TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Dépêches d’entre les DamnéEs

Dans ce texte, initialement paru dans la revue Pinko, Nsámbu Za Suékama reprend la question des violences et de la paranoïa anti-trans qui envahissent l’entièreté du champ social – et pas seulement américain. Le point de départ de sa réflexion est celui de ses propres expérimentations politiques et communautaires (groupes d’entraide, abolitionnisme pénal, autonomie noire) qui l’amenèrent à ressaisir les questions transféministes à l’aune du tiers-mondisme et de l’anti-autoritarisme. A partir de la notion de nexus patriarcal, Nsámbu Za Suékama s’engage dans l’analyse des relations internes entre les subjectivités colonisées, des effets néfastes produits par l’hétérocispatriarcat blanc sur leur puissance d’organisation, de la reproduction sociales des relations matérielles mais aussi des sites de résistance présents et activés par une lutte décoloniale matérialiste.

Trou Noir remercie Transféminismetrad pour cette traduction ainsi que Nsámbu Za Suékama et Pinko pour leur confiance.

Dans l’optique de diffuser ces idées et de les infuser dans nos mouvements, ici en France, le collectif Transféminismetrad propose cette première traduction d’un des textes introductifs à la pensée de Nsámbu Za Suékama, couvrant une variété de concepts et d’idées développées dans d’autres de ses écrits, pour pouvoir servir d’introduction à ceux-ci, et à leur traduction. En fin d’article, les traducteur.ices invitent toutes les personnes intéressées à les contacter pour traduire collectivement ses écrits.


Je m’appelle Nsámbu Za Suékama, ce qui signifie « un bienfait caché », j’étais la co-fondatrice d’une organisation d’intervention rapide et d’entraide mutuelle appelée SQuAD, qui n’existe plus aujourd’hui. Nous nous étions inspiréEs de Street Trans Action Revolutionaries [STAR], l’organisation co-fondée par Marsha P Johnson et Sylvia Rivera. Notre idéologie était celle de l’autonomie noire ou de l’anarchisme noir, dans l’esprit de Kuwasi Balagoon – militant New Afrikan [1], soldat de la BLA [2] et révolutionnaire bisexuel. Nous étions actifves à New York City entre 2019 et 2021. L’organisation était uniquement composée de personnes noires et trans/non-binaires. SQuAD n’existe actuellement plus, mes camarades et moi sommes occupéEs à reprendre des forces et à nous recalibrer à la suite de l’été chaud et rouge de 2020. Nous avons toustes évoluéEs au-delà de SQuAD depuis, chacunE de notre propre manière. Je me suis personnellement attelée à me concentrer davantage sur une théorisation du transféminisme, et particulièrement de ses liens avec l’anti-autoritarisme et le tiers-mondisme.

Je suis inquiète, mais pas surprise, de l’état actuel des conditions de survie des personnes trans* aux États-Unis en cette année 2022. Je n’ai aucune confiance en ce pays, compte tenu à la fois de son histoire et de ce dont j’ai pu être témoin depuis le peu de temps que je vis sur cette planète. Lorsque Michael Brown a été assassiné en 2014 et que le soulèvement de Ferguson s’est propagé hors du Missouri, je me suis souvenue des germes d’une hésitation de toute une vie à propos de cette colonie de peuplement, du capitalisme, et de l’autorité politique. Ces germes ont commencé à se développer. Bientôt, je suis passée des feux des luttes contre la police et la prison aux mouvements nationalistes noirs. Je pense que la période entre ces jours qui ont changé le monde et ce qui s’est passé durant les soulèvements de 2020 est importante pour comprendre les lois et guerres culturelles anti-trans contemporaines. 2020 fut une rébellion ardente durant laquelle le prolétariat noir, le sous-prolétariat noir [3] et les communautés marginalisées noires ont incendié des commissariats, pillé des magasins, détruit des biens, redistribué des marchandises aux masses, et ont aidé à popularisé l’entraide mutuelle comme méthode d’organisation. Cette rébellion enflammée n’aurait cependant pas pu exister sans les dénommées émeutes qui l’ont précédée suite à des violences policières, ici aux États-Unis, et particulièrement celles qui ont eu lieu dans les années 2010 – la décennie Black Lives Matter.

