Dans ce deuxième volet (premier volet ici), j’aimerais parler d’un sujet actuel dans les milieux transmasculins, à savoir notre rapport à Grindr et, plus largement, à l’homosexualité cismasculine. Est-il vrai qu’on devient pédé quand on prend de la testostérone ? Recherche de « son vrai soi », soucis de distinction, ou une pièce pour comprendre un nouveau dispositif sur la sexualité qui est en train de se créer ? Ce texte, qui avait pour prétention d’origine à être envoyé au recueil de « Mecs Trans & Transmasc & Grindr », avait largement dépassé la deadline. Avec le consentement des éditeurs du dit recueil, nous avons décidé de le publier dans l’après-coup. Je remercie encore une fois Trou Noir de proposer d’accueillir le texte.
Source image : Gen Kuzak, producteur de p*rn* indépendant, enthousiaste de la culture FTM-dyke
Instagram @sadisticboyhunter - Twitter : @genevievekuzak
Lorsque j’ai commencé à utiliser Grindr régulièrement, c’était bien des années après avoir entamé ma transition hormonale. Je n’ai jamais ressenti une « augmentation de la libido » avec les premières prises de testostérone. Elle m’a servi sur plein d’autres aspects, mais pas sur celui-là : ma libido est toujours au sommet. On ne peut pas augmenter quelque chose qui est toujours à son plus haut niveau. Depuis que j’ai des souvenirs d’adolescence, je ne pense qu’à baiser, avec absolument tout le monde : les hommes, les femmes, et les butchs. J’ai commencé à baiser avec les hommes à l’âge de 13 ans, avec les femmes un peu plus tard, à 19-20 ans. Mais ce n’est qu’à partir de l’âge de 27 ans, bien après ma transition, que j’ai commencé à baiser avec des personnes comme moi.
C’est en arrivant à Paris fin 2020 que j’ai franchi cette barrière, grâce à Grindr et le COVID19. Couvre-feu à 18h en Île-de-France, pas de bars, pas grande chose à faire. Pas énormément d’amis à part un ami thésard et une amie qui venait d’être mère. Ça m’a paru une excellente idée de rencontrer de nouvelles genTEs grâce à une application spécifique pour la baise - et grâce à la baise en elle-même. Pendant la pandémie, Grindr était littéralement la seule application qui pouvait te garantir un contact humain, peau à peau, avec quelqu’un d’autre. Pour moi, Grindr n’a pas été une application pour « découvrir mon vrai moi », pour « découvrir les garçons en tant que garçon ». C’était une expérimentation sexo-politique et une réappropiation de l’espace virtuel pour faire des choses dans la vraie vie. Parce que, ne nous mentons pas : comparé aux débats éternels pseudo-métaphysiques de Twitter, Theorygram, ou Facebook, Grindr (avec Fetlife !) est la seule application qui transforme des paroles en acte ! Et j’ai fait d’excellentes rencontres là-bas !
Dynamite T4T
C’est un peu avant que j’ai commencé à voir le hashtag T4T un peu partout. T4T veut dire que t’es une personne trans qui ne veut relationner qu’avec d’autres personnes trans. Je l’ai mis direct dans mon profil de l’application. T4T résonne comme un hiéroglyphe difficile à prononcer, « comme la TNT » dit mon ami Du Loup Du Caniveau, T4T n’est attaché ni a la masculinité ni à la féminité, T4T n’a rien à voir avec une identité ou avec une corporalité ou une expression de genre concrète. T4T regroupe au sens large les dissidentEs du système sexe-genre. Même du point de vue graphique, c’est perturbant, on dirait que les deux T représentent deux canopées, et le 4 un arbre. C’est beau, mystérieux, un code. Pour moi, me dire « T4T » a été très libérateur à l’époque.
Malheureusement, les reterritorialisations ou les reformulations arrangeantes de la différence sexuelle du T4T n’ont pas tardé. Il y a celleux qui appliquent les calques « homosexuel », « hétérosexuel », etc., à l’intérieur de la formule, et comprennent ainsi le « T4T » comme un « espace safe », mais où « les hommes trans sont des hommes, les femmes trans sont des femmes » et tout ce tralala. Bon, rassurez-vous : ni l’hétérosexualité, ni (encore moins) la safitude n’existent à l’intérieur du T4T, et heureusement. T4T est un espace de rencontres sexo-affectifs où il pourrait être possible d’émettre une critique et de proposer une alternative à la différence sexuelle si on se met dès maintenant à expérimenter d’autres modèles de vie et de lien social. Mais cette expérimentation n’est pas exempte de conflits ou de violences, qu’elles soient issues d’autres systèmes d’oppression (race, classe, corporalité, handicap), ou non. Il ne faut pas comprendre le T4T sous la même tonalité des réinterprétations très contemporaines (et très édulcorées) du lesbianisme politique des années 70 si on ne veut pas se cogner contre un mur. J’évoque ici le lesbianisme politique non pas pour faire une analogie farfelue, ni pour les chiffres inquiétants de violences conjugales entre gouines, mais parce que ça va de soi que j’évoque ici la gouinerie au risque d’énerver bien plus d’un mec trans.
