel Guérin (son voyage à pied et à vélo à travers l’Allemagne dans les années 1930 par exemple) et sera à chaque fois inextricablement nouée à la recherche d’un plaisir sexuel. Et pour bien montrer que ce nouage est intensément inscrit dans son fétiche du cuir, je pourrais aussi citer ce passage où il montre à Jean (le coiffeur-soldat-amant-de-papa) un catalogue de scoutisme (dont il vante les vertus morales et disciplinaires) : « J’en détaillais le harnachement (où tout, du sac à dos aux brodequins de marque, au fourreau du poignard et à la ceinture, dégage une odeur de cuir). Jean, subjugué, opinait du calot. » (A.d.J., p. 107)
Guérin et les signes
L’enfant Guérin commence à comprendre que le fardeau, cette chose pesante qu’il faut porter, est susceptible de trouver d’autres initiés ou complices, mais que cette recherche n’est pas encore suffisamment poussée pour y mettre des mots, et surtout, des gestes. Tout ce passe comme si le désir homosexuel circulait silencieusement, apparaissait par signes reconnaissables, et que ce secret appartenait autant à l’adulte qu’à l’enfant. L’odeur du cuir est un de ces signes. Rappelons que nous sommes au début du XX° siècle et que l’homosexualité commence à peine à porter ce nom. Surtout, elle fait l’objet de censure, de surveillance, d’opprobre et d’interdiction. Elle ne pouvait apparaître que masquée. Il y a des périodes où il faut apprendre à être du côté de la ruse, du tricks : on ne peut plus tout dire ; on ne peut plus dire la vérité ; elle est devenue dangereuse ; alors on métaphorise, on charge les signes de contenus secrets. Aux autres de décoder. Pendant l’enfance de Daniel Guérin, les deux premiers chapitres du Corydon [2] d’André Gide furent publiés une première fois en 1911, en seulement douze exemplaires, et distribués dans un cercle d’amis, sous le nom tronqué de C.R.D.N, les voyelles ont été effacées. Ce ne sera que plus de dix années plus tard que Corydon sera enfin édité et publié largement, en 1924. Alors, l’imaginaire qui nourrit le spectre de l’homosexualité n’est pas encore le Corydon d’André Gide mais le Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust où l’inversion sexuelle [3] (une âme féminine dans un corps masculin) prédomine. Le désir homosexuel ne peut apparaître que caché, invisible à l’œil nu, sauf à être vigilant quant aux signes qu’il dispose.
À propos des signes et de Marcel Proust, justement, Gilles Deleuze affirme ceci : « Il n’y a pas plus de significations explicites que d’idées claires. Il n’y a que des sens impliqués dans des signes ; et si la pensée a le pouvoir d’expliquer le signe, de le développer dans une Idée, c’est parce que l’Idée est déjà là dans le signe, à l’état enveloppé et enroulé, dans l’état obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps, contraints et forcés. » (Proust et les signes, p. 119). On retrouve dans ce passage, l’importance du rôle de la contrainte, qui nous renvoie à ce que j’abordais derrière le besoin de masochisme de l’enfant Guérin articulé à un signe provoquant une réminiscence du désir : l’odeur du cuir.
Un des signes appartenant au lieu de l’homosexualité est aussi celui du placard [4]. Comment exprimer ce lieu sombre où l’on se cache enfant lorsqu’on joue à cache-cache ? Peut-être sans arrière-pensée, Daniel Guérin nous détaille un lieu de la maison familiale où il aimait bien se réfugier : « Une porte du couloir donne sur un ’cabinet noir’ où j’aime à m’enfermer, et à courir le risque honteux, mais tentant, d’être surpris. Il me plaît d’y grimper sur un escabeau, d’en inspecter toutes les réserves (y compris les cartons à chapeaux de ma mère), et d’y ouvrir, sans raison valable, le placard qui contient les ustensiles de ménage, sans omettre un curieux balai mécanique en forme de boîte, dont le ronron rythmé court sur les tapis et moquettes. Dans cet endroit réduit, j’aime surtout me fuir : le noir repose les nerfs et ressemble au néant. J’y joue tantôt les narcisses et tantôt les captifs. Enfant, j’ai été menacé d’y être bouclé à titre de punition. Est-ce la raison pour laquelle, sa destination pénitentiaire plus ou moins oubliée, je m’y prélasse ? » (A.d.J., p.76) Toute une sémantique érotique et masochiste se dégage cet antre au fond du « cabinet noir », une construction désirante prenant la forme d’un refuge, mais aussi où règne une étrange solitude du personnage.
Pivot
Venons-en, maintenant, à ce qu’il nomme ses « premiers symptômes homosexuels ». Car jusqu’ici, la sexualité dont il était question se tournait principalement vers des objets ou vers soi-même. Ce pivot qui me servira de conclusion pour ce petit essai a donc pour tâche de dessiner l’éveil de l’enfant Guérin à l’amour des garçons.
À neuf ans, il va avec son père apprendre la natation. Et déjà, la proximité avec les corps nus des garçons éveille son intérêt.