La classe dominante, les fascistes, et les cishétérosexistes ont peur de la révolte des NoirEs : elle menace leurs intérêts de propriété. Le transantagonisme auquel nous assistons actuellement est une façon de dire que « trop c’est trop » en ce qui concerne tout type de changement progressiste dans ce pays, aussi progressiste soit-il, à cause de la peur de la rébellion des NoirEs. Cela me rappelle fortement la façon dont la Reconstruction a été compromise [4], ou la façon dont le mouvement Black Power a été entravé [5] Les membres de la communauté noire qui veulent rejoindre la classe dominante sont, comme lors de ces périodes précédentes, particulièrement prêtEs à défendre les intérêts de propriété en collaboration avec l’État et les colons. Ce qui est unique au moment actuel est que tout le monde soutient complètement à la fois la police et le maintien de la Famille comme une base économique fondamentale de cette société bourgeoise. Je veux dire, depuis combien de temps depuis l’émancipation les problèmes classiques associés à la noirceur dans ce pays ont-ils été les violences policières et les soi-disant « familles dysfonctionnelles »  [6] ? Il semblerait que ce que le transantagonisme participe à dépasser, est cette fracture entre une colonie interne noire assujettie et la société civile coloniale dominante. Les traîtres chefs néocoloniaux dans la première [7] et les composantes fascistes de la seconde réagissent tous deux à des décennies d’activités subversives venant des NoirEs qui se sont cristallisées dans les luttes abolitionnistes queer et trans pendant les années 2010. Si cette avant-garde peut être affaiblie, alors les implications anticoloniales globales qu’elle peut avoir pourraient être renversées ; de mon point de vue, c’est cela qui est le mécanisme sous-jacent à l’œuvre actuellement. Nous devons dès lors nous préoccuper de la lutte des classes, de la libération trans et de la Tradition Radicale Noire (comme identifiée par Cedric Robinson [8]).

Il peut être déconcertant de considérer un tel niveau d’urgence et d’exigence autour de ce que signifie être noirE et trans*. On préférerait que l’on ne nous dise pas que l’on est en quelque sorte une menace à l’ordre politique et économique, et à tous les réseaux culturels et nexus sociaux qui le composent et le calibrent. Il y a des jours où j’aimerais qu’on me laisse tranquille. Il y a des jours où j’aimerais éviter le fait que dans toute conversation ressorte à chaque fois le sujet de paniques homophobe et transphobe. Il y a cependant d’autres jours où la fierté [au sens de Pride] est une question de « niquer le système ». Il y a des jours où je suis enthousiaste à l’idée que la fierté, dans ses formulations contemporaines, prend ses racines dans des explosions comme la rébellion de Stonewall et les émeutes de la Compton’s Cafeteria. Il y a des jours où je suis fière de mes traditions ancestrales en Afrique, qui faisaient par ailleurs une place à celleux d’entre nous que l’on identifie actuellement comme « trans » ou « queer » mais au sein d’un système général de relations autochtones, que ce soit en tant que shamans ou serviteurEs royalEs, prêtres, et plus. C’est à mon avis un mélange compliqué ici. Être à la fois une menace et être non-menaçante a trait aux implication sociales d’une complexité qui émerge de l’évolution historique et matérielle de certaines conditions humaines et écologiques d’une géographie particulière. La diversité même qui caractérise nos arc-en-ciel et parapluies et spectres variés au-delà de la binarité de genre et les continuums de queerness et de transitude sont une conséquence de ces développements structurels ; ils en sont ni adaptatifs ni inadaptatifs (on voit ici mon intérêt pour la géographie/écologie/biologie critiques et radicales).