Welcome to the hell
Dans les rapports transmasculins, la question de la gouinerie butch4butch est de plus en plus esquivée et on insiste pour copier au millimètre la culture des gays cis. Mais pas de n’importe quel gay cis, attention ! L’identification des couples butch4buth ou transmasc4transmasc avec le porno gay ne date pas d’hier, Gayle Rubin nous exlique dans Of Catamites and Kings : reflections on Butch, Gender and Boundaries :
« L’érotique butch-butch est beaucoup moins documentée que la sexualité butch-femme, et les lesbiennes ne le reconnaissent pas toujours. Même si ce n’est pas un modèle rare, la culture lesbienne contient très peu de ce genre de modèles. Beaucoup de butchs qui ont des ébats avec d’autres butchs ont cherché dans la littérature et le comportement homosexuel masculin des sources d’imaginaire et de langage. Les dynamiques sexuelles butch-butch peuvent parfois ressembler à celles du sexe gay […] Beaucoup de butch-butchs pensent à elleux en tant que femmes qui font du sexe gay entre elleux. »
Notons néanmoins qu’à l’époque de Rubin, ces processus d’identification des gays cis, des transmasc et/ou des butchs, se font avec un certain type de masculinité des classes populaires, de la culture rock, punk, motards, des milieux ouvriers occidentaux. On peut dire qu’en raison du déclin de ces cultures, ces modèles ont changé et notre façon de voir les transmasculinités aussi. En revanche, d’autres masculinités des cultures populaires se sont consolidées depuis (le hip-hop, par exemple), sans qu’il y ait eu une adaptation queer ou au moins « camp » de celles-ci ; les masculinités gay, butch et transmasc s’assimilent de plus en plus aux « masculinités responsables », « délicates », « positives » prômues par l’homonationalisme. En fait, les gays cis nous ont rejoint (nous les transmasc et les butchs) dans la perte progresssive de référents culturels de masculinités « camp » au bénéfice du capitalisme rose. Welcome to the hell.
Autrement dit, et contrairement aux prédécesseurs « shlag » des années 80-90, être transpédé veut dire progressivement : fringues chères, fitness, tourisme dans les pays colonisés, être mince, jeune et blanc (autant en corps qu’en esprit). Avoir l’argent, l’envie et le timing de faire une mastectomie à 4000 euros avant même de faire un an sous testostérone. Pourquoi pas arrêter la testostérone. Arrêter les godes (c’est pas écolo…). Être mince, encore une fois. Travail stable (de préférence auto-entrepreneur en Ile-de-France). Être exclusivement passif (sérieux, c’est grave la pénurie de tops, basta !). Pudeur, natalisme, familialisme, soutien à la société capitaliste, le « chic », au milieu de la mode, tout ce qui est « faboulous ». Demander notre place dans la société avec un formulaire de politesse. Punitivisme. Un de ces jours, ça ne m’étonnerait pas d’entendre un « transpédé » défendre le FLAG ou les forces de l’ordre parce que « devenir flic est une vengeance contre le ‘cis-tème’ » ! Enfin, sur ce point, ce n’est pas juste l’assimilation, mais l’assimilation de l’assimilation ! Est-ce que toutes les minorités seraient en train de rentrer dans le moule d’une série de normes homogènes ?
