TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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De l’intime au complice : les géographies perverses

Ce texte a été présenté lors de l’événement Against nature organisé à Lafayette Anticipations par Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou dans le cadre de l’exposition HUMPTY \ DUMPTY de Cyprien Gaillard.

Il s’agit, à partir des écrits post-FHAR de Hocquenghem (La dérive homosexuelle, Le Gay voyage, Oiseau de la nuit, Race d’Ep) et de leur reprise dans une théorie dite anti-relationnelle (Bersani, Edelman) ou plutôt contre-civilisationnelle de déterminer des contre-géographies perverses. Ce geste spéculatif se produit partir d’une généalogie croisée de l’intimité, du sujet homosexuel et de la ville par l’entremise de l’hygiénisme, la dérive homosexuelle et la drague comme relevant à la fois d’un flair topologique particulier et d’une visée antisociale forte : destituer l’intimité disciplinaire — et in fine, le familialisme. C’est l’hygiénisme disciplinaire, en ce qu’il provoque la présence de ce qu’il circonscrit et l’exhibe sous prétexte de le dissimuler, qui est la cible d’une certaine homosexualité (de la dissidence urbaine) par la complicité et le caché.

1. L’intime ou le complice : « Tout acte laisse une trace » – moment du crime

Comme si les corps n’étaient pas séparables de leur puissance de densité, de leur puissance de faire masse, et de ruiner en son principe toute intervalle et toute distance, l’hygiène convertit les corps en des idéalités capables d’analyser les masses : les comportements. La ville n’est devenue cette machine à (re)dresser les individus qu’à la condition de cette idéalisation des corps en comportements. (…) La constitution des espaces modernes est donc ainsi la formation et la formalisation, de systèmes idéaux de relations dont les relata sont des idéalités : ils ne sont pas faits avec des corps, mais avec des comportements. L’hygiène publique a développé une « science » des conduites et des sentiments en refoulant les corps.
Le petit travailleur infatigable.

Je voudrais partir d’une opposition à créer, celle du complot et de l’intimité, jouer avec le tracé topographique des imaginaires pervers. En simulant d’abord une généalogie du problème urbano-uraniste (ce mot d’uranisme de Karl Ulrichs), à partir de l’hygiénisme, y contraindre le moment de la complicité. Dans cette généalogie du problème urbano-uraniste, à titre de moment-clef, apparaît avec insistance l’hygiénisme depuis la moitié du XIXème siècle, et qui doit croiser la constitution, par le droit et la médecine, de l’homosexualité. Dans ce nœud juridico-médical, émerge l’homosexuel – auquel répond l’uraniste comme première figure de contestation ou de résistance épistémopolitique. Cette recherche, croisée à la ville, rencontre l’hyigénisme et la constitution d’un espace précis, lieu du disciplinaire extérieur et intériorisé, l’intimité.

On peut considérer que la pensée qui régit la ville jusqu’à la Charte d’Athènes (1933) est une pensée hygiéniste qui cherche à se prémunir des conséquences de l’entassement : le crime et la maladie. C’est-à-dire que le discours sur lequel on se règle n’est pas celui du communicationnel (ni d’une théorie de la communication ou cybernétique) mais celui de la contagion et d’une véritable métaphysique du miasme  : la proximité produit le pathogène et le criminel — l’urbaniste rencontre le criminologue.

En cherchant à éradiquer la débauche par l’établissement d’une science des conduites a-corporelles, l’hygiéniste — ce moraliste de la seconde moitié du XIXème siècle, — cherche ainsi à contrecarrer tout gonflement corporel, tout comportement érotique : le discours hygiéniste constitue l’espace de l’intime (l’habitat). La chambre l’emporte sur le cabaret et les mauvais lieux. Pour le dire encore autrement : l’habitat suscite des conduites spécifiques à des territoires spécialement conçus pour ces dernières. Toutes ces disciplines du logement portent sur les relations domestiques ; elles sont des « disciplines du minuscule » : technologie des interstices, des intervalles — toujours le danger que ça baise hors des quatre murs de l’habitat. L’entièreté du quotidien doit être domestiquée. Le slogan hygiéniste du XIXème siècle, ce serait : « Maintenir un ordre politique au milieu d’un désordre moral. » Le plus petit acte contient en lui-même la totalité des déterminations des menaces envers l’ordre public.

