A l’occasion d’un colloque à Bordeaux en février dernier sur les questions de la marge et de la ville, l’architecte et doctorant Adrien Le Bot nous propose un voyage dans sa recherche protéiforme, entre architecture, études urbaines, art et anthropologie.
Sa thèse intitulée « Des pratiques sexuelles dans l’espace public : refoulements, impensés, créativités », sous la direction d’Eric Chauvier, propose d’explorer des lieux (parkings, forêts, aires de repos, littoraux…) qui ont pour point commun d’accueillir des pratiques sexuelles secrètes : les lieux de drague.
Ces lieux se comptent par millier en France. Ils proposent, au-delà de la sexualité, une échappatoire au quotidien ; une expérience du dépassement des limites, des règles et parfois des lois ; des territoires de libertés et d’expérimentations diverses.
Pour cette présentation Adrien Le Bot nous propose d’entrevoir l’état de sa thèse notamment en nous parlant des méthodologies qu’il met en place. Elles constituent en effet le fondement de sa recherche car ces terrains bien spécifiques réclament une manière de faire qui se joue des outils classiques de la recherche. Son travail explore principalement des lieux en Bretagne, où il habite, en suivant les grands axes routiers, entre périphéries des grandes villes et campagne.
L’un n’existe pas sans l’autre
Je vous propose de commencer par explorer ce titre qui pourrait être séparé en deux parties. La première : « des pratiques sexuelles dans l’espace public ». Cette notion d’espace public est questionnée enpermanence dans mon travail car il semble difficile, pour ne pas dire impossible, de faire exister ces lieux et ces pratiques sur la place publique. Et pourtant …
Il s’agirait plutôt d’un jeu de cache-cache avec cette notion d’espace public. Les lieux de drague ne se trouvent jamais sur la place publique, c’est-à-dire aux yeux de tous, même quand ils se situent dans des lieux très fréquentés. Ils proposent, au contraire, un nombre important de stratégies pour se cacher, se superposer, se substituer à l’espace public dans la mesure où - c’est mon hypothèse de recherche - cet exercice , est constitutif du territoire des lieux de drague. Ainsi, ces lieux se rapprochent de la notion de parts maudites, développée par Georges Bataille (1967). Alors, si l’espace public est la face émergée, les lieux de drague font partie eux, des lieux qui constituent le côté face, la face immergée. Mais l’un n’existe pas sans l’autre.
Même si certains lieux de drague se situent dans les centres urbains [1], la majorité se trouventen périphérie des grandes villes ou éparpillés au quatre coins de la France, généralement en suivant les réseaux routiers importants. Ce sont des lieux extérieurs issus du détournement d’un morceau de forêt, d’un parking, d’une aire de repos, de toilettespubliques, d’un souterrain, d’une plage... Certains sites ne sont actifs qu’à un moment précis de la journée ou de la nuit. Ce sont des territoires à proximité de lieux d’intérêt, ce qui permet aux usager de justifier leur présence sur les lieux de drague à leur entourage. Si le site est proche d’un parcours de santé, c’est pour prétexter que l’on va faire son jogging ; si un autre est à proximité d’une déchèterie, c’est pourjeter ses déchets ; sur une aire de repos, c’est pour satisfaire un besoin pressant. Autant d’alibis qui participent du processus d’excitation inhérent aux lieux de drague.
Refoulements, impensés, créativités
La deuxième partie du titre propose de considérer une succession de trois notions : refoulements, impensés, créativités. Ellesmarquent mon intérêt pour ces lieux, ce que l’on pourrait appeler ’le moteur du désir de cette recherche’.
Le refoulement va s’intéresser à la nécessité de ces lieux. En effet, une des hypothèses à propos de leur existence est qu’ils opèrent un rôle d’institution secondaire. Ils sont, dans un même mouvement, fustigés, stigmatisés et pourtant hyper fréquentés. Ils offrent ainsi la possibilité d’évacuer une charge libidinale qui ne peut pas être assumée par l’espace public qui est un espace surveillé, contrôlé. Cette sorte d’institution secondaire pourrait être appelée « parts maudites » en tant que ces lieux se jouent de l’espace public pour en révéler un imaginaire latent.
