Un groupe d’influenceurs homonationalistes a tenté un coup de communication lors de la Marche des fiertés de Paris. Constitué entre autres de Yohan Pawer (ex-Reconquête), de Mila (de « L’Affaire Mila ») et de Jeremy Marquie (chroniqueur Radio Courtoisie et de Géopolitique Profonde), ces purs produits des réseaux sociaux, soutenus par quelques gros bras fascistes, ont tenté de faire une entrée fracassante dans le monde réel. Tenus en échec par une riposte queer antifasciste très efficace, ils sont restés coincés derrière leurs murs virtuels.
Revenons un peu sur les événements. En ce samedi 29 juin, la Marche des fiertés commençait à se densifier doucement autour de la porte de la Villette tandis qu’un petit groupe fasciste stagnait sur un bout de trottoir à côté d’un restaurant de « cuisine traditionnelle française ». Certains d’entre eux avaient déjà teasé sur le réseau social X qu’ils s’apprêtaient à annoncer publiquement l’existence de leur groupe à travers un « happening » à la Marche des fiertés. Cette Marche symbolise pour eux la quintessence du wokisme ambiant qu’ils fustigent. Plutôt visibles avec leurs drapeaux bleu-blanc-rouge, leur mélange d’accoutrements d’Ancien régime, d’étudiants HEC et de Lara Croft versions aryennes, un point de tension se fixait à leur endroit. À la queue de la Marche, le groupe quitte son trottoir pour tenter de se faire une place dans le défilé, munis de cartons où on pouvait lire des slogans contre l’idéologie LGBT+, les clubs de lecture pour enfants par des drags queens et d’autres marquant leur préférence nationale : une subtile expression de paranoïa blanche anti-homosexuelle et anti-trans. Plusieurs groupes queers et antifas les ayant vus arriver de loin se sont précipités vers eux, leur ont fait barrage et sont entrés en conflit pour les empêcher de déployer leur discours raciste, homophobe et transphobe.
Mila prend la pose, c’est à peu près la seule marge de liberté qui lui reste, faire de la com’ coûte que coûte, détruire le langage en étendant la vacuité performative des réseaux sociaux au domaine de la rue. S’ils ont eu une partie de ce qu’ils voulaient – une réaction queer à instrumentaliser sur les réseaux sociaux – tous les effets de com’ du monde ne parviendront pas à compenser qu’ils ont perdu symboliquement et matériellement en se faisant capturer la banderole où était inscrit leur cri de ralliement (ça de moins pour le buzz) et leur caméra qui devait filmer leur action et profiler cell·eux qui leur font face. Seule une centaine de personnes sur les 100.000 présentes à la pride ont dû assister à leur « annonce publique ». Au milieu de tout ça, cerise sur le gâteau, Mila est enfarinée. Des coups sont quand même échangés, certaines personnes ont été blessées, et des militant·es queer ont été arrêté·es par des agents de police (ces personnes arrêtées ont heureusement été rapidement relâchées). Les homonationalistes, d’abord sagement rangés derrière les flics, ont dû se résoudre à rentrer chez eux, c’est-à-dire vers les réseaux sociaux.
Si on parle ici d’homonationalisme, c’est que tous les faisceaux mènent à cette notion développée par Jasbir Puar qui la définissait comme une homonormativité inscrite dans le champ d’un nationalisme sexuel. Le but de ce groupe est bien de produire une subjectivité homosexuelle blanche attachée aux valeurs et aux traditions de la civilisation occidentale. Ils s’opposent naturellement à la « théorie du genre », aux « dérives LGBT », au « multiculturalisme » et à la transidentité. Cette dernière qui dynamite le mythe du binarisme de genre les inquiète particulièrement lorsqu’elle s’approche un peu trop des enfants, que ce soit la fameuse « théorie du genre » qu’on leur mettrait de force dans le crâne ou les lectures de contes par des drags queens. On le sait, « la grande majorité des paniques morales en Occident se focalisent sur l’enfance » (Jules Gill Peterson). En 2023, le site Street Press annonçait déjà la création de ce collectif par Yohan Pawer, Yohan Aigrisse de son vrai nom. L’article étayait les bases et les accointances politiques entretenues avec Reconquête et le Rassemblement National, mais aussi avec le collectif « féministe » Nemesis. Son argument selon lequel l’immigration islamique serait la principale cause d’agression anti-homosexuelle place la paranoïa sécuritaire au cœur de leur collectif. Ce positionnement attirera les deux autres figures homonationalistes : Jeremy Marquie (« tiktokeur qui n’a peur de dire ce qui est ») et Mila Orriols (la jeune lesbienne harcelée de 2020 préférée des extrêmes droites).
