Alors qu’il y a encore une vingtaine d’années l’homosexualité était considérée comme un « fléau social » et contraire à l’esprit du Vietnam, on assiste aujourd’hui à une fulgurante évolution tant par la tolérance et l’acceptation qu’elle suscite que par la politique pro-LGBT du régime communiste.
En 2018, un événement important avait lieu dans les cinémas vietnamiens. Il s’agissait de la projection du film documentaire Finding Phong (à la recherche de Phong). Événement important à double titre. Le documentaire revient sur le parcours d’une femme transgenre, et suit sa transition dans son environnement familial. L’accueil fut si positif dans les médias et une partie du gouvernement que le temps de projection fut prolongé d’une semaine et que les censeurs autorisèrent les scènes de nu.
Cet exemple indique bien que la transsexualité n’est plus niée et sort de la marginalité. En novembre 2015, une loi a été adoptée pour permettre aux personnes effectuant un changement de sexe d’obtenir des papiers d’identité reflétant leur nouveau sexe. Une seconde loi est en préparation qui garantirait un soutien médical aux personnes désirant procéder à un changement de sexe.
Il semble que les autorités vietnamiennes ne considèrent plus les questions LGBT comme trop sensibles ou politiquement dangereuses. Mais remontons un peu le temps pour comprendre ce changement.
Dans les années 90, un couple de femmes de Vĩnh Long soutire légalement son mariage en soulignant que la loi n’interdit pas explicitement les unions de même sexe. L’annonce du mariage déclencha un scandale national. En réaction, le gouvernement promulgua l’interdiction du mariage de même sexe (cette interdiction a été levée depuis). La police fit irruption dans la cérémonie pour forcer le couple lesbien à signer une déclaration stipulant qu’elles ne vivraient jamais ensemble.
L’audace politique de ce mariage fait valeur d’exception dans une société où les mariages « familiaux » homosexuels sont empêchés par la police et passible d’amendes. (En 2013, les autorités communistes supprimèrent les amendes en cas de célébration d’une union homosexuelle.)
Il existe deux étapes dans un mariage vietnamien : un mariage « familial » et un mariage civil, enregistré par le gouvernement. Il y a cinq ans encore, il était illégal de faire un mariage « familial » gay, la police intervenait pour empêcher la cérémonie. Maintenant, ce n’est toujours pas légal, mais ce n’est plus illégal non plus. Il existe une forme de tolérance et on assiste à de nombreux mariages « familiaux » gays et lesbiens.
Une affaire semblable eut lieu en mai 2012. Un couple d’hommes originaire de Hà Tiên organisa son mariage traditionnel et public. Celui-ci fut stoppé par les autorités locales. Cet événement largement médiatisé suscita des débats, preuve que la société vietnamienne était en train de changer. Deux mois plus tard, le ministre vietnamien de la Justice, Hà Hùng Cường, annonçait que le gouvernement envisageait une légalisation du mariage homosexuel.
Le premier défilé de la fierté gaie de Hanoï date de 2011. Depuis lors, le cortège s’est institué et chaque année, ses rangs grossissent avec le soutien d’associations et organisations toujours plus nombreuses : comme ICS (Information connecting and sharing) qui est une organisation de soutien des personnes LGBT au Vietnam ou le PFLAG dont le but est de favoriser l’acceptation des personnes LGBT par leur entourage et de régler les problèmes de violence rencontrés par les membres LGBT au sein de leurs familles. Ces organisations s’emploient à visibiliser et faire entendre la voix des personnes LGBT et à protéger leurs droits. Notons également les marches Viêt-Pride à Hô Chi Minh-Ville ou le projet QueerZone de Hanoï. En quelques années, les initiatives se multiplient.
Traditionnellement, l’homosexualité existe au Vietnam comme dans tous les pays de la sous-région de l’Asie du Sud-Est. Toutefois, elle ne correspond pas à ce qu’est l’homosexualité en Occident.
Depuis la nuit des temps, homosexuels et transsexuels trouvent une fonction sociale en tant que médiums ou chamans, accomplissant des rituels et des danses (bien que tout chaman ne soit pas homosexuel).
Malgré la dérision des colonialistes et l’interdiction des communistes, ils sont toujours vénérés dans de nombreuses zones rurales et sont de plus en plus célébrés comme une expression unique de la culture vietnamienne.
La société est régie par des normes strictes et repose sur une distinction rigoureuse entre homme et femme. Les rôles et statuts sociaux étant le fruit de cette séparation des genres.
Il a longtemps été dit que l’homosexualité n’existait pas dans la société traditionnelle par la voix du confucianisme. Pilier de la tradition. Cette doctrine prévoit que le destin d’un homme est de se reproduire et fonder une famille. C’est-à-dire avoir une existence digne pour respecter et honorer la volonté de ses ancêtres.
Après la révolution communiste, l’étau social s’est encore resserré interdisant les relations hors mariage. Celles-ci étant jugées immorales, le régime appliquait sa politique de redressement visant à éliminer les « fléaux sociaux » en envoyant les homosexuels dans des camps de rééducation.
De nos jours, l’homosexualité est considérée comme un style de vie importé de l’Occident, mais pas réellement comme une orientation sexuelle ayant une véritable importance au regard de la culture traditionnelle.
La figure la plus connue de l’homosexuel au Vietnam est celle du jeune homme androgyne ou efféminé qui est désigné par l’expression lai cái. Lai cái signifie « pénétré par l’esprit femelle » ou « personne qui est à la fois femme et homme ». Cela explique pourquoi l’homosexualité est parfois considérée comme une maladie mentale ou une infirmité.
