val flores (née à Buenos Aires, 1973) est poète, écrivaine, activiste dissidente lesbienne, marimacho, queer et pro-sexe. Elle a écrit une vingtaine d’ouvrages de poésie et de production théorique, où elle brouille les frontières entre les différentes disciplines. Comme d’autres philosophes et écrivain.e.s de ce courant, elle introduira de fortes critiques de la visibilité médiatique et de l’identitarisme croissant de nos luttes. Face à cela, elle nous propose des politiques autres : l’opacité, l’inintelligibilité, et dans la lignée d’une lecture queer et pro-sex de Monique Wittig, le rapprochement à des grammaires érotiques et des affects. Il est pour cela important que ces propositions soient toujours collectives, corps à corps, dans un soucis d’horizontalité. En France, val flores a récemment organisé un atelier d’écriture avec Sayak Valencia dans le cadre du colloque de cARTographies transféministes et queer à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès.
Cet article écrit en août 2015 et qu’on peut aussi trouver en espagnol dans sa compilation de textes plus récente Romper el corazon del mundo : Modos fugitivos de hacer teoria (Editions Continta Me Tienes, 2021), s’inscrit dans le contexte suivant : le 1er juillet 2015, une performance post-porn a lieu dans le hall central de l’UFR de Sciences Sociales à l’Université de Buenos Aires dans le cadre d’une activité organisée par le labo de Communication, Genre et Sexualités de la licence de Sciences de la Communication. Cette performance compta sur la participation d’activistes du milieu post-porn argentin comme Laura Milano, Milo Brown, Rosario Castelli, ainsi que deux membres groupe post-porn espagnol Post-Op (Elena Urko et Majo). Ces deux dernières se trouveront en procès avec la justice argentine pour délit d’ “exhibitions obscènes”. La médiatisation et la polémique seront telles qu’elles feront les délices des journaux la fachosphère, aussi bien argentins qu’espagnols. C’est ainsi que val flores décide de mettre la question du sexe sur la table, ou plutôt sur la mesita (la petite table qu’on verra dans la dite performance).
[Photographie : de Valeria González, lors de la performance sexo (en) público en 2019]
Se dire prosexe est une position politique critique issue des activismes sexuels qui luttent contre la pathologisation et la médicalisation de certaines pratiques et expressions sexuelles ; contre la censure et l’interdiction de l’industrie pornographique par l’État, les secteurs religieux et conservateurs, ainsi que les féministes ; contre les critères de bienséance et de pudeur dans la réglementation de la visibilité d’images de sexe explicite et implicite dans les pratiques artistiques, à la télévision, dans la publicité, dans le cinéma, dans les jeux vidéo, sur internet ; contre les disciplines morales ; et contre la persécution, la criminalisation et la stigmatisation des travailleur.ses du sexe. Se dire prosexe, c’est se battre pour la reconnaissance du travail du sexe et sans nécessairement adhérer au réglementarisme.
Se dire prosexe n’est pas une manière radicale de baiser – si tant est qu’il y en ait une –, ni d’usage des plaisirs. Il ne s’agit pas de dire oui à une proposition sexuelle, d’être excité en permanence ni de revêtir une certaine esthétique corporelle. Se dire prosexe, c’est inciter à une critique radicale des plaisirs, de leurs autorisations, légitimations, censures, interdictions, persécutions.
Se dire prosexe, c’est interroger sans relâche et de manière invitante les politiques sexuelles et les positions anti-sexuelles dans les lois, les normes institutionnelles et les relations personnelles. C’est entretenir une suspicion active à l’égard des modes de répression et de surveillance des corps, des sexualités et des désirs dans les espaces publics et intimes. Se dire prosexe, c’est comprendre la militarisation de l’espace urbain, notamment dans les quartiers populaires, comme des formes de contrôle sexuel, racial et de classe.
Se dire prosexe ne renvoie pas à une pratique individuelle, mais à une identification politique et à une pratique éthique pour contester les significations qui planent sur le ’sexuel’, qui créent des exclusions, des ségrégations, des hiérarchies, des inégalités. Cela ne signifie pas que nous devons tous.tes participer impérativement à des orgies, à des démonstrations de sexe dans des espaces publics, au postporn, à la non-monogamie ou au BDSM. Se dire prosexe exprime la défense du libre exercice de ces pratiques, tout en identifiant l’hypocrisie, l’oppression et les paniques morales qui sous-tendent la politique des droits sexuels.
Se dire prosexe, c’est se reconnaître dans une histoire des féminismes qui révèlent les effets racistes et de classe de la législation et des mœurs sociales actuelles sur le sexe et les sexualités, l’exact opposé des féminismes carcéraux qui encouragent les politiques punitives et prohibitives. Se dire prosexe, c’est s’attaquer à l’aseptisation de la sphère publique et à la prévention de toute dissidence sexuelle.
Se dire prosexe, c’est défendre une conception bienveillante du sexe et de sa variabilité sans précédent, en s’opposant à la fausse équation selon laquelle le sexe est toujours synonyme de violence, une conception qui effraie et déresponsabilise. Se dire prosexe, ce n’est pas porter de jugement moral sur les pratiques des autres, ni sur celles des tenants d’une position abolitionniste particulière, mais remettre en cause la morale dominante qui nous gouverne socialement.
Se dire prosexe, c’est affirmer et préserver l’autodétermination sexuelle et la liberté d’expression. Il s’agit de promouvoir la créativité sexuelle et érotique, en maintenant un horizon ouvert de possibilités et de désirs qui élargit et multiplie les imaginaires et les répertoires disponibles de ses pratiques. Se dire prosexe, c’est défendre la liberté sexuelle, sachant que toute liberté dans l’hétéro-capitalisme patriarcal, raciste et colonial est une provocation constante et un levier d’émancipation imparfaits.