Transpédé, histoire d’un terme
Revenons ensemble sur l’histoire du terme « transpédé » qui n’a pas toujours évoqué ces valeurs de « distinction sociale ». Ça risque de vous surprendre, mais les premières mentions de ce terme apparaissent dans les années 2000 dans des textes du ZOO, de Paul B. Preciado ou de MH Sam Bourcier, inspirés à leur tour par le milieu BDSM de San Francisco et notamment du collectif SAMOIS. Dans ces espaces, comme l’explique très bien Gayle Rubin (membre de SAMOIS), des termes tels que « transfag » surgissent très concrètement à un moment où les butchs attirés par d’autres butchs (ainsi que par le cuir, le latex, le sado-masochisme, etc.) décident d’investir des espaces de drague et de baise pédés, arrivant non seulement à une solidarité entre pédés et butchs, mais à un brouillage identitaire intéressant. Reste à mentionner le rôle incontournable des « bois » (/boïs/), c’est-à-dire (dans ce contexte-ci) des butchs qui investissaient des pratiques sexuelles passives, que ce soit avec d’autres butchs, des fems, ou des pédés. Un de ces « bois » ou « catamite » était Pat Califia (aussi membre du SAMOIS) qui, bien qu’il ait eu des propos assez blessants contre les butch « stone » (les butchs exclusivement actives), on peut comprendre qu’il le faisait pour « rendre salope » la butch et éviter une certaine capture de certaines butchs par les discours anti-sex. La production de Pat Califia à cette époque est particulièrement riche et nous donne plein d’outils. Dans l’article Des gays, des lesbiennes et du sexe : tous ensemble (1986), il défendait le droit pour que les gouines et les pédés baisent entre elleux comme une forme de solidarité queer.
Autrement dit, dans les décennies précédentes, « transpédé » apparaissait comme une provocation et comme le cri d’une sexualité monstrueuse exacerbée, tellement exacerbée qu’elle finit par « contaminer » le reste des identités qu’elle touche : comme une « multicartographie salope » (Preciado, 2012) qui refuse de réduire la butch à un.e butch asexué-e, phobique, et presque traumatisé-e du contact sexuel. Qui refuse de réduire qui ce soit à un traumatisme, même. Comme une revendication pornopunk qui se fout des godes partout pour faire chier autant les lesbiennes anti-sexe des années 80 que les espaces gays exclusifs. Il est impossible de comprendre l’histoire du terme « transpédé » sans comprendre l’histoire des butchs pro-sex. Et, surtout, on ne peut pas comprendre un terme (peu importe lequel !) sans comprendre quel était le rôle de ce terme à ce moment-là. L’usage que fait Preciado du terme transpédé dans Multitudes Queer pourrait peut-être nous éclairer :
« Par opposition aux politiques ’féministes’ ou ’homosexuelles’, la politique de la multitude queer ne repose pas sur une identité naturelle (homme/femme), ni sur une définition par les pratiques (hétérosexuelles/homosexuelles), mais sur une multiplicité des corps qui s’élèvent contre les régimes qui les construisent comme ’normaux’ ou ’anormaux’ : ce sont les drag kings, les gouines garous, les femmes à barbe, les trans-pédés sans bite, les handi-cyborgs... Ce qui est en jeu, c’est comment résister ou comment détourner des formes de subjectivation sexopolitiques.
Cette ré-appropriation des discours de production de pouvoir/savoir sur le sexe est un bouleversement épistémologique. »
Ici, le chapelet des identités mentionnées par Preciado n’est pas de l’ordre descriptif. Il ne s’agit pas des identités qui demandent une inclusion quelconque. Ce n’est pas une liste d’identités bienvenues dans un espace en non-mixité choisie. Ce ne sont pas des « identités de genre » qui demandent une « reconnaissance » de l’État. Ce n’est pas un « guide ». Elles sont, encore moins, des morphèmes à mettre d’un côté ou de l’autre du binaire. Ici, cette multitude de termes nous sert à déstabiliser la différence sexuelle – et donc le cishétéropatriarcat. En fait, certains mots sont même des idiolectes de l’auteur, comme d’habitude. On se doute bien que l’effet recherché est un étonnement dans l’ici et maintenant de la lecture, le bouleversement épistémologique se passe dans le moment même qui est proposé. On pourrait dire, en guattarien, que transpédé fonctionne comme « un opérateur sémiotique déterritorialisant ». En bref, ici « transpédé » (tout comme butch) n’est pas une identification, mais une désidentification, dans une volonté anti-taxonomique, anti-descriptive.
Être butch est très queer aussi !