On rencontre aussi l’expression ái nam ái nữ « qui aime à la fois les garçons et les filles ». De nos jours, le mot le plus couramment utilisé pour désigner les homosexuels, plus particulièrement dans la presse, est un néologisme fondé sur la notion occidentale de l’homosexualité : đông tính luyễn ái. L’expression semble avoir son origine dans une expression plus ancienne người loan dâm đông giới, qui signifie « personne qui a commis l’inceste avec une autre personne du même sexe ». Cette dernière expression se passe de commentaire sur l’aspect moral de l’homosexualité dans la culture vietnamienne.
Dans l’argot vietnamien, une personne efféminée est appelée bóng lai cái ou bóng. Bóng signifie homosexuel, mais aussi ombre, âme ou esprit (bóng viá), et chaman ou médium (bà bóng, đông bong). Au Vietnam, comme dans d’autres sociétés traditionnelles, les homosexuels sont souvent des « chamanes » ou des « médiums », et désignés par les mêmes mots. Les homosexuels, et en particulier les transsexuels, étaient autrefois préposés, dans des temples particuliers, au culte des esprits (hằu bóng). À l’heure actuelle, on constate un renouveau de cette pratique religieuse au Vietnam et dans quelques communautés à l’étranger. Dans la région de Hanoï, il existe plusieurs temples ou les gens viennent faire des offrandes pour l’exécution d’une danse spéciale en l’honneur des esprits. Les homosexuels peuvent s’y exprimer et acquérir, en même temps qu’un statut social et religieux, un moyen de subsistance.
Le modèle homosexuel traditionnel fit place au tournant du siècle avec l’époque coloniale à un nouveau modèle inspiré des avant-gardes littéraires. On présentait les homosexuels mâles comme des êtres asexués, privilégiant leur potentiel émotif, leur sensibilité et l’idéalisation du sentiment d’amitié et de l’amour pur. On pourrait citer à cet égard le couple célèbre que formèrent les deux poètes Xuân Diệu et Cù Huy Cận. En 1985, à la mort de Xuân Diệu, Cù Huy Cận écrivit un poème intitulé Réminiscences d’un couple dans lequel il évoquait franchement leur vie et leur amitié secrètes. Les marques coloniales se retrouvent également dans la langue : pê đê (pédéraste en français). Ce mot est couramment utilisé dans un langage argotique.
Le dernier effet de l’invisibilisation traditionnelle de l’homosexualité fut la propagation de l’épidémie du VIH. En effet, lorsque celui-ci s’est rependu au Vietnam dans les années 90, le gouvernement a obstinément ignoré le risque pour les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Des professionnels du sexe interrogé dans les rues de Hô Chi Minh-Ville par Marie-Ève Blanc en 2005 n’imaginaient pas la possibilité de devenir malade. Les messages de la campagne de prévention du sida ne ciblaient pas les homosexuels. Selon la croyance populaire, les maladies vénériennes sont plus souvent associées au corps féminin. Les organes génitaux masculins, et plus particulièrement le pénis, sont considérés comme fermés et n’offrent de ce fait aucune ouverture au virus. Les corps féminins sont considérés comme humides et froids, et de nombreuses maladies ont, croit-on, pour origine un excès de froid ou d’eau.
Ce n’est qu’à partir de 2006 que le gouvernement promulgue une législation pour protéger des discriminations les personnes infectées par le VIH et pour soigner gratuitement les malades.
L’histoire sociale du Vietnam s’est construite sous des règnes rigides et autoritaires successifs. Le confucianisme, le colonialisme et le communisme ont construit, par superposition, le cadre et la nature des relations sociales. Ce quadrillage est tel qu’il s’exerce jusque dans la langue (interdisant certains mots, empêchant la création de certains autres). Un contrôle et une censure parfois qualifiée de lexicocide. Dans le passé, le manque de langage précis rendait difficiles les discussions à propos de sexualité.
Toutefois, il ne serait pas exact de considérer qu’une homosexualité « naturelle », traditionnelle, aurait été brimée, attaquée et qu’aujourd’hui elle pourrait enfin s’épanouir. Comme on a déjà pu le comprendre, la nature du lien entre deux hommes ou deux femmes ne peut se comprendre que par la manière dont elle existe dans le champ social et la manière dont elle est perçue par celles et ceux qui la vivent. En effet, et c’est d’autant plus vrai pour les hommes, car la société vietnamienne est patriarcale, les rapports sexuels entre hommes se caractérisent par une propension des hommes à entretenir des rapports sexuels dits homosexuels sans pour autant se qualifier comme tel. Les pratiques sexuelles homoérotiques peuvent subsister après le mariage sans constituer pour autant un basculement de l’identité ou une mise en cause de la masculinité.
L’homosexualité au Vietnam ne peut pas se comprendre avec les outils conceptuels qui permettent d’appréhender l’homosexualité en Occident. C’est depuis ce point que l’on peut essayer de comprendre pourquoi le pouvoir communiste a assoupli ses lois au point d’être qualifié de pro-LGBT.
Le Vietnam n’abrite pas en son sein de fort mouvement religieux anti-LGBT comme c’est le cas en Malaisie. On peut donc essayer de comprendre cette orientation par deux vecteurs principaux. Le premier est d’ordre moral. Les spécificités sociales, le respect de l’ordre et des convenances fait que pour une part, l’homosexualité reste un phénomène non identitaire, discret qui s’insère dans la tradition sociale. D’autre part, le tourisme et particulièrement le tourisme LGBT est un curseur international de respect et de qualité de vie. Le label gay-friendly est un signe reconnu dans le monde entier. Aussi, le fait de ne plus interdire les mariages gays « familiaux » (d’une certaine jeunesse dans les grands centres urbains) participe à dynamiser l’attractivité du Vietnam dans le monde.
DIVA
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