Les éditions Terrasses publient un recueil de poèmes de l’argentin, punk et pédé Ioshua. Nous les avons rencontré pour qu’ils nous en disent plus sur cet étonnant personnage et sur leur choix éditiorial.
Pour commencer, parlez-nous de Ioshua, comment l’avez-vous connu et pourquoi l’éditer en France est-il important ?
Comme les choses se posent souvent chez Terrasses, les histoires des livres que nous publions sont des affaires de rencontres, de liens que nous construisons. Nous avons rencontré ceux et celles qui nous ont fait découvrir Ioshua, une rencontre où on a su immédiatement que nous allions vivre des choses ensemble.
Lorsque le livre nous a été mis entre les mains et malgré nos pratiques moyennes de l’espagnol, nous avons tout de suite ressenti quelque chose. Une force dans sa poésie radicale, une vérité dans ses vers directs, sa manière de salir la langue et de dire le monde, son monde avec tendresse et précision, avec radicalité et humilité.
On ne l’édite pas donc que pour sa beauté mais aussi pour des raisons politiques. La sexualité entre hommes est un enjeu majeur dans une société hétéropatriarcale organisée sur la guerre, la compétition et le viol. Quand Ioshua met son stylo et son énergie au service de rendre sa beauté au geste homosexuel masculin sans l’orner de fioritures inutiles, sans masquer son cru par des paravents inutiles, il rend service à l’imaginaire, à l’érotisme et nous permet de respirer en s’autorisant à voir au-delà du monde straight capitaliste et mortifère duquel nous essayons de nous sortir.
Nous pensons aussi qu’il est primordial de défendre ces cultures marginales dans nos communautés dites minoritaires qui rendent visibles comment nous, les pédés, vivons et que tout acte déshétéronormalisant peut se voir comme un petit acte de résistance.
La force de l’assimilation est si puissante qu’elle peut sembler totalement inodore, indolore et invisible.
En plus de tout ça, c’est sensé pour nous de l’éditer en France parce que nous pensons avoir la responsabilité de faire circuler les productions intellectuelles qui naissent dans les marges et notamment dans les marges de l’occident. Mais cette circulation doit se faire avec attention, lutter contre l’appropriation et tenter de se situer dans la réparation. C’est une des raisons pour laquelle nous publions cet ouvrage avec le texte original, en espagnol et sa traduction en français.
La pratique de l’homosexualité de Ioshua semble être aussi une pratique de rue, il a aussi recours à l’argot, que cherchait-il à défendre à travers l’expression populaire de la sexualité pédé ?
La pratique de l’homosexualité masculine est historiquement une pratique de rue que certains d’entre nous continuent à explorer en dehors des lieux institutionnels (bars – sauna – clubs – les réseaux sociaux de sexe). Ioshua célèbre cette pratique non pas comme une résurgence mais comme la continuité de manière de faire, d’occuper la rue, l’espace public, de draguer, d’être visible, baiser dans son quartier, baiser avec ses camarades supporteurs de foot… Espérer la baise entre hommes, demeurer ?/devenir ?/ se fantasmer une pratique qui se diffusent partout où est la rue, partout où il y a rencontre possible. Le lien possible entre sucer un mec dans la rue et argotiser à l’extrême une langue pourrait être une volonté de créer un mouvement qu’on ne pourrait pas figer, de lutter contre l’institution de la langue (et son institution) comme celle de la sexualité.
On voit dans le travail d’écriture de Ioshua qu’il rechigne à nommer. Être un homo ? Un marika ? Un puto ? Il décrit ses personnages par leurs pratiques, leurs multiplicités (de quel quartier ? Quelle musique ils aiment ? Quelle équipe de foot ? ) et la sexualité et les désirs se dispersent dans une permanence qui obstrue la possibilité de l’identification. Il ne nie pas pour autant le danger d’être out dans les rues des villes, il ne nie pas l’homophobie mais essaie de créer de nouvelles manières d’être homo, en accord avec d’où il vient, les manières contemporaines sans doute déjà rendues trop réactionnaires par l’assimilation capitaliste des identités sexuelles et de genre minoritaires.
Dans les sociétés occidentales, ont toujours été niées les homosexualités prolétaires. Le bourgeois pervers était promoteur de l’homosexualité. Il savait détourner des bonnes mœurs le non-blanc ou l’ouvrier. Ioshua, par la localisation précise de ses histoires de baise et d’amour revendique ces pratiques sensuelles et sexuelles en les arrachant de l’imaginaire bourgeois pour en dessiner un nouveau territoire, celui des pédés des périphéries, homo autonome et émancipé, marika visible ou non qui trouve là d’où il vient les réponses à ses besoins.
Il y a également un texte politique dans ce recueil de textes où il parle de ’l’exigence libertaire de la différence’. Qu’entend-il par ces termes selon vous ?
Bon il est toujours compliqué d’interpréter ce qu’un poète voulait exactement dire sachant qu’il n’a que peu écrit de textes purement politiques.
Selon nous, nous comprenons, et ce à travers le reste de son travail, que cette exigence libertaire de la différence est clairement une référence à ses idéologies anarchisantes, milieu qu’il fréquentait à un moment de sa vie.
