TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Trou Noir 2 — Aimons-nous le sexe ?

Le deuxième numéro papier de Trou Noir sort ce vendredi 6 octobre ! Après le succès du premier numéro, nous avons la joie de vous présenter ce nouvel opus porté par la troublante question "Aimons-nous le sexe ?" Plusieurs articles la traitent à leur manière, en y répondant frontalement ou en tournant autour. Vous retrouverez dans cet article, l’avant-propos ainsi que le sommaire.
Le lancement aura lieu à la librairie Les mots à la bouche à Paris le vendredi 06 octobre à 19h. Une rencontre se tiendra également le 23 novembre à la librairie Météores à Bruxelles. D’autres dates s’ajouteront, pour vous tenir au courant n’hésitez pas à vous inscrire à la newsletter ou à nous suivre sur les réseaux sociaux.
Ce nouveau numéro est disponible en vente dans notre boutique en ligne et dans les librairies (liste non-exhaustive).

Avant-propos

À la question « aimons-nous le sexe ? », Leo Bersani affirme : « Il y a sur le sexe un secret bien gardé : la plupart des gens n’aiment pas ça. » [1] On pourrait croire cette question naïve, mais y répondre sincèrement provoquerait un grand vertige. Parce qu’elle suscite l’aveu, la confession, le discours, l’embarras, l’ennui ou l’indifférence, la question commence déjà à mettre à nues les structures du désir sexuel qui forment notre vie quotidienne. Elle est ambivalente parce qu’elle reproduit cette lourdeur surplombante du Sexe dans toute son unité et son homogénéité. Et en même temps, c’est cette gêne qui nous intéresse car on pourrait commencer à fêler l’armure qui protège son pouvoir d’abstraction.
Autour du sexe, des controverses nous précèdent. On peut penser aux feminist sex wars, c’est-à-dire les conflits entre les tenantes d’un féminisme pro-sexe (qui revendiquent l’exploration des formes subversives de la sexualité) et celles d’un féminisme abolitionniste (pour qui la prostitution, la pornographie et le sadomasochisme sont des perpétuations du régime patriarcal). On peut aussi penser aux débats au sein de la communauté gay autour de la prévention du sida sur la moralisation ou non de certains comportements sexuels dits « à risque », ou encore aux émois que le sexe intergénérationnel suscite. Plus récemment, les très larges mouvements de dénonciation des actes de violences sexuelles (#metoo) ont réactivé des questions non résolues par les mouvements précédents, et ont remis le « sexe » au centre des préoccupations militantes. Du sexe-jouissance au sexe-problème, nous héritons de toute cette histoire, et cette question obsédante nous revient sans cesse.
Aimons-nous le sexe ? Ce numéro de Trou Noir cherche à explorer ce que le sexe et le politique auraient encore à fricoter ensemble, et à articuler nos paroles sans pour autant les faire se confondre. Bien sûr, répondre « oui » ou « non » à cette question ne relève pas de l’évidence et ne permettra pas de se situer sur une quelconque échelle de la dissidence sexuelle, mais y répondre quand même en allant puiser en soi-même, dans la littérature, dans la recherche, dans l’histoire, dans des expériences de groupe, dans toutes formes susceptibles de nous aider à penser le désir sexuel comme une résistance au pouvoir.