De l’intimité, on peut distinguer deux moments constitutifs : le premier comme moment de l’intimité classique, basée sur une psychologie de l’âme (XVIIème) concomitante à l’apparition du sujet de la modernité ; le second l’intimité disciplinaire comme création d’un espace de contrôle des corps (XIXème) centrée sur les vices collectifs et aboutissant à la notion structurante d’habitat. Toutefois, se détectent à chaque coup des résistances contre- l’intimité (des thérapeutiques) : à la première, c’est la Société des Amis du crime de Sade — celle d’une destruction permanente et de la conscience et du sujet par le crime (une morale de l’apathie) ; à la seconde, ce sont les lumpenpratiques dont la plus évidente, la plus centrale, est celle du vice charnel — partagée en deux subjectivités proches : la prostituée et l’homosexuel. Ces deux intimités, à entendre différentiellement, sont complémentaires : il s’est agi d’élaborer la famille substantielle contre les mauvaises subjectivités (prostituée et homosexuel), entendues comme des menaces. Et se constitue dès lors une police des familles, un rapport précis entre société et famille que l’on a nommé familialisme. C’est l’hygiénisme qui a constitué l’intimité comme une sorte de surface objective pour interroger les comportements individuels et venir joindre ensemble crime et pathologie. L’espace clos de l’habitat produisant une intimité, protectrice des menaces extérieures.

2. La sensibilité homosexuelle de la trace – moment du complot

[P]arce que le cercle vicieux supprime avec les identités la signification des actes une fois pour toutes et nécessite leur répétition infinie dans une totale absence de but, voilà pourquoi il devient dans le complot le critère sélectif de l’expérimentation.
P. Klossowski, « Le Cercle vicieux », Nietzsche aujourd’hui

Source : L’Allemagne et la caricature européenne en 1907, Gai-Kitsch-Camp

A cette police des familles, s’endurcit l’appareil répressif par l’entremise de l’agent qui se tient comme en hauteur de la ville, le panoptique, et contrôle ses interstices. La criminologie du début du XXème siècle, avec Edmond Locard le père de la criminalistique, affirmait : « Quiscunque tactus vestigia legat » (Tout contact laisse une trace). Il faudrait à partir d’un jeu subtil de glissement entre le crime, la complicité et le caché, en faire le mot d’ordre inscrit sur le frontispice de contre-géographies dissidentes : Tout contact laisse une trace. C’est l’éphémère coïtal qui laisse des traces que les homosexuels, fins géographes des villes, reconnaissent (Le Gay Voyage) et que Hocquenghem nommait le flair topologique des homosexuels :

Un plan de ville, c’est un territoire de chasse. Et draguer, une manière de le lire, ce plan, qui bientôt le recouvre, le rature, le rend illisible à tout autre qu’à moi-même, jusqu’à ce qu’il s’échappe, chiffonné et moite d’avoir été si longtemps tenu, par la fenêtre d’un tram pop ou d’un taxi jaune. Car mon ghetto n’est pas une portion, une fraction, un membre de la ville. Il est épandu partout, autre sens – mineur – donné par les habitudes instantanées, par les premières rencontres, par la géographie, fumeuse et terriblement précise dans le détail, des soirs où l’alcool et la drogue fixent les repères. 
(Gay voyage)

La complicité qui surgit, dans les bars, les cabarets se présente de manière fascinante, mais elle est beaucoup plus délocalisante, dans la drague de rue. S’ouvre alors le nouveau topos et une redéfinition, une reprise du caché, entendu en opposition à l’intimité — car l’intimité disciplinaire ne peut tolérer de caché, chaque interstice doit être contrôlée et corrigée ; il s’agit de déjouer la fausse apparence du « chez soi » de l’intimité par le caché — l’intimité disciplinaire étouffe les possibles, le caché les exacerbe derrière l’apparente tranquillité en ce que tout endroit est potentiellement zone de drague et de baise.