Aujourd’hui, nous sommes sur le point complètement inverse : « transpédé » est devenu un soucis de distinction sociale (Beaubatie, 2021) où les mecs trans réaffirment leur « identité ressentie » d’homme féminin. Aujourd’hui, faire des choses (en étant assigné femme à la naissance) comme se raser la tête, porter une salopette, une veste en cuir, mettre une boucle d’oreilles mignonne, se muscler, baiser énormément, etc. n’est plus lu du tout comme être butch, mais comme « pédé ». Ce n’est pas dû, malheureusement, à une plasticité des termes puisqu’à l’inverse on dit rarement d’une pédale qui fait ces mêmes choses qu’elle soit gouine. On voit ici comment le terme « pédé » a été decaféiné et amputé de toute provocation, en tant que « nouvelle masculinité » adaptée à la société, ou, a minima, aux microsociétés du capitalisme arc-en-ciel : si on reformule le « transpédé » selon le mythe du mauvais corps (Missé, 2018), une personne assignée femme à la naissance aurait pu avoir depuis toujours « une âme pédé (d’homme masculin) » même si « on ne le voyait pas parce que c’était dans sa tête et que son corps et son âme ne se correspondaient pas ». C’est un délire de penser que « ton âme est sequestrée » et que t’étais pédé avant de transitionner, mais… c’est surtout un délire inintéressant ! J’aime les délires, mais seulement ceux qui sont créatifs. Or ici on parle du délire du citoyen qui veut rester sage, ne pas déranger, ne pas évoquer sa transition - encore moins son passé de femme et/ou gouine. C’est ainsi qu’à partir de la fin des années 2010 toute revendication « transpédé » est devenue une plainte demandant de l’inclusivité aux gays cis parce que « les hommes trans sont des hommes et les pédés sont des hommes », et non pas parce qu’on veut, tout simplement, baiser avec nos chattes, nos godes, nos barbes hormonées, nos biceps d’enfer et nos marcel là où on veut. Bref, cette définition évacue toute implication punk, BDSM, de brouillage identitaire, ou de perversion sexuelle.
Et bien sûr, tout sous-entendu de rapport entre transmasculinités et culture butch est vite accusé de transphobie basé sur des petits ressentis personnels. Décliner l’identité, se désidentifier, transitionner, être genderfucker en termes butchs, être butch ET pédé, être au moins respectueuxse avec les butchs qui nous ont précédé pour qu’on puisse se revendiquer comme transpédé, est aujourd’hui impossible. Les plus perdant-e-s, encore une fois, les interactions « T4T » entre transmasculins qui évitent toute logique butch4butch. Comme disait l’article « They call us fags » de Nick Witherow :
« c’était les personnes les plus adeptes de la ‘rupture du binarisme de genre’ et ‘queer as in fuck you’ qui désapprouvaient le plus [notre relation butch4butch] et iels nous le faisaient savoir. Iels faisaient des commentaires complètement surréalistes et retors : on ne pouvait plus être gouines, on devait être pédés ».
Tandis que ce « transpédé » (ou, directement, homme trans gay) reçoit toute ladite lumière chaude (Munoz, 2021) de l’acceptation, les identités butchs restent dans l’ombre, perçues comme « un retard, un arrêt dans le temps » (val flores, 2021), comme un obstacle à l’émancipation des personnes trans assignées femme à la naissance. Non seulement les transmasculins oublient leur histoire, mais « butch » est devenu un tabou. Ce qui m’intéresse ici ce n’est pas tant la défense d’une chapelle, de tel ou tel mots (je revendique tous les mots du monde, en général), mais comment certains mots de la dissidence sexuelle finissent par s’adapter aux demandes du système qu’on est censé combattre (même quand ces mots à l’origine étaient une rupture contre l’ordre établi [1]), et comment, en revanche, certains mots sont devenus des archaïsmes. Bien que ces dynamiques soient présentes dans toutes les langues, il faut rester critiques face la désuétude de certains termes dans les politiques queer, surtout au moment d’une imminente récupération trans-homonationaliste.
Il est important de le dire, et je ne le dirai jamais assez : ni les TERFs, ni les activistes trans contemporains n’ont raison (encore moins ceux qui sont TERFs et activistes trans en même temps !) quand ils essayent d’opposer les butchs aux théorisations queer. Que ça vous plaise ou non, des figures importantes de la théorie queer (Butler, Halberstam, Preciado, Bourcier) n’ont jamais arrêté d’être butchs, même si les pronoms, même si les hormones, même si tout ça. Parce que jamais on n’arrêtera d’être butchs. L’archétype de la butch doit (surtout en France !) se flexibiliser, pousser ses barrières au-delà du « token » de la lesbienne blanche légèrement androgyne ou « dandy » politiquement respectable à la Ellen Degeneres.
Ma pandémie ne s’est pas arrêtée
Peut-être que revendiquer ce qui est loin des néons, de la visibilité compulsive, du « show », de la nouveauté, est un pari intéressant. La déclaration d’intentions est faite. Je n’arrêterai pas d’utiliser Grindr même si je ne suis pas un homme, mais gouine et que je ne ressemblerai jamais à un homme ni en termes de perception ni en termes de conscience, pour paraphraser Wittig. Grâce au code morse « T4TT4T4T4T4T4T4T4T » lancé sur les ondes d’un programme sur un appareil similaire à un tamagotchi, je contacterai d’autres personnes transmasculines. On se verra, on baisera, et je les contaminerai avec ma butchitude. Je leur dirai par télépathie qu’iels sont de sales gouines quand iels écarteront leurs jambes en face de moi. Tout leur ressenti de « genre psychologique » sera souillé par mes fluides, leur statut de « vrai homme » remis en question. Je les lirai pas pour autant en tant que femmes, mais en tant qu’être vivant aussi fugitif et monstrueux que moi.
