Je suis misandre et je le revendique. Il est pour moi important de l’être pour diverses raisons et il est évident que depuis que je l’ai conscientisé, ma vie est bien plus agréable. Je ne vais pas approfondir l’intérêt et l’importance de la misandrie, ce n’est pas l’objet de ce texte.
Il me semble malgré tout important de soulever certaines limites à de la misandrie et de garder une vigilance pour ne pas reproduire de comportements oppressifs envers d’autres oppressé·es.
Tout d’abord, pour être claire, je tiens à préciser que ma misandrie vient d’une haine du patriarcat et non des « masculinités ». Il n’y a pas d’« essence masculine » toxique mais bien un cis-tème oppressif qui se nomme patriarcat, largement véhiculé par les mecs cis* hétéro.
J’aimerais aussi préciser que ma misandrie n’est tournée que vers les mecs cis hétéro. Parce que les pédés* cis n’ont pas la même place sociale que ces derniers, qu’eux aussi subissent le patriarcat, et qu’eux aussi sont des rebuts du cis-tème hétéro-normatif. Ils enfreignent les codes de la « masculinité », qui est censée se construire en opposition à la « féminité », ne serait-ce que par leur relations/attirances amoureuses et/ou sexuelles. Ils sont également dans les premiers à faire voler les normes de genre. Par conséquent, ils se retrouvent exposés à des violences quotidiennes dans les espaces sociaux. Il existe encore et toujours des agressions et des meurtres homophobes bien trop souvent tus et invisibilisés dans les milieux féministes. L’homophobie n’est qu’une forme parmi d’autres de sexisme et de misogynie. Ces personnes subissant les mêmes violences systémiques que moi, accumulant, comme moi, de la colère, de la tristesse, de la haine envers ce monde qui leur est hostile, devant s’adapter et risquer des agressions quotidiennes, comme moi, je ne peux pas les détester sous prétexte qu’ils appartiendraient à la classe des mecs cis.
De plus, si on reprend la pensée de Wittig qui dit que les lesbiennes ne sont pas des femmes, parce que les femmes et les hommes existent dans les systèmes de pensée et économique hétéro (La pensée straight, Monique Wittig), ne peut-on pas dire que les pédés ne sont pas des hommes ? Dans ce cas, la misandrie ne leur est pas adressée. Dans tous les cas, pas la mienne.
Il y a autre chose que peut entraîner la misandrie et les espaces en mixité choisie sans mecs cis (qui ne vont pas forcément de paire, mais dont les impacts sont similaires). C’est l’isolement des personnes trans, et en particulier des personnes transfem*.
Quand on est une personne transfem, avant de sortir du placard on est socialement considéré·es comme des mecs cis. Si nous sommes en plus gouine*, avant coming out*, nous serons vu.es comme des mecs cis hétéro. Tant que nous ne sommes pas sorties du placard, nous n’avons pas accès aux espaces en mixité choisie sans mec cis, ou sans mec cis hétéro. Et c’est dans ces espaces que l’on peut trouver de l’aide et du soutien pour comprendre et avancer sur nos identités, s’identifier à des personnes que l’on rencontre et tout simplement ne pas être seul·e. Du coup, si nous n’ y avons pas accès, nous sommes obligé·es de nous débattre dans un cis-tème qui nous empêche d’exister, de trouver les réponses à nos questions, d’envisager notre vie en dehors de ce cis-tème, seul·e, sans personnes avec qui partager nos vécus. Tout ça peut empêcher des personnes de sortir du placard ou alors les faire vite y retourner après avoir dû affronter seul·e la transmisogynie du monde. Et dans ces conditions, si nous arrivons à sortir du placard, c’est que nous avons une force incroyable que seules possèdent les personnes trans. Mais en plus, nous restons longtemps isolé·es, parce que nous avons avancé en solitaire et que par conséquent, nous n’avons pas pu créer de réseau autour de nous pour nous regrouper et nous donner de la force.
Et même quand nous arrivons dans les milieux féministes et queer, il n’est pas rare que nous soyons la·e seul·e personne transfem du groupe. Parce que la structure même de ces espaces nous les rend difficilement accessibles et donc nous isole.
Quant aux personnes transmasc*, les espaces de mixité choisie sans mecs cis vont obliger celleux qui ont un bon passing* de s’outer* en tant que personne trans, ne serait-ce que par leur présence. Et ça peut être violent au point que certaines personnes n’aient pas l’envie ou la force d’aller dans ces endroits-là. Et donc nous les isolons aussi.
Pour revenir sur les pédés cis, en tant que transfem, je me sens beaucoup plus proche de leur vécu que de celui de n’importe quelle meuf cis, parce que je suis perçue socialement comme un pédé, un travelo et autres « suce-couilles ». De même, beaucoup de transmasc peuvent avoir des passing de pédés, subir l’homophobie et donc avoir des vécus similaires aux pédés cis. L’absence des pédés cis de nos espaces sociaux rend plus compliqué nos rencontres et donc les possibilités de partager nos vécus, se donner de la force et prendre soin de nous. Donc encore une fois, on isole les personnes trans.
Parlant d’isolement, les pédés cis n’ont pas plus d’espace de sociabilité que nous, il peut leur être tout aussi compliqué que nous d’évoluer dans le monde cis-hétéro-normé et en compagnie de mecs cis hétéro. Sauf qu’ils n’ont pas non plus accès à nos espaces en mixité choisie sans mecs cis. Cette mixité choisie et la misandrie les isolent également.
Alors oui, la misandrie est importante. Oui, il est nécessaire, à mon goût, de la cultiver tant que le patriarcat existera, de même que tous les espaces et toutes les formes de mixité choisie (sauf celles entre oppresseureuses) tant que les oppressions existeront. Mais il m’est impensable, sous couvert de misandrie d’isoler les trans*, les pédé·es et n’importe quelles autres personnes oppressées par le cis-tème hétéro-normé patriarcal.
S.
cis : personne qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance
trans, pédé·es, gouin·e : insultes réappropriées par les personnes concernées. Si vous n’êtes pas trans pédé·e gouin·e, merci de nous respecter et de ne pas utiliser ce vocabulaire. On parlera plutôt de lesbiennes, de gay et de personnes transgenres.
transfem : personne assignée garçon à la naissance dont le genre est sur le spectre dit féminin
transmasc : personne assignée fille à la naissance dont le genre est sur le spectre dit masculin
coming out : de l’anglais coming out of the closet, est le fait de rendre publique son homosexualité, sa transidentité, sa non binarité, etc., (aussi appelé « sortie du placard »).
passing : est le fait de « passer pour » une personne cis
outé : conjugaison francisée de « coming out », est l’action de sortir du placard
Un constat qui rappelle la nécessité d’entretenir une critique et une lutte queer anticarcérale.
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