Supposons par exemple que la société de classe coloniale et l’ordre politique soient comme un dôme placé au sommet d’arches arrondies. Il y a des tentatives progressistes d’inclure la queerness et la transitude comme si elles étaient « adaptatives » et des tentatives conservatrices d’exclure la queerness et la transitude comme si elles étaient « inadaptatives ». Ce seraient des outils pour construire les nécessaires « trompes » triangulaires qui relient le dôme et les arches l’un à l’autre (c’est une image que je reprends depuis des sciences inspirées de Stephen Jay Gould et RC Lewontin). Cela pour dire : le capitalisme et le colonialisme n’ont pas besoin d’une rigidité du genre ou d’une expansivité situationnelle du genre pour des raisons fondamentales ou mystérieuses. C’est parce qu’ils nécessitent de nous réduire en conséquence d’une longue histoire de « développement » pour une certaine civilisation. En particulier, en ce qui concerne les personnes noires trans*, j’aime bien utiliser la métaphore du renard et du loup de Malcolm X : le premier va te sourire, mais quand même te dévorer, tandis que le second va te grogner dessus et expliciter sa soif de sang dès le départ. Ils veulent tous les deux nous consommer, pour laisser intacte la société dominante. Ce que nous observons actuellement consiste à ce que la balance penche à droite, alors qu’elle avait supposément penchée à gauche pour nous fournir une « représentation » dans le passé. Cette représentation a toujours fait partie d’un projet d’incorporation, autant que l’essor actuel de transantagonisme fait partie d’un projet d’élimination. C’est les expansions du patriarcat qui ramènent directement aux restrictions patriarcales, et vice versa.

Sanyika Shakur avait prévu que l’on en arriverait là, en 2012, dans The Pathology of Patriarchy  [9]. Il l’a appelé le « problème de l’action-réaction-solution », et l’a formulé en termes de néocolonialisme et de gouvernance. Il y a, dans ses théories, le Patriarcat Majeur, qui a passé toutes les lois anti-sodomie coloniales, a détruit les filiations communalistes [10] et autres formations moins atomisées, a aliéné les hommes de leurs collectivités, a mis en place la double charge ou la Triple Oppression pour les femmes (à la Third World Women’s Alliance) [11], et a fait la guerre aux genres et catégories de sexe transgressives avec la participation de populations variées. Ces mêmes forces veulent maintenant faire croire qu’elles se soucient des droits humains. Leur raison progressiste est cependant possible seulement parce qu’elles externalisent la violence cishétérosexiste de la société de classe coloniale du cœur impérial aux périphéries, incluant aussi les colonies internes. Cela aide à établir un Patriarcat Mineur au sein des exploitéEs. C’est pourquoi les lois et la représentation peuvent offrir beaucoup, au sein du capitalisme, aux expressions blanches de queerness/transitude, tandis que pour celleux de l’autre côté de la ligne de partage des couleurs [12], pour nous les damnés de la Terre [13], la raison progressiste n’a rien fait de plus que d’inciter à davantage de violence contre nous. Les forces du Patriarcat Mineur voient cela arriver et prétendent qu’être pro-trans/queer ou même féministe revient à être pro-Empire ; et les progressistes au sein du Patriarcat Majeur vont pointer ces phénomènes pour pinkwasher des génocides et apartheid, et faire avancer l’homonationalisme et des interventions militaires. Pendant ce temps, les forces réactionnaires au sein du Patriarcat Majeur s’allient aux responsables politiques et religieux du Patriarcat Mineur contre un soi-disant « lobby gay » ou « lobby trans » et, malheureusement, il y a des forces prétendument progressistes au sein du Patriarcat Mineur qui veut adopter ces idées, en particulièrement à travers des notions « d’oppressions basées sur le sexe ». C’est de cette façon qu’un féminisme transantagoniste peut diviser davantage encore la lutte des coloniséEs.