Mais davantage, il faut y saisir la désarticulation de l’identité. Y entendre alors : l’homosexuel désarticule sa propre identité (c’est un geste d’expropriation), identité qui a été façonnée par le disciplinaire. Production d’une nouvelle subjectivité par la drague, par le caché. Ce que recouvre la dérive de Guy Hocquenghem.

C’est ici, à partir d’une proposition que l’on peut qualifier de décadentiste, cernable chez Jean Lorrain au travers de ses Contes d’un buveur d’éther de 1895, dans cette littérature du caractère maudit de l’habitat clos, du mauvais gîte. Proposition décadentiste : comment il s’agit de déplacer le caché dans l’espace extérieur, dit public — car il s’agit de d’une désactivation du privé et du public — faisant jouer contre l’intime, la notion de complicité. Inscription charnelle évidente. Et cette inscription charnelle, cette persistante trace, ne s’entend pas comme une résistance à la massification du comportement homosexuel — le devenir-consommation régulé dans des lieux de cruising et de fête, la formation du ghetto rose (pinkwashing) — mais une résistance bien plus ancienne et plus solidement ancrée, sorte de néo-archaïsme désirant : refus imprimé, tracé, de l’intimité. Il s’agit d’infliger des blessures à la ville selon l’expression de Hocquenghem ainsi qu’à l’intimité disciplinaire.

Une des nombreuses lithographies des Baigneurs de Cézanne (1896)

La dérive homosexuelle s’entend comme une désidentification. Mais davantage, il faut y saisir la désarticulation de l’identité. Y entendre alors : l’homosexuel désarticule sa propre identité (c’est un geste d’expropriation), identité qui a été façonnée par le disciplinaire. Production d’une nouvelle subjectivité par la drague, par le caché. Ce que recouvre la dérive de Guy Hocquenghem. Faisant intervenir ici Lee Edelman dans L’impossible homosexuel : « L’homosexualité est donc constituée en catégorie pour désigner une condition qui doit être représentée comme déterminée, lisible, identifiable, dans la mesure précisément où elle menace de défaire la détermination de l’identité. » L’homosexualité, dans ce qu’elle doit se défaire d’elle-même, sorte de défaitisme homosexuel, a pu incarner l’attaque la plus frontale à l’intimité et donc à un certain rapport occidental entre le caché, l’intime et le crime.

Cette thèse qui pourrait être dite anti-relationnelle ou anti-sociale [1] s’entend à partir de sa productivité  : l’homosexualité est un mouvement de dissolution des géographies disciplinaires qui l’ont vu naître, une tendance à cette disparition ou abolition, en produisant des formes de relationalité autres passant par la drague et par la baise. Ou pour le dire encore autrement, elle est :

 D’une part un usage destitutif de l’anus — en même temps que l’anus perd sa fonction d’évacuation des déchets pour devenir un site de plaisir (un anti-hygiénisme), il s’agit de s’attaquer aux institutions disciplinaires réglées sur le familialisme.

 D’autre part un usage désirant de l’anus — production de nouvelles relations, connexions improbables, désir de tout ce qui peut venir le pénétrer. En ce sens, le terme « anti-relationnel », employé par les critiques de cette thèse, paraît bien trop faible…

Ainsi une complicité produite par une expropriation de l’autre (expropriation entendue comme le propre, l’intime, est agrippé et désactivé). Le complot est absorption dans le détournement en cours — jeu du complot et de la complicité, jeu de la drague secrète et de la suspension de la conscience par le crime en cours. C’est le phantasme qui s’éveille une fois que la vie institutionnelle (l’urbain et ses règles) et la vie morale (la conscience intime) sont neutralisées. Dès le premier regard, dans cette relation à une visagéité inconnue.