À dix ans, lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, la famille Guérin (excepté le père resté à Paris) fuit Paris pour rejoindre une demeure familiale à Biarritz. Juliette, sa mère, s’inscrit à la Croix-Rouge et devient infirmière auprès des blessés revenus du front. Le petit Daniel voyait de ses propres yeux les horreurs que la guerre infligeait sur le corps de ces hommes. « Je découvrais la fraternité, la fraternité masculine : à Biarritz, sur la plage, je me promenais avec des blessés, qui me faisaient le récit de leurs enfers. Je leur prêtais des livres, en échange de quoi ils me donnaient des noix. (…) De bonne heure, j’ai appris à prodiguer mon affection à de jeunes hommes. En même temps naissait en moi le remords de mener une vie de prince, trop douce, trop protégée, trop choyée, tandis que les hommes mouraient. » (A.d.J., p. 98) Quelque chose comme une conscience politique est en train de naître chez l’enfant Guérin en même qu’un désir pour les hommes ; des corps masculins sculptés tant fantasmés des nageurs aux corps mutilés des soldats défaits [5], le désir s’approfondit un peu plus en lui. Et le sentiment de culpabilité n’est jamais bien loin (« les remords d’une vie de prince ») pour parfaire aussi un certain masochisme. En même temps, c’est par ce désir ainsi construit qu’il commencera à se mettre sur le chemin qui le mènera vers le monde extérieur et plus tard, à se déclasser.
L’enfant Daniel pressent qu’il a un choix à faire. Contourner ses fantasmes ou les traverser. La guerre de 14-18 aura profondément marqué sa conception du charnel, les beaux corps qui l’ont inspiré sont aujourd’hui mutilés, la jeunesse exaltante revient traumatisée, et les premiers sacrifiés de cette guerre ne sont-ils pas tous ces soldats appelés des colonies françaises, noirs et arabes, considérés comme de la chair dispensable ? Il le dira lui-même : « L’armistice du 11 novembre 1918 mettait fin à la Grande Guerre – et à mon enfance. » (A.d.J., p. 120) Bientôt viendront les grands voyages qui déclassent (« La route est son domaine », Co-Ire) : Liban, Indochine, Allemagne, États-Unis, Algérie, les grèves ouvrières de 1936, les mouvements de libération, et bien sûr le FHAR.
Mickaël Tempête
Bibliographie
- Gilles DELEUZE, Proust et les signes, Presses Universitaires de France, 1964.
- Sigmund FREUD, Au-delà du principe de plaisir, Payot, 2010
- Daniel GUERIN, Autobiographie d’une jeunesse, La Fabrique éditions, 2016.
- René SCHERER, Guy HOCQUENGHEM, Co-ire, Album systématique de l’enfance, Revue du Cerfi, Recherches n°22, 1976.
- Pour aller plus loin, vous pouvez également consulter le site internet qui lui est consacré : danielguerin.info
[1] « Struwel Peter », signifiant littéralement « Pierre l’ébouriffé » est le nom d’un personnage d’un livre de comptines de Heinrich Hoffman, un enfant désobéissant qui ne se laisse couper ni ongle ni cheveu. Struwel Peter est donc le nom d’un enfant désinvolte.
[2] Sous-titré « Quatre dialogues socratiques », Corydon est un livre de défense de l’homosexualité entendue comme normale, comme partie intégrante de la société, pour André Gide. Il prend le contre-pied de la vision de l’homosexuel de Marcel Proust qui l’entendait comme un « homme-femme » : l’âme féminine cachée dans le corps d’un homme.
[3] Le vocabulaire de l’homosexualité est passionnant en ce qu’il révèle ce que le terme « homosexuel » est venu recouvrir : inversion, uranisme, sodomite, bougre, chevalier de la manchette, etc. L’enfant Guérin se souvient d’ailleurs avoir trouvé un jour dans le bureau de son père une version anglaise d’un exemplaire des Études de psychologie sexuelle de Havelock Ellis, un des premiers sexologues à défendre (et nommer) l’homosexualité. Il y avait un mot adressé à son père, glissé à l’intérieur du livre : « Tu n’as pas honte (je souligne) de laisser traîner de telles obscénités sous les yeux de tes enfants ? ».
[4] Dans Épistémologie du placard, Eve Kosofsky Sedgwick décrit le placard comme ce qui constitue un type de performances complexes, qui ne se résument ni à l’absence complète d’information d’un côté ni à sa divulgation pure et simple de l’autre. Car une fois, une fois sortie du placard, la libération attendue n’arrive pas.
[5] L’expérience traumatique de la Grande Guerre marquera aussi un tournant dans la conception du désir par la psychanalyse. Freud élabore un nouveau dualisme pulsionnel : la pulsion de vie et la pulsion de mort. C’est-à-dire que quelque chose dans la nature de la pulsion sexuelle résiste à la pleine satisfaction. Cette introduction d’une expérience des limites exprime qu’il y a une complémentarité entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, ou plus exactement que la pulsion de vie est au service de la pulsion de mort. Le plaisir est au service de son annihilation.
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