C’est du gâchis de voir des féminismes et même des socialismes adopter des positions rétrogrades sur la libération trans. Cela peut nous faire douter qu’il y ait un quelconque espoir d’émancipation pour ce siècle, voire pas du tout, lorsque l’on voit ces mouvements alimenter la haine anti-trans, et particulièrement la transmisogynie. J’essaie cependant de me tourner vers l’histoire. Au sein de l’église catholique, une doctrine de « complémentarisme » fut adoptée pour certaines dénominations, affirmant l’égalité ontologique des deux soi-disant sexes, tout en insistant sur une distinction ou différence innée et inhérente à la fois dans la forme et dans la fonction, à un niveau social et spirituel. C’est une façon de catégoriser l’humanité dans des rôles fondamentalement patriarcaux à travers un appel à la nature ou aux traditions en ce qui concerne le sexe, tout en prétendant ne pas être sexiste. Il semblerait que des féminismes radicaux ou prolétariens ne soient pas si loin de cette pensée complémentariste, bien qu’ils ne le formulent pas en des termes religieux. Les féministes et gauchistes contemporainEs ont profondément transformé ce qui était autrefois une application utile d’idées du milieu du 20e siècle à propos de l’utilisation de caractéristiques soi-disant sexuelles pour faire perdurer un système genré spécifique aux relations de classe. La thèse est désormais que « le sexe est réel, le genre est métaphysique », ou bien l’idée que l’organisme humain n’est qu’un récipient passif de forces matérielles historiques externes liées à la façon dont l’oppression sexuelle est structurée. Aucune de ces interprétations n’est vraiment scientifique ou dialectique, en particulier parce qu’elles ne remettent pas en question le dimorphisme/dualisme et la binarité de genre occidentale. Il est parfaitement clair qu’il n’y a pas que les luttes décoloniales et pour les droits civils qui ont été récupérées : nous devons nous rappeler que les luttes féministes et de gauche l’ont aussi été. Des mouvements avec des liens ou des aspirations au pouvoir étatique et aux programmes législatifs vont tracer des lignes transantagonistes ; c’est ce qui est le plus adapté à un maintien d’un pouvoir politique en charge de la gestion des changements des conditions matérielles des exploitéEs. Pour les tentatives les mieux intentionnées vers une transition socialiste, elles devront lutter contre les transantagonisme et queerphobies prenant la forme de ces institutions économiques que sont le mariage et la famille.

Que doit alors faire le mouvement trans, en particulier le Radicalisme trans noir, en réponse à tout cela ? Pour moi, il doit d’abord réaliser que les luttes d’autodétermination nationale composent le contexte de ce qui se passe pour les luttes d’autodétermination de genre. Si nous ne priorisons pas l’anti-colonialisme, en particulier la lutte contre la négrophobie, alors nous échouerons. Une fois que nous aurons établi une conscience qui situe l’autodétermination de genre dans l’horizon d’autodétermination nationale, alors nous devons considérer que tous les obstacles bourgeois à la seconde, contre lesquels tout le monde de Fanon à Rodney à Cabral aux anarchistes mettait en garde, seront alors assurément présents dans la première. C’est pourquoi j’encourage les gens à lire le chapitre trois des Damnés de la Terre, appelé « Mésaventures de la conscience nationale ». Il y a différentes classes au sein des oppriméEs qui veulent occuper des positions qu’elles ne pouvaient pas occuper avant l’indépendance. Elles vont sans surprise tenter de s’ériger comme représentantes des intérêts des prolétariat et sous-prolétariat, et ensuite s’efforcer de se faire concurrence l’une avec l’autre en attisant la haine et l’arriération contre le soi-disant « Autre ». L’Occident et les autres forces hostiles aux libérations noire et du tiers-monde sont particulièrement investies dans ces évolutions, parce qu’elles maintiennent le capitalisme intact, particulièrement (mais pas seulement) si elles présentent une opportunité pour eux de débarquer en « sauveurs ». L’impérialisme est l’acteur principal ici ; mais cela ne signifie à aucun moment que les coloniséEs ne possèdent pas de forces internes (endogènes) à nos communautés qui facilitent et encouragent la misère et l’assujettissement collectifs. La tâche est de découvrir comment, pourquoi, qui et dans quels buts.

J’ai précédemment utilisé le mot « nexus » et je pense que la famille, le Patriarcat Majeur, le mariage et la cishétéronormativité prises ensembles constituent l’un de ces nexus. Il existe cependant des nexus non-hégémoniques que le Patriarcat Majeur a éradiqué, avec des conséquences néfastes pour les relations internes aux coloniséEs, ce qui motive la croissance d’un Patriarcat Mineur pour remplacer le vide ainsi créé. Ce que nous comprenons comme « expansivité de genre » ou transitude ou queerness chez les coloniséEs est inextricable de ces nexus non-hégémoniques et subordonnés. Je pense que nous, populations queer/trans noires et du tiers-monde, deviendrons inévitablement plus conscientes de nous-mêmes avec la matérialité et la métaphysique de ces nexus en tête si l’autodétermination de genre devient l’horizon d’une lutte d’autodétermination nationale actuellement inadéquate. Le nationalisme a été forcé d’évoluer de formes libérales et purement basées sur la race et la religion à une compréhension scientifique et communiste/socialiste à la Black Power de l’importance historique mondiale de cette lutte. Il me semble que l’autodétermination de genre va devoir évoluer au-delà de sa phase de préoccupations liées aux droits de l’homme et de revivalisme spirituel et de réductionnismes, tout en redécouvrant et confrontant les contradictions des relations internes (des nexus) et, enfin, acquérir une compréhension communiste/socialiste et matérielle de sa propre importance historique mondiale. Cela aura ensuite un impact sur l’avancée de la lutte des classes et, à terme (à mon avis), la lutte contre les hiérarchies et l’État.