La stratégie de com’ qui a suivi leur action repose sur cette vieille pratique de la cour de récré « miroir, tout ce que tu me dis reviens sur toi ! ». Il s’agit de retourner l’accusation de fascisme et d’antidémocratisme vers ce qu’ils nomment un « courant de pensée ultra minorisé d’extrême gauche tentant d’imposer leur idéologie à une majorité homosexuelle silencieuse ». La tactique sous-jacente est de se réapproprier un processus de victimisation qui leur permet de se faire entendre dans les médias (Valeurs Actuelles, Cnews, Morandini) et d’agréger un maximum de personnes autour du ressenti d’un déclassement des valeurs traditionnelles. Cet axe d’alliance des droites avec l’affirmation d’une identité homosexuelle que le groupe défend est en résonance avec les récentes tribunes de l’association Fiertés Citoyennes (amis du Printemps Républicain et de Caroline Fourest) qui qualifiaient les militant·es queer radicaux de groupuscules idéologiques anti-républicains. Mila et Fiertés Citoyennes partagent cette même passion de la laïcité 2.0, c’est-à-dire celle qui élargit la responsabilité de la laïcité de l’État aux citoyens. Là où ils divergent, c’est que Fiertés Citoyennes tente d’incarner une position plus centriste, plus « neutre » et « raisonnée », là où Mila et ses collègues assument une position plus conservatrice et biologisante orientée vers un illibéralisme politique. Leur racisme est soumis à ces mêmes critères, une politique assimilationniste pour les uns, et ségrégative pour les autres. Ils sont en revanche d’accord pour dire que l’islamophobie n’existe pas. Disons que là où les membres de Fiertés Citoyennes se contenteraient de quelques places pour des homosexuels républicains dans les rangs du pouvoir, les homonationalistes tentent d’engager leur corps dans la bataille. Dans les deux cas, ils se délectent de la colère des homosexuels blancs et nourrissent une angoisse sécuritaire pour justifier une telle campagne contre le militantisme d’extrême gauche.
Il faudra désormais se demander en quoi ce groupe homonationaliste, tout comme leurs collègues de Nemesis, sont le signe d’une nouvelle politique sexuelle du fascisme. On n’a pas affaire à une bande d’homosexuels discrets de droite façon Gabriel Attal ou Florian Philippot mais à l’exploitation d’une culture libidinale où se croisent identité homosexuelle et pulsion de mort à l’encontre de tous les « corps abjects » qui avilissent la civilisation française. Dans cet amoncellement de corps abjects qui font partie de leurs cauchemars civilisationnels se trouvent les Arabes, les musulmans, les drags queens, les queers radicaux, les gauchistes, etc., c’est-à-dire l’aboutissement de plusieurs années de renforcement de l’exceptionnalisme républicain. Ce fascisme qui s’adresse aux homosexuels leur promet une cuirasse caractérielle adaptée à leur identité sexuelle – une vision de soi comme un bunker – et c’est cette utopie sécuritaire qui fonctionne le mieux dans une époque où le mythe d’un occident hégémonique s’effondre de toutes parts. À voir désormais quel sera le rôle de ce groupe dans la fascisation de la politique française, s’il demeure enfermé dans sa condition de troll numérique ou s’il fera des « petits ».
Francine.
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