L’impensé renvoie au caractère interlope de ces lieux qui proposent une expérience de liberté, une sortie du banal et du routinier pour les personnes qui les fréquentent, proposant de respecter d’autres codes. Sur ce point, mon hypothèse est qu’avant d’être des lieux de sexualité, ce sont des lieux de rencontre. Une rencontre au sens baudelairien du mot, autrement dit des rencontres qui ne sont pas permises dans l’espace public dans la mesure où l’on pourrait considérer que tout y est fait pour molletonner les interactions. Dans les lieux de drague la rencontre prend une autre dimension ; elle peut susciter de la peur ; elle est parfois odorante, tactile, animale. Ce spectre de rencontres ne peut être expérimenté dans l’espace public où tout est fait, jusque dans nos comportements d’adaptation à l’urbain, pour nous éviter ce type de rencontres. Cette considération amène à poser la question du corps par l’observation des chorégraphies qui sont mises en place par les protagonistes, notamment par le langage non-verbal, et la question de l’exposition ou de la monstration. Comment montrer son corps dans les lieux de drague ? Cette question s’accompagne parfois de stratégies de déguisement et de camouflage. Ce langage corporel et vestimentaire permettant, entre autres, de réaliser une expérience spécifique d’altérité en jouant un autre personnage que celui que nous avons pour habitude de figurer dans la vie courante.
La troisième notion, celle de créativité peut être mobilisée dans la mesure où ces lieux s’opposent à l’aseptisation en vigueur dans les usages sociaux publics. S’ils contredisentles bonnes moeurs et la loi, la créativité peut être observée dans les stratégies mises en place par les détournements, les appropriations d’espaces, de paysages ou de temporalités. Ce sont des lieux de fictions, où la notion Goffmanienne de face est repoussée dans ses retranchements, où chacun se raconte des histoires et où chacun raconte des histoires aux autres. Ces lieux de construction des fantasmes convoquent un nombre illimité d’imaginaires individuels et collectifs qui utilisent l’architecture, le mobilier et le paysage pour se projeter.
C’est pourquoi je m’intéresse beaucoup à la « littérature des petites annonces », soit des annonces qui sont déposées dans le cyberespace, soit directement sur les lieux en écrivant sur les murs ou sur le mobiliser urbain. Cette créativité passe également par la construction de mobiliers, de cabanes, de parcours. Le mobilier urbain présent est parfois détourné (toilettes, bancs, tables de pique-nique) ; dans d’autres cas, il n’y a aucun mobilier qui répond aux usages ;c’est alors du mobilier inventé sous forme de cabanes, d’alcôves dans la végétation, de signalétiques [2]… Cette créativité est un marqueur important d’urbanité, une urbanité propre à ces lieux.
Dans l’organisation, entre les personnes qui fréquentent leslieux de drague, ressortent des imaginaires collectifs. L’expérience de liberté en offre un exemple . Revient également de manière récurrente dans les discussions la dimension vertueuse de certains lieux de drague qui proposent l’expérience d’un retour à la nature. En tant qu’architecte cette notion m’intéresse évidemment, comme un élément de langage familier qui vient me caresser l’oreille. Les expérimentations de « retour à la nature » qui s’y déroulent méritent un intérêt tout particulier. La créativitépermet de dépasser la confusion entre la nature et le végétal. L’expérience de la nature est ici sensorielle ; le corps est autant en prise aux douceurs qu’aux violences de la nature, laquelle peut piquer, peut griffer, peut refroidir. C’est une expériencede la chasse, de la traque, d’une certaine part d’animalité et de sexualités.
On dépasse ainsi les notions de greenwashing,les questions d’isolation ou de matérialité pour se demander, depuis la posture de l’architecte, quelles sont les expériences possibles de la nature et ce que signifie un retour à la nature. Peut-être qu’une des clés se situe dans ces pratiques, entre l’aventurier et le Minotaure.
Des pratiques sexuelles
La grande majorité des personnes qui fréquentent les lieux de drague sont des hommes. Je n’ai à vrai dire encore jamais rencontré de femmes sur les lieux de drague. Ce sont des lieux presque exclusivement masculins. On me demande souvent pourquoi. Je ne sais pas et je ne me risquerais pas à des suppositions.
Mais à défaut d’y trouver des femmes, le féminin est partout, comme une chimère. Parfois c’est par la présence de transexuels, qui proposent un jeu sur l’identité. Parfois, notamment sur les petites annonces, il est question d’échangisme, d’hommes qui proposent d’échanger leurs femmes, de les mettre « à disposition » avec différents jeux sexuels, de voyeurisme... Le fait est qu’on ne les voit jamais.
