Publication hebdomadaire de l’Organisation Communiste des Travailleurs (OCT), l’étincelle est un organe militant national qui voit le jour à la fin de l’année 1976. L’archive que nous présentons ci-après, tirée du numéro 39 et datée du jeudi 24 novembre 1977 (intitulé : Sur le dos du peuple palestinien) introduit un dossier sur l’homosexualité qui contient un état des lieux du militantisme homosexuel, un entretien avec Daniel Guérin, un texte sur la Catalogne et un autre sur la pédérastie (avec comme enjeu la remise en question de la loi promulguée par le régime de Vichy établissant le délit d’homosexualité). En guise de signature, ce dossier contient un encart qui témoigne de la difficulté à faire exister un militantisme homosexuel au sein de l’extrême gauche française : « Ce dossier a été réalisé par des camarades de la commission homosexualité de l’OCT qui en assumera la responsabilité. Son caractère incomplet et son souci de soulever des problèmes plutôt que de proposer une élaboration témoignent de la fragilité de l’avancée des révolutionnaires et de notre organisation sur cette question. »
Nous avons choisi de présenter ce texte, car il résonne avec le livre de Mathias Quéré sur le militantisme homosexuel des GLH. Car si l’extrême gauche a longtemps été une difficulté supplémentaire à la construction d’un mouvement homosexuel, il en a pourtant copié les formes militantes.
Le fait de mettre le désir au centre de la vie et de présenter les pratiques sexuelles comme produit de conditions sociales nous indique la manière dont les militant⸱es homosexuel⸱les d’extrême gauche ont construit la question politique homosexuelle.
Incontestablement, les temps changent. Il y a quelques années encore parler de l’homosexualité y compris dans un journal révolutionnaire était quasiment impossible. Aujourd’hui, l’attitude la plus répandue (du moins à gauche, car à droite on continue de réprimer) c’est le libéralisme. « Ce n’est ni une maladie ni une tare contre nature… laissez-les vivre ».
Démarche singulièrement restrictive, bien qu’elle constitue un premier pas pour se détacher des conceptions à la Duclos [1] : « la classe ouvrière n’aime pas les pédés » ou « c’est un vice bourgeois ».
Cette démarche conduit à la lutte pour la défense des droits démocratiques d’une minorité opprimée, lutte contre la répression et les discriminations qu’elle subit quotidiennement.
Mais la lutte des homosexuel⸱les comme celle des femmes nous offrent la possibilité d’un questionnement sur l’ensemble de notre sexualité et c’est de cela aussi que nous devons nous saisir.
Mais d’où vient la classification des individus, ce découpage que fait notre société selon les pratiques sexuelles : les hétérosexuels (relations entre gens de sexe opposé) normaux et majoritaires, et les homosexuels anormaux et marginaux ? Est-ce la nature qui parle ? Sans jouer au doctrinaire marxiste, on sait depuis Engels [2] qu’il n’en est rien. Alors ? Alors, c’est que comme le montre la psychanalyse au départ, en chaque individu le désir est indifférencié, c’est-à-dire qu’il n’est pas fixé sur tel ou tel sexe. Autrement dit, on ne nait pas homosexuel ou hétérosexuel et le désir peut se porter tour à tour aussi bien sur quelqu’un de son sexe ou de l’autre. Si le désir prend peu à peu une forme précise, s’attache définitivement à un sexe déterminé, ce n’est que par des limitations successives, par des pressions sociales potées par la famille, l’école, enfin tout ce qui fait la vie des gens.
Si bien que finalement, la majorité des gens reproduit le modèle dominant : celui du couple hétérosexuel.
Ainsi la bourgeoisie pour renforcer sa domination ne laisse rien dans l’ombre et un des moyens d’établir son pouvoir est la manipulation des désirs. Elle doit préparer chaque individu à jouer son rôle dans la famille bourgeoise. C’est ainsi qu’elle exalte l’hétérosexualité et exclue l’homosexualité, la rejette hors de la société, lui aménage ses réseaux, ses ghettos. Ainsi l’homosexualité devient une catégorie, et une catégorie à part.
C’est justement contre cela que nous devons nous battre ; il nous faut interroger cette homosexualité refoulée, niée, mais latente et existante en chaque individu et même traversant l’ensemble de la société.
Le fait que l’homosexualité soit très développée dans des institutions où on ne trouve que des individus du même sexe (pensionnat, armée, prison…) montre non pas, comme le pensent certains, que c’est une sexualité de substitution, mais que toute pratique sexuelle est le produit de conditions sociales.
Ce n’est qu’à travers cette démarche que nous pourrons dépasser la défense d’une minorité opprimée pour lutter contre l’ensemble des modèles que nous impose la bourgeoisie en matière de sexualité et contre cette division que la sert si bien entre homosexuels et hétérosexuels.
Bien sûr cette démarche ne signifie pas l’introduction de nouvelles normes sexuelles. Il ne s’agit pas de « valoriser » l’homosexualité comme naturellement subversive et révolutionnaire, mais de par son statut de sexualité opprimée (comme celle des femmes) l’homosexualité peut avoir un rôle important dans la remise en cause des rapports sociaux bourgeois, dans la lutte pour une autre société où serait permis l’épanouissement de la composante homosexuelle du désir.
Cette démarche est le complément indispensable de la lutte contre toutes les conséquences de l’oppression spécifique des homosexuel.les aujourd’hui.
[1] Jacques Duclos fut député, sénateur, responsable du Parti Communiste Français et candidat à l’élection présidentielle en 1969. Lors d’un meeting à la Mutualité, un militant du FHAR interpelle les responsables du PCF à propos de la position du parti « sur les prétendues perversions sexuelles ». Jacques Duclos répondra alors avec véhémence : « Comment vous, pédérastes, avez-vous le culot de venir nous poser des questions ? Allez vous faire soigner. Les femmes françaises sont saines ; le PCF est sain ; les hommes sont faits pour aimer les femmes. » (Cité dans Jacques Girard, Le Mouvement homosexuel en France, 1945-1980 Syros, Paris, 1981).
[2] Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété et de l’État, 1884.
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