Une photo de Duane Michals en hommage à Constantin Cavafy

Plus qu’un effritement de l’innocence, il s’agit d’une attaque déclarée et reconnue comme telle à l’intimité. Pas de relation intime — voile de pudeur — mais des relations complices — la co-implication désirante dans un crime (tout le grand thème de Jean Genet). C’est là ce qu’il faudrait maintenant, après cette généalogie de la proposition anti-hygiéniste d’une homosexualité dérivante, contre-topographier.

3. La contre-topographie sodomistique : Tendre vs Alexandrie moderne

La Carte de Tendre, un tracé imaginaire, s’élabore progressivement au XVIIème siècle suite au roman-fleuve de Mademoiselle de Scudéry, Clélie, histoire romaine. Incarnation des Précieuses, on a longtemps représenté cette topographie imaginaire comme vertueuse — les règles menant au mariage, un guide pour le soupirant. Elle est plutôt à entendre comme une expérimentation non pas balisée, mais ouverte ; car elle ne fait que produire ce qu’on pense qu’elle écarterait : l’égarement. Y entendre ainsi la phrase dans Clélie  : « Il n’y a point de chemins où l’on ne se puisse égarer ».

Partant de la complicité dans le crime, il s’agirait de tordre ou d’effectuer une torsion perverse à la Carte de Tendre — et à son régime de la modernité propre (qui n’est pas encore celui du disciplinaire, mais disons d’une certaine psychologie de l’intime). Dans ce geste d’une contre-topographie sodomistique, notre carte prendrait le nom d’Alexandrie Moderne, dernière ville imaginaire du Gay Voyage de Hocquenghem, son New York hellénistique du 1er siècle. Ville d’une dérive impulsionnelle entre deux hommes.

Reprendre la carte de Tendre par la Dérive homosexuelle (Hocquenghem) et le Gay Voyage en l’expurgeant de tout télos — l’usage désirant de l’anus, c’est-à-dire un anus débarrassé du fonctionnalisme des organes, ne connaît aucune finalité si ce n’est la spirale dissolution-pénétration-dissolution. Elle suit le mouvement non téléologique de « Oiseau de la nuit » en posant le principe : le voyage de la dérive est un processus de désidentification des normes disciplinaires familialistes au profit d’une subjectivation nouvelle, résolument contre-civilisationnelle et contre l’intime : elle produit une nouvelle subjectivité (la folle de Hocquenghem) dont le but est de pervertir de nouveaux êtres, d’enclencher en eux une désidentification. Voilà une chose si peu habituelle qu’un docteur ès perversion et avec quelle manière, avec quelle langue il remplit son office !

Le principe moteur de la dérive est un principe de volution : un mouvement en spirale fait des désirs présents qui naissent, dans l’imprévisible de la rencontre — le fortuit versus le téléologique. Le point de « départ » est dès lors celle de l’initiation complice (une sorte de Bildungscruising) à partir d’un protagoniste hocquenghemien : la folle-voyou.

Ceci est un extrait du film de Lionel Soukaz et de Guy Hocquenghem, Race d’Ep, réédité en livre par nos complices des éditions La Tempête. Cette initiation (une perversion de l’initiation) débute le long de la pissotière mal famée et va suivre le mouvement d’une dérive spiraloforme — refus de toute circularité, c’est-à-dire d’une identité à soi. En reprenant le Gay voyage de Guy Hocquenghem de 1980, nous pourrions remplacer les villes précieuses par d’autres lieux, tout autant imaginaires qu’ils sont enracinés dans des souvenirs et des affects.

Simulant la Carte d’Alexandrie Moderne, nous pouvons placer quelques lieux pêle-mêle [2] :

 le Luxor : avec sa rhapsodie de jeans durant Jason et les Argonautes de Don Chaffey. Péplum rythmant le coït uranien des années 60 et 70.

 Les quais de la Seine avec les deux loubar, pas méchants, de Hocquenghem.

 Cinéma Le Méry, dit cinéma X, place de Clichy (où a lieu La chatte à deux têtes de Jacques Nolot)


 L’Adonis-Bar du roman de Maurice Duplay : bar ouvert par le jeune michto, Adonis avec ses ami.es travesti.es à Montmartre (très certainement au 2 rue Berthe).