Quant aux personnes trans blanches et occidentales, si iels ne luttent pas avant tout pour freiner et, à terme, détruire le pouvoir asymétrique exercé par le Nord Global, en donnant la priorité à un soutien concret et militant à la libération noire et aux mouvements Land Back [14] ; alors cela ne ferait que maintenir la mainmise et l’inertie idéologique d’un moment qui alimente le transantagonisme mondial et encourage la transphobie réactionnaire dans le Sud Global. Il sera essentiel pour les soi-disant alliéEs hors de nos communautés de faire quitter les terres autochtones et particulièrement africaines aux puissances coloniales. C’est une tâche considérable qui attend chacunE d’entre nous, et qui exige plus que ce que je pourrais lister ici ou même exprimer en tant qu’individue. Nous sommes au 21ème siècle, pas aux 20ème. Nous ne pouvons jamais retourner à l’époque qui était perçue comme l’apogée de la ferveur anti-coloniale. Nous sommes aussi au milieu d’un moment handicapant de masse, sans même mentionner l’extinction de masse en cours. On doit ici faire face à quelque chose d’existentiel et ontologique. Les anciens modèles et théories ne suffisent plus ; et une simple remise en question des nouveaux modèles et théories ne nous mènera nulle part.

Nous ne pouvons que chercher à découvrir la mission de cette génération. Pour moi, cela revient à réaliser que si le problème du siècle précédent était celui de la ligne de partage des couleurs, alors le problème de ce siècle tourne autour de comment la ligne de partage des couleurs est plus fermement enroulé (même si occasionnellement détendue) par un fil genré. Les personnes trans* noires vont devoir devenir ingouvernables et se préparer à un long siècle de lutte, en gardant cela en tête. Plus on se rapproche du 22ème siècle, plus je peux nous imaginer renverser la situation. Je peux le ressentir. J’en rêve. 2020 nous a donné un avant-goût de ce qui était possible. Je garde donc espoir : même si ce moment peut être ressenti comme une apocalypse, une apocalypse est juste une révélation. Puissions-nous encore lever le voile sur les conditions du monde d’aujourd’hui – qui ont été mystifiées à cause de ça – et pas juste les étudier, mais bien lutter pour changer le monde tandis que l’on change et se définit nous-mêmes, nos noms, nos pronoms, nos façons de se présenter, nos corps, nos identités, nos esprits.

par une sœur-en-plein-vol,
Nsámbu Za Suékama (“un bienfait caché”)

Nsámbu Za Suékama est une théoriste et militante révolutionnaire de l’écologie noire, du matérialisme transféministe, du tiers-mondisme, de l’autonomie/anarchie et du radicalisme anti-autoritaire noir, ainsi qu’une conteuse, poète, performeuse, rappeuse, femme trans et non-binaire, handicapée. Elle peut être financièrement soutenue sur Patreon. Ses nombreux écrits, notamment sur le transféminisme noir et la tradition radicale noire, ne sont que très peu traduits et diffusés hors de leur langue d’origine, malgré une diversité foisonnante dans la quantité de concepts et d’idées – parfois ensuite reprises par d’autres auteurEs – et une importance vitale pour les mouvements transféministes, antiracistes et anti-autoritaires.
Dans l’optique de diffuser ces idées et de les infuser dans nos mouvements, ici en France, le collectif Transféminismetrad propose cette première traduction d’un de ses textes introductifs, couvrant une variété de concepts et d’idées développées dans d’autres de ses écrits, pour pouvoir servir d’introduction à ceux-ci, et à leur traduction. Ce projet se veut collaboratif dans plusieurs sens : tout d’abord, il invite toutes les personnes intéressées à les contacter (notamment via le mail transfeminismetrad[at]proton[.]me) pour traduire collectivement ses écrits que l’on pense pertinents au contexte en France, et qui peuvent parfois être plus longs et basés sur davantage de références non-traduites (le côté plus pratique n’est pas encore défini et, selon les personnes intéressées par le projet, pourrait prendre la forme à la fois de collaborations à distance, de réunions en petits groupes pour travailler sur un texte, ou d’événements publics de traduction/discussion). L’idée serait aussi de construire, collectivement avec l’auteure, une synthèse de sa théorie avec des concepts et phénomènes propres à la région depuis laquelle on traduit et diffuse ces écrits, afin de permettre un échange théorique et critique concret entre nos différentes géographies, et les transféminismes qui les traversent.