La différence perçue comme un appel à se trouver, à trouver ses goûts, ses désirs, ses particularismes, et ceci dans un devoir aussi d’égalitarisme. Nous ne voulons pas défendre nos identités particulières, spécifiques pour les mettre en concurrence. Nous imaginons une exigence libertaire, comme une exigence de se connaître, de se comprendre soi pour ensuite penser le monde avec ses différences. Une exigence à lutter contre les normes et les conformités.
Si on se réfère à sa poésie ou la manière dont il met en scène ses personnages dans ses romans courts, on y comprend une solidarité familiale et communautaire, solidarité de quartier tout en célébrant le désir très fort d’être libre d’explorer ses désirs propres, voire déviants et c’est bien ici que nous comprenons cette phrase : être ensemble avec un devoir de se comprendre et de s’explorer dans un commun qui ne jugera pas. Il précise à la fin de la phrase sans être puni.
Dans votre catalogue Ioshua côtoie Jean Sénac et Anna Gréki, pourquoi ce geste éditorial de les mettre ensemble ?
Disons qu’une maison d’édition est avant tout une maison et que la nôtre voudrait avoir sa porte toujours ouverte. Et si nous avons décidé de commencer notre programme éditorial dans la poésie et la littérature de l’Algérie en lutte, ce n’était pas seulement pour réfléchir à la position impérialiste de la France ou pour comprendre au mieux les mécanismes d’émancipation (intellectuels, artistiques et/ou militants), c’était aussi pour marquer la continuité avec ce que certains et certaines de Terrasses vivent et traversent avec ses livres, ceux de Sénac ou d’Anna, et l’Algérie.
Une fois partis de là, nous avons commencé à réfléchir quelle continuité mettre en place. Quels ponts pouvons-nous construire et cela nous a semblé une presqu’évidence d’imaginer retrouver Ioshua, Jean et Anna sur un bout de trottoir dans une ville bouillonnante, à boire une bière ou un maté, à rire, à penser la poésie et à lutter.
Comme dit plus haut, quand on a publié Anna, on ne savait pas qu’on publierait Jean, etc. notre catalogue se construit à la lumière des rencontres et des carrefours que nous traversons. Il est évident que nous trouvons des résonances très fortes entre les auteurs et autrices que nous défendons et nous, ceux et celles qui participent aux éditions Terrases.
Notre ligne éditoriale ressemble à un repas de famille choisie…
Un poète pédé algérien qui écrit pour le peuple, qui lutte pour l’émancipation de la terre des griffes du colon et un poète pédé des quartiers pauvres d’une mégapole du sud, qui crie sa rage et sa marge, qui dénonce l’intégration et milite pour une libération collective hors du capitalisme, même presque avec un demi-siècle d’écart, nous pensons réellement que l’un et l’autre s’actualisent.
Quels sont vos projets ?
Nous allons publier en version trilingue anglais, allemand, français des textes politiques de l’activiste afro-américain Dhoruba Bin Wahad écrits sur ces 30 dernières années – sortie le 29 mai 21. Nous commençons par la suite un cycle de publication de littérature et poésie contemporaine et collective. Nous ouvrons ce cycle de 4 ouvrages avec un premier roman « pédé » appelé 28 jours – sortie le 11juin 21. Suivront notamment un recueil de poésie d‘une autrice-poétesse bie et féministe après l’été...
Quel poème de Ioshua préférez-vous ? Pouvez-vous en dire quelques mots ?
Difficile de préférer un poème… car ses poèmes ne se défient pas, ils se complètent. J’ai pris celui-ci presque au hasard.
On y sent cette fluidité de la vie, du quartier, du confort d’une après-midi où on pense qu’à la baise, la défonce et la musique. La simplicité du geste nous touche, nous sommes avec lui, on sirote son verre et pompe son pote. On se défoule sur la musique comme on lit un écrivain militant… C’est une ode à la vie, simple, joyeuse. Ce poème avec tendresse parle aussi de solitude, de fuite, de quête et sans doute d’un peu de tristesse. C’est juste beau.
Non mec non
Se réveiller. Préparer un whisky coca dans une
bouteille de pepsi et s’traîner jusqu’à la maison
d’un ami et tout en matant deux trois mecs dans
la rue. Baiser avec des petits mecs. Fumer de la
base chez Santia. Acheter une bière chez la vieille
du coin. Sucer Gaston. Manger un truc. Relire
“Jonathan“ de Blas Matamoro. Choper des clopes.
Salir ses baskets. Sourire à un mec en passant par
le petit terrain de foot. Jouer de la guitare. Sucer
Gustavo. Boire une autre bière. Passer chez Rodri.
Boire une autre bière. Salir encore plus ses baskets.
Retourner chez moi et mettre “No Pibe “ de Manal à donf.
No pibe no
Despertar. Preparar whiscola en una botellita de
pepsi y salir a patear hasta la casa de algún amigo
y mientras tanto mirar un par de pibes por la calle.
Coger con pendejos. Fumar base en la casa del
Santia. Comprar una birra en la vieja de la vuelta.
Chupársela a Gastón. Comer algo. Volver a leer
“Jonathan“ de Blas Matamoro. Conseguir cigarril-
los. Ensuciar las zapatillas. Sonreirle a un pibe de
la canchita. Tocar la guitarra. Chupársela a Gustavo.
Tomar otra birra. Pasar por la casa de Rodri. Tomar
otra birra. Ensuciar más las zapatillas. Volver a mi
rancho y poner “No pibe“ de Manal a todo volumen.
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