Dans l’article « Correspondances dans la galère de communiquer sur les insectes, le sexe et les faux problèmes », L. Bigòrra et Brenda Walsh partagent avec nous quelque chose qui tord le sexe dans tous les sens, ou plutôt qui l’amène à un dépassement des registres attendus à son sujet. C’est à la fois l’objet le plus matériel, et le moins saisissable qui soit. D’emblée, l’amour semble être une condition du sexe, puis ils en doutent, puis ils y reviennent. Leur correspondance d’une année, remontée, recoupée, remaniée pour nous dans ce numéro est aussi, vous le verrez, une œuvre d’amitié.
À partir d’une controverse née des méandres des réseaux sociaux où se performe l’union du langage et du pouvoir, Catalina Malabutch cherche, dans « Ceci n’est pas une chatte. Discussions exchattologiques autour de la fin de leur monde », à comprendre les malentendus qui entourent la notion de « dégénitalisation » de la sexualité queer. Il s’agit d’affronter la « construction pathologique des transmasculinités et du lesbianisme » à la lumière des putréfactions wittigiennes et autres performances ex-chattologiques.
Cy Lecerf Maulpoix propose, dans ses « Fragments scatopolitiques », une méditation sur la gestion des excréments dans nos sexualités, entre honte et plaisir, entre l’économie et le lâcher-prise. Aimons-nous la merde ? Peu importe les réponses, avant même de nous exprimer, un arsenal de concepts, de catégories, de classifications précède et quadrille notre « idée » sur le sujet.
On pourrait lire l’article « Du sexe et des symbioses » d’Emma Bigé comme un documentaire scientifique sur l’évolution des espèces où tout anthropocentrisme a été abandonné. La vie hypersexuelle des bactéries nous amène à inclure dans le sexe, autre chose que sa fonction reproductive, celle-ci pourrait d’ailleurs n’être qu’un « accident », pour l’ouvrir à d’autres types d’alliances plus... multi-espèces et foutraques. Ce texte de théorie queer écrit du point de vue des bactéries, et de théorie microbiologique écrit du point de vue des vies transpédégouines, aurait aussi bien pu s’intituler : « Des splendeurs de l’hypersexe ».
Composé selon un montage d’unités de base modulaires, « Ça ressemble au sexe » de Mickaël Tempête, confronte le sexe à ses jeux d’évitement du vide, en mobilisant différentes images évocatrices. Le sexe y est un jeu complexe (et complexé) à l’air libre traversant un territoire où l’on croise sur son chemin des mathématiciens, des anges exhibitionnistes, Dennis Cooper, des chanteurs de K-pop, Freddy Krueger et quelques masculinistes.
Parce qu’autour de Gorge Bataille il y a du joli monde qui s’active pour monter de toute pièce des espaces safe pour baiser, chiller, draguer, errer, tchatcher, iel est allé.e s’entretenir avec Saram, un habitué des organisations de sex parties queers. Gorge voulait du concret et vous en aurez dans « Queer cruising ».
Dans « Le caractère destructeur de la sexualité », Quentin Dubois enquête sur la réduction de nos expériences affectives qui se produit au sein du dispositif de la sexualité. C’est le sexe, sa représentation, où s’y intercalent la norme, le phallus, le manque, qui est l’enjeu d’une critique. Au milieu de ce bourbier se trouve l’État – éternel oublié des pensées queers normatives – et la nécessité qu’il a, pour se conserver, de renouveler sans cesse les rapports de dépendance entre lui et ses subjectivités.
Enfin, dans « Se dire prosexe », val flores dépasse les conflits ouverts par la politisation du sexe en intégrant cette dernière dans une exigence de l’attention des corps queers et dissidents. Le dispositif de la différence sexuelle implose sous l’effet de ses propres normes lorsque celles-ci sont rendues visibles par un art de faire prosexe capable de réflexivité et d’ouverture.

Aimons-nous le sexe ? Par cette question inattendue, nous voulions comprendre les façons dont le sexe peut se charger et se décharger du politique. Certes, on pourrait douter de la pertinence à l’envisager comme une force politique à un moment où il est outrancièrement colonisé par le pouvoir ; mais on pourrait aussi se dire qu’en raison de cet acharnement normatif, la solution ne serait pas de désinvestir le désir sexuel ni de spéculer sur d’autres formes de relation que le capital n’aurait pas corrompues a priori, mais au contraire d’entrer encore plus profondément dans la question sexuelle et de lutter contre un régime paranoïaque qui l’individualise et la dépolitise : force contre force.

Sommaire

Correspondance dans la galère de communiquer sur les insectes, le sexe
et les faux problèmes
– par L. Bigòrra & Brenda Walsh
Ceci n’est pas une chatte – par Catalina Malabutch
Fragments scatopolitiques – par Cy Lecerf Maulpoix
Du sexe et des symbioses – par emma bigé
Ça ressemble au sexe – par Mickaël Tempête
Queer cruising – par Gorge Bataille + Saram
Le caractère destructeur de la sexualité – par Quentin Dubois
Se dire prosexe – par val flores

Où le trouver ?

Ce nouveau numéro comme le précédent sont disponibles en vente dans notre boutique en ligne et dans les librairies (liste non-exhaustive).

[1Cette phrase ouvre son essai « Le rectum est-il une tombe ? » paru dans le numéro 43 de la revue October en 1987. Cette revue de théories et de critiques de l’art contemporain consacrait cette année-là un numéro entier au sida, dirigé par Douglas Crimp. Le texte a ensuite été traduit en français et publié dix ans plus tard dans un supplément de l’Unebévue en 1998, puis intégré au recueil de textes de Leo Bersani, Sexthétique aux éditions Epel en 2011.

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