[1NdT : la Republic of New Afrika est une organisation nationaliste et séparatiste noire fondée en 1968 aux États-Unis

[2NdT : la Black Liberation Army était une organisation marxiste et nationaliste noire de lutte armée issue du Black Panther Party aux États-Unis dans les années 70-80

[3NdT : en anglais "underclass", qui se traduirait littéralement par sous-classe, parfois par lumpen, désigne une catégorie urbaine d’une pauvreté aiguë et concentrée dans certains quartiers, typiquement racialisée, noire et criminalisée

[4NdT : la période qui suit la guerre de Sécession et la fin de l’esclavage aux États-Unis, marqué par une tension entre le camp modéré et le camp radical sur les conditions de réintégration des États du Sud, et des changements (non-)implémentés dans ceux-ci

[5NdT : une branche plus radicale du mouvement de libération noire au sein du mouvement américain des droits civiques dans les années 60 à 80, marqué notamment par le choix d’actions plus violentes en opposition aux méthodes pacifistes et non-violentes et faisant suite aux émeutes de 1964-1965, une volonté de développer l’autosuffisance, ou le développement du Black Panther Party ; et par les opérations de contre-espionnage COINTELPRO de la part du FBI, caractérisées notamment par des surveillances, infiltrations, intimidations, emprisonnements ou assassinats de militantEs.

[6NdT : référence au rapport Moynihan écrit par un assistant du ministre du Travail, qui blâme la pauvreté des NoirEs aux Etats-Unis sur l’absence relative de famille nucléaire dans les formes prises par les familles noires

[7NdT : en anglais, le terme « Black misleadership class » désigne les forces politiques noires qui s’intègrent aux champs politique et capitaliste pour y être représentées, et trahir les intérêts des masses noires pour y parvenir

[8NdT : notamment dans son livre Marxisme Noir, récemment traduit et publié chez Entremonde, faisant référence à une tradition aux origines anticoloniale et antiesclavagiste.

[9NdT : Sanyika Shakur était un nationaliste noir ayant fait partie du mouvement de la Republic of New Afrika

[10NdT : le communalisme africain fait notamment référence a des sociétés égalitaristes, sans classes et sans hiérarchies en Afrique ; on peut par exemple lire à ce sujet le chapitre 3 d’African Anarchism de Sam Mbah et I.E. Igariwey, dont une traduction est disponible sur anarlivres

[11NdT : la triple oppression, ou « triple jeopardy » fait à la fois référence au concept liant les trois types d’oppression que sont l’oppression de classe, le racisme et le sexisme ; et le journal nommé ainsi de l’organisation en question, organisation révolutionnaire et socialiste de femmes racisées aux États-Unis dans les années 68-80, liant ces trois oppressions, aussi sous la forme de connexions entre l’exploitation capitaliste, l’impérialisme global et l’oppression des femmes racisées

[12NdT : « color line » en anglais, qui fait référence d’abord à une ligne physique de la ségrégation raciale après l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, puis à une expression popularisée par W.E.B. Du Bois, décrivant à la fois le côté légal des discriminations raciales et les inégalités raciales perdurant aux États-Unis

[13NdT : en français dans le texte, référence au livre de même nom de Frantz Fanon

[14NdT : mouvement initié par les populations autochtones des États-Unis, du Canada, d’Australie et d’autres territoires colonisés afin de lutter pour un retour à un contrôle autochtone de leurs terres ancestrales

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