Quand je les aurai contaminés avec ma butchitude, iels parleront d’autres langues avec moi. Mes amants transmasculins ne parleront plus la langue de l’inclusion ou de la mondialisation. Iels ne parleront plus le franglais des drag queen « cheap » françaises. Iels parleront d’autres langues mineures. Iels parleront la contra-sexualité, le devenir chien.n.e, « matcho salope ». Iels parleront la langue muette de la performance, du pornoterrorisme, de l’érotisme. Iels parleront même des langues dites mortes. Iels feront leurs discours à partir de leurs gémissements (val flores, 2021). Iels ne danseront plus le voguing et maîtriseront l’art de comment chevaucher avec un bon gode-ceinture. Iels ne cuisineront plus pour les autres, à part la cuisson des sextoys. Iels apprécieront se raser la tête, porter une salopette, une veste en cuir, mettre une boucle d’oreille mignonne, se muscler et baiser énormément en tant que technologies de code ouvert qui n’ont pas besoin de s’adapter à la langue du régime pour être lisibles.
Mon oncle Demetrio Gomez me dit que mon esthétique semble d’une autre époque. Avec ma transmasculinité butch, je ferai que mes amantEs et mes amiEs vivent dans une autre temporalité. Je contaminerai mes amantEs avec ma nostalgie, ma tendresse envers le passé, ma lutte contre l’oubli, ma lenteur. Le virus du COVID 19 nous a permis de tirer la leçon de ralentir nos rythmes de vie. Nous ne l’avons pas fait : au contraire, le capitalisme numérique s’est accéléré. Être butch, c’est aussi mettre le temps en pause. Peut-être qu’être butch est le seul virus qui pourrait sauver la planète de sa destruction. Je finis ce texte covidé.x.e. Comme le COVID 19, je continuerai à muter. Comme le COVID 19, je continuerai à être partout, jusqu’à ce que toute l’espèce humaine dans son ensemble fasse une remise en question du système patriarcal, capitaliste, colonialiste et écocide.
Selon Preciado (2001) : « Les butchs du prochain siècle n’auront plus besoin de se ressembler à James Dean ou d’avoir la bite de leur père. Iels seront en train de jouer avec la séquence d’ADN qui les sépare de l’évolution hétérosexuelle et iels seront en train de muter ». Quatre ans auparavant, le chanteur espagnol Alejandro Sanz disait, « je la retrouverai à nouveau, avec un autre visage, un autre nom et un autre corps ». Nous avons été prévenu.x.e.s.
Ricardo-Maria V. Robles
Source image : Gen Kuzak, producteur de p*rn* indépendant, enthousiaste de la culture FTM-dyke
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Pour aller plus loin…
- Bourcier, Sam (dir.) (1998) Q comme Queer : les séminaires Q du ZOO (1996-1997). Ed. Gay Kitsch Camp
- Del Lagrace Volcano ; Halberstam, Jack (1999) The Drag King Book. Ed.Serpent’s Tail
- Flores, val (2021) Romper el corazón del mundo : modos fugitivos de hacer teoría. Ed. Continta Me Tienes
- Califia, Pat (2008) Sexe et utopie. Ed. La Musardine
- Preciado, Paul B. (2003) Multitudes Queer. Revue Multitudes 2003/2 (n°12)
- Preciado, Paul B. (2000) Prothèse mon amour. Dans Attirances : lesbiennes femmes/lesbiennes butchs.(dir. Christine Lemoine, Ingrid Renard). Éditions Gaies et Lesbiennes
- Rubin, Gayle (1992) Of Catamites And Kings : reflections on Butch, Gender and Boundaries.
[1] Ça dépend, encore une fois, de la langue, et du sujet énonciateur. Tandis que pour une personne AMAB se dire pédé peut être une porte de sortie et même une éventuelle possibilité de transféminité, pour les personnes AFAB finit par réaffirmer le mythe du mauvais corps.
Bref compte rendu du dernier ouvrage de Paul B. Preciado (Dysphoria Mundi), en lecture croisée avec d’autres auteur.e.s (Félix Guattari, Louisa Yousfi)
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