Se dire prosexe, c’est encourager les alliances avec les travailleur.ses de l’industrie du sexe, qu’il s’agisse de travailleur.ses du sexe, d’actrices et d’acteurs pornographiques, de réalisateur.ses, de danseuses érotiques, de vedettes, d’escortes, ainsi qu’avec cell.eux qui pratiquent l’endoctrinement idéologique sur le sexe, tels que les enseignant.es, les médecins, les avocat.es, les publicistes, les journalistes, les universitaires, les artistes, etc.
Se dire prosexe, c’est combattre les représentations du sexe comme étant dangereux, destructeur, négatif, qu’il doit se conformer à un modèle unique, et qu’il y a une façon de le faire meilleure que toutes les autres, et que tout le monde doit le faire de cette façon. Se dire prosexe, c’est un seuil critique qui constate que ces conceptions produisent ou refusent la reconnaissance de la santé mentale, de la respectabilité, de la légalité, de la mobilité physique et sociale, du soutien institutionnel et des apports matériels et économiques.
Se dire prosexe, c’est mettre en œuvre des pédagogies de la sexualité qui encouragent des conceptions de l’enfance et de l’adolescence comme des sujets sexuels et de plaisir, loin de l’innocence primitive et de la victimisation anticipée. Il s’agit de dénoncer les valeurs conservatrices des schémas d’éducation sexuelle, de questionner l’âge du consentement par rapport à celui de la responsabilité et des droits civiques. Se dire prosexe, c’est révéler les composantes homophobes et lesbophobes des discours sur l’abus sexuel des enfants, et lutter contre ces formes de violence en en donnant de la puissance aux enfants et les adolescent.es.
Se dire prosexe est une technique d’interprétation de la spatialisation et de la ségrégation des manifestations sexuelles, qui problématise les critères d’approprié/inapproprié, décent/ obscène, autorisé/interdit qui les légifèrent. Il s’agit de réfléchir à la brutalité de la censure, à l’effacement et à la mise en silence des images, des voix, des corps, des pratiques, des contextes, des histoires. Se dire prosexe, c’est dénoncer l’hypersexualisation des corps mais aussi leur désexualisation selon des normes de racialisation, de nationalisme, de genre, de handicap, etc.
Se dire prosexe est un mode de sensibilité politico-affective qui ressent et comprend les guerres capillaires du sexe comme des formes de maintien et d’exercice d’un régime de privilèges hétérosexuels, racistes, patriarcaux, capitalistes, cissexuels, nationalistes et normatifs, distribuant la vulnérabilité économique, politique, érotique et culturelle de manière mortellement inégale. Se dire prosexe, c’est soutenir une politique d’écoute active et désirante des corps, sans les considérer comme des victimes a priori.
Se dire prosexe, c’est problématiser les politiques de visibilité et de visualité dans la société de l’hégémonie des technologies médiatiques et de leurs processus de spectacularisation. Il s’agit de comprendre que l’œil contemporain est éduqué par les codes de la pornographie grand public qui naturalise l’exposition flagrante et quotidienne de scènes de violence sexuelle, d’inceste, de viol, d’abus sexuel sur enfant, de mutilation, et surveille avec zèle les images au contenu sexuel explicite. Se dire prosexe, c’est défaire et refaire à partir d’un élan libertaire les normes à travers lesquelles les corps sont vécus.
Se dire prosexe est une expérience politique et poétique de subversion des codes hétéronormatifs qui régulent la production académique de la connaissance et sa vie institutionnelle. Il s’agit de rendre visible les positionnements prosexe des auteur.ices utilisés dans les programmes d’études de genre et queer, sans domestiquer leur activisme sexuel.
Se dire prosexe, ce n’est pas promouvoir une doctrine des pratiques sexuelles, mais inciter à l’opération politique de leur dénaturalisation. Il s’agit de créer une épistémologie (micro)politique des pratiques de résistance qui désarticule et perturbe les structures de compréhension, les orientations pratiques, le langage habituel et les réalisations idéales de la sexualisation normative de la décence publique, qui régit ce qui peut être fait en public, ce qui peut être dit, ce qui est permis et ce qui est interdit. Se dire prosexe, c’est être attentif* à la morale dominante qui s’impose comme synonyme à l’appareil d’État.
Se dire prosexe est une convocation au dialogue et au débat puisqu’ils contiennent dans leur énonciation propre le nom de ce que socialement et culturellement on pousse à effacer derrière la naturalisation du pouvoir et du contrôle des corps. Se dire prosexe est un antagonisme nécessaire, urgent et inventif à une époque où les économies érotiques de l’anéantissement sont toujours vivantes et ravagent les corps des femmes, des trans, des travestis, des lesbiennes, des queers et des travailleur.ses du sexe.
Se dire prosexe est un appel à faire de toutes les mesitas [1] (petites tables), sans distinction de couleur, de texture, de taille, de marque, d’âge, de filiation et de lieu, un champ d’expérimentation de la conduite sexuelle en tant qu’expérience politique collective qui ébranle les modèles prescriptifs et restrictifs des sexualités.
val flores, 2015
Présentation et traduction de Ricardo Robles et Mickaël Tempête
[1] Mesitas fait référence à la petite table utilisée dans la performance post-porn dans le hall central de l’UFR de Sciences Sociales à l’Université de Buenos Aires.
28 JANVIER 2021
Une lecture de l’ouvrage "Désirer comme un homme" de Florian Vörös.
"C’est quoi être fem ?" est l’une des recherches qu’elle mène.