Peut-être qu’Alain Guiraudie nous donne un élément de réponse dans L’inconnu du lac,avec cette scène récurrente d’un homme qui cherche des femmes et qui finalement se « résigne » à faire une fellation à un autre homme. Peut-être alors que la recherche d’une femme est un leitmotiv, un des nombreux imaginaires qui hantent ces lieux. Les femmes, comme une manière de se rassurer, de justifier sa présence, envers soi-même et envers les autres. Les femmes, enfin, comme une représentation de la norme, elles sont là sans être là, faute de mieux, par résignation (…)
Je n’inscrirais pas ce travail de recherches dans le champs des gays-studies dans la mesure où les personnes qui fréquentent les lieux de drague ne sont que très rarement des homosexuels, ou du moins ils ne se présentent que très rarement comme tels.
Cesont pour la plupart des pères de famille qui peuvent être mariés, parfois ils ont des enfants... J’ai développé une stratégie pour les repérer ; je ne suis surement pas le seul à l’avoir remarqué mais certains hommes trahissent leur réalité par la présence de pare-soleil sur les vitres de leurs voitures. Lorsqu’on remarque des pare-soleil Dora l’Exploratrice ou Spiderman, on est à peu près sûr d’avoir à faire à un père de famille. Il y a des personnes se présentant comme homosexuelles, qui fréquentent ceslieux, mais cette présence n’est pas forcément très bien vue dans le milieu gay, si bien que ces personnes finissent par se cacher comme les pères de famille. Il y a un petit nombre de personnes qui se réclament ouvertement homosexuelles et qui se sentent parfois investies d’une mission sur ces lieux, par exemple l’entretien des lieux de drague, le ramassage des déchets, l’installation de poubelles, la taille des bosquets, la tonte des pelouses, etc. Ces hommes (notamment sur les lieux situés loin des villes) se retrouvent en semaine pour discuter et échanger sur les lieux de drague. Ils opèrent également un rôle de préparation du lieu, notamment à destination de personnes profanes. Les hommes qui sont pressentis comme profanes ont une valeur plus importante car ils se situent à la rencontre d’un certain nombre de fantasmes (fantasme de la première fois, fantasme du père de famille, fantasme de la virilité…) Ils ont pour points communs de fréquenter les lieux aux horaires de sortie du travail, de manière rapide, voire furtive. Ainsi tout doit être prêt pour s’assurer de les capturer dans le temps imparti.
Cruising France
Le premier travail réalisé pour cette recherche, comme un pied à l’étrier, a été une cartographie des lieux de drague en France. Ce travail a été possible en collectant des données sur internet, sur des forums, sur des pages Facebook, sur des sites dédiés.Ces sites constituent une source
d’informations extrêmement importante parce qu’ils localisent très exactement les lieux de drague
(par les utilisateurs). Ils sont notés de 1 à 5 étoiles en fonction de leur pertinence, de la fréquentation, des personnes qu’on peut y rencontrer... En collectant l’ensemble de ces données, j’ai pu répertorier l’ensemble des lieux de drague en France, il y en a plus de 1630 qui sont actifs. De cette carte, ressortent les périphéries des grandes villes, le tracé des autoroutes et la diagonale du vide, qui transparaît assez distinctement sur cette carte.
Les sites internets constituent un matériau important dans ma recherche. C’est également le cas de la « littérature des petites annonces » évoquée plus haut. Ces messagespeuvent être laissés sur les sites internet consacrés ou directement sur les lieux. Nous avons au demeurant tous déjà vu ces murs recouverts de messages, notamment dans les toilettes pour hommes.
L’enquête est facilitée par le fait que la plupart de cesmessages sont datés et signés. Parfois, ils sont assortis d’un numéro de téléphone, souvent des numéros de cartes prépayées. Ces petites annonces constituent un matériaux de recherche très interessant, notamment pour travailler sur les mécanismes de construction et de projection des fantasmes.
Mais mon enquête repose surtout sur un travail de terrain. Mes premières tentatives sur les lieux de drague ont été un peu chaotiques car je suis naïvement arrivé avec mon carnet et mon crayon sur ces lieux en allant à la rencontre des gens, en essayant de récolter des paroles. Bien évidemment, j’ai fait fuir mes éventuels interlocuteurs et me suis retrouvé seul en l’espace de quelques instants. Le travail a finalement consisté à observer les codes qui pouvaient être mis en place pour, par exemple, se faire passer pour un novice, ou au contraire pour quelqu’un qui a l’habitude d’être sur ces territoires. Il faut ajouter qu’étant moi-même un homme, jeune, je réponds à un profil assez recherché sur ces lieux si bienque ma présence, même si elle se voulait la plus discrète possible, attirait forcement les regards.
Je me suis finalement fait passer pour un dragueur. Mon dispositif est rôdé : je me rends dans les toilettes ; je marche dans les bois ; j’attends ; je me montre ; je me cache… C’est un jeu d’acteur, une mise en scène de la recherche, une sorte de performance heuristique. Il m’a fallu proposer beaucoup de stratégies pour récolter quelques paroles, d’autant plus que ce sont des lieux où les usagers ne parlent pas, ou très peu. Le langage du corps prédomine, par des jeux de postures et de regards.
Enfin, j’ai également eu recours au déguisement.
Tu cherches quoi ?
Dans mon travail d’écriture j’essaie de conserver cette ambiguïté qu’ont toutes les personnes qui viennent sur ces lieux.Tu cherches quoi ?Tout l’exercice quand on fréquente un lieu de drague consiste à comprendre ce que l’autre recherche. C’est donc un récit du vécu sur les lieux, des expériences qui peuvent être faites, des histoires et des fictions qui sont proposées par les protagonistes. Dans cette écriture, je suis un chercheur en quête de quelque chose. Ce récit d’enquête constitue l’un des pans de la thèse, l’autre partie s’intéresse à l’analyse des enseignements issus du travail de terrain.
Dans ce travail d’analyse, une vision unique et prétendument objective serait impossible. Tout d’abord car ma subjectivité, mes souvenirs, mes sentiments sont mobilisés dans ce travail. Je me mets en scène sur ces lieux et j’ai donc ma place dans ma recherche. Il faut également prendre en considération que les récits rencontrés, que les imaginaires convoqués, que les raisons de présences sur les lieux de drague sont multiples. Il ne s’agit donc plus de tenter d’être objectif mais d’envisager le processusde recherche comme une forme d’honnêteté, envers moi-même, envers les personnes rencontrées, envers la multitude d’imaginaires…
Il a donc fallu imaginer un outil, une méthodologie, capable d’admettre des paradoxes et des contradictions en essayant de ne pas perdre cette richesse. Pour cela, j’ai essayé de mettre en place un outil que j’ai appelé un ’lapidaire d’exploration’ qui pour l’instant prend la forme d’un abécédaire. Ce sont des mots, chacun renvoyant à une porte d’entrée possible pour l’analyse deces territoires. Ils sont issus pour la plupart du vocabulaire employé sur place, du champ lexical des récits collectés. Entre autres mots je propose ’aller au bois’, ’bosquet’, ’chasse’, ’de passage’, ’prendre la fuite’, ’marcher’, ’mouchoir’, ’pédé’, ’silence’, ’viande’. Il y a une soixantaine de mots, comme autant d’entrées possibles pour témoigner de la multitude des pratiques et des positionnements en essayant d’inclure autant que possible les imaginaires rencontrés. Ces entrées peuvent être approchéesles unes des autres, certaines se complètent, d’autres s’opposent. Certaines sont des seuils pour accéder à la compréhension, d’autres sont des ouvertures, d’autres des cadrages. C’est ainsi que se met en espace ma recherche.
La tentative de l’impossible
Il existe un nombre incalculable de tentatives, de politiques publiques ou de sociétés qui gèrent les lieux détournés, pour aller à l’encontre de ces pratiques. Ces tentatives sont très souvent maladroites et finalement vaines.
Une de ces politiques estde moderniser les installations des aires d’autoroute, de quitter le modèle des toilettes collectives et de préférer les toilettes individuelles où on entre seul, avec un système de feu tricolore. Je me rends compte cependant que la créativité se développe en réponse à ces mesures répressives. Le système de feu tricolore est détourné ; une porte se claque et le voyant reste au vert ; signe qu’il est possible de rejoindre la personne ; s’ il passe au rouge alors cela signifie que c’est déjà complet.
Donc grâce à ce système, en restant dans sa voiture, il est possible de repérer les hommes qui entrent et ceux qui sont disponibles. Ces ritualisations du lieu façonne la rencontre.
D’autres stratégies, au motif d’une démarche vertueuse pour l’environnement, installent des animaux sur les lieux de drague. Ce son généralement des chèvres qui broutent les bosquets. Ils disposent également des ruches pour produire un miel estampillé « miel de la commune ». La gendarmerie, notamment à la demande des municipalités, effectue des patrouilles sur les lieux de drague. Ils n’arrivent que très rarement à surprendre les usages sur le fait et à délivrer des contraventions pour attentat à la pudeur. La stratégie la plus récurrente consiste donc à verbaliser les véhicules stationnés. Les mairies prennent des arrêtés interdisant le stationnement à proximité de ces lieux. La stratégie est la suivante : comme les contraventions sont reçues directement au domicile des usagers, il y a des risques pour que leur femme la découvre, ce qui obligera à justifier leur présence. Cette stratégie est donc assez efficace.
Cependant, quelles que soient les stratégies pour tenter de fermer ces lieux, ou de limiter leurs usages, les lieux de drague savent toujours se réinventer dans la mesure où ils constituent des réactions performatives à des pratiques de répression. Un autre lieu est toujours détourné à proximité ; seule la temporalité changera, et les pratiques évolueront et se régénèreront… Renier ces lieux et ces pratiques constitue une tentative vaine. Ces pratiques et les usages doivent toujours finir par s’exprimer.
Walk on the wild side
Il me semble très difficile de retranscrire par l’écrit certains aspects de cette recherche. La richesse des postures, des ambiances, des sensations sont autant de raisons qui me poussent à envisager d’autres médiums.
C’est par exemple le cas pour les jeux de regards qui peuvent se manifester par des regards directs, par l’utilisation de la voiture qui devient une prolongation du corps dans ce travail chorégraphique où on regarde par les rétroviseurs, par des jeux de reflets et de transparence dans les vitres et les miroirs. Il y a nécessairement un passage à d’autres formes d’expression que l’écriture. Cela me permet également de collecter de l’information par des dispositifs. On pourrait citer un travail intitulé ’10h-22h’, qui propose un lieu de drague éphémère dans les toilettes d’une salle de spectacle. Le dispositif existe par une petite annonce déposée sur un site spécialisé qui propose de renseigner ce lieu comme un lieu de drague. En laissant un numéro de téléphone sur place j’ai pu recueillir des messages d’hommes qui ont projeté sur ce lieu, un lieu de potentielles rencontres. Cette expérience nous montre également comment il serait possiblede produire de l’architecture par un jeu d’existence dans le cyberespace, en jouant avec les usages et les représentations.
Dans la palette de méthodologie que j’explore pour mener ce travail je propose donc différents travaux à travers la création d’images, de vidéos et d’installations. Je détourne ainsi souvent les outils dont dispose l’architecte, image de rendu, modélisation, dessin. Les pratiques performatives sur les terrains de recherches rentrent également dans cette logique. Ces travaux s’intéressent à la dimension heuristique de l’art, se plaçant soit en amont de l’analyse, comme méthodologie de recherche, soit en aval comme méthodologie de restitution, quand l’écriture ne suffit plus. C’est également une exploration de différents langages en passant d’un médium à un autre.
L’ensemble de ces travaux, de ces vidéos, de ces textes, de ces performances constitue le travail de thèse.
L’étude de ces lieux, de ces pratiques, de ces imaginaires, de ces mécanismes et de ces stratégies ouvre donc un nouveau champs des possibles, tant par la manière de mener une recherche que par celle d’envisager l’incorporation de ces richesses dans le travail de l’architecte, de l’urbaniste ou du designer. Ces lieux nous apprennent comment un travail de couture très délicat pourrait se déployer, entre le public et l’intime, entre les fantasmes et la réalité… Ils nous montrent l’importance d’être dans une posture de proposition et non dans l’injonction, ils nous amènent vers de nouveaux imaginaires.
J’ai essayé de vous présenter rapidement les richesses de ces lieux, ce qu’ils nous apprennent et comment ils permettent d’envisager d’autres manières de faire.
Demeurent cependant des stéréotypes et des résistances. Le thème de la sexualité n’est pas abordé dans les programmesd’aménagement, en architecture ou dans les discours du « faire la ville ». Il reste marginal, voire risible. On pense aux sports, aux plaisirs gustatifs, aux bécautages, à l’ivresse même, mais la sexualité interdit instantanément toute discussion. On est alors en droit de se demander pourquoi, dans ce type d’aménagement, la sexualité ne constitue pas un champs de réflexion à part entière ?
Adrien Le Bot.
https://www.adrienlebot.com
Instragram : @adrien_le_bot
[1] Le plus illustre des ces lieux hyper-urbain serait peut-être le dédale de chemins secrets qu’abritent les grandes haies du jardin des tuileries à Paris. Le lieu de drague profite de l’espace qu’offre l’intérieur de ces haies pour se déployer comme un labyrinthe.
[2] Des sous-vêtements peuvent par exemple être accrochés au bout de branches pour indiquer les entrées, des mots peuvent être laissés pour indiquer des pratiques ou des heures de rendez-vous.
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