 Pas loin, le Duplex, où j’ai sucé un type d’une cinquantaine d’années il y a quelques semaines

 L’Esclave à Avignon, une escale pour les tantes-théatrales un mois par an.

N’importe quel lieu caché, dans la teinte que lui a donnée François-Paul Alibert dans son roman Le supplice d’une queue. Ici la gravure en frontispice par Creixams (Créichams) dans la première édition, quasi toute détruite mais exemplaire possédé par Jacques Lacan, obsédé par la littérature homosexuelle pornographique.

 L’appartement de Jean Lorrain, où l’homosexualité se défonce à l’éther en abhorrant l’intimité (discours de l’homosexualité qui tend à sortir de l’habitat comme lieu de l’horreur : pulsion décadentiste)


 L’Argos Club d’Amsterdam (fermé). Donc une aire d’autoroute, agrémentée de quelques traces de kétamine, fera l’affaire avant de reprendre la route — dérive pour le coup vraiment sinueuse.

 Le Lab, d’où tout fleuve prend sa source

 Les Tuileries

 Le Marais, où, dans une ruelle, derechef j’ai sucé trois types à la suite, crime sur crime, aussi d’une quarantaine-cinquante d’années, il y a un mois. Une tape sur l’épaule pour m’indiquer qu’un voisin, lève-tôt, nous fixait. Et ainsi : Coïtus interruptus.

Précisons : Si cette dérive ponctuée d’endroits de consommation, nul n’y fait crédit (la dette morale ne s’y établit nullement) : la monnaie de rigueur durant ce parcours est monnaie vivante, quiconque est corps est jouissif et produit une valeur.


 Guy Hocquenghem et l’acteur porno Piotr Stanislas : dérive-discussion qui s’entend comme le moment d’une homosexualisation du Neveu de Rameau.

 L’Eldorado du Berlin des années 20-30 où peint Christian Schad Le Guide de la nuit lubrique au coeur de la Nouvelle Objectivité.


 Jean Genet, Pompes Funèbres  : Et son « j’encule le monde ! », tirade destituante de quelques syllabes à l’encontre de la civilisation occidentale.

 L’Université de Vincennes (passage exigé par Hocquenghem) devenue maintenu un parc d’attraction homosexuel — on peut y accéder par la Porte dorée.

 Les Catacombes dans les quartiers de South of Market de San Francisco où Gayle Rubin dominait et fistait Michel Foucault. Lieu épiphanico-anale puisqu’il découvre, dans un Eureka ! empli en lui : « Le pouvoir s’exerce plus qu’il ne se possède. » (Histoire de la sexualité, tome 1 : la volonté de savoir)

 L’école des Beaux-Arts du VIème arrondissement où avaient lieu les Assemblées Générales du FHAR et les orgies homosexuelles (sur six étages de drague nous raconte Hocquenghem dans L’après-Mai des Faunes)


  Sodome d’Henry d’Argis, premier roman homosexuel et préfacé par Verlaine. D’Argis en liaison avec Pierre Loti. Longue description d’un sauna parisien près de l’Opéra.

 Le Tourniquet de Saint-Jean Genet, anéantissement ontologique à mesure que le bas-fond se trouve gros des œuvres de ses amants.


 Les ruines de l’Institut für Sexualwissenschaft de Magnus Hirschfeld ; nous intimant la question spéculative : Comment vivre et penser parmi les ruines ? (Ursula Le Guin et Donna Haraway)

 L’Île du Ramier à Toulouse avec cette excitation dans la prolifération post-industrielle suite à l’explosion de l’usine AZF en 2001.


 Toute église présentant un Saint-Sébastien et tout arbre d’un parc devenant scène d’un sexo-martyre. Ici Le songe d’Ogier II (ou la Fustigation) de Pierre Klossowski dans L’Adolescent immortel et qui rappelle dans le Livre des Lamentations de Jeremie de l’Ancienne Alliance :

Il est pour moi un ours qui guette, un lion dans des cachettes
Il détourne mes chemins, me met en pièces, il a fait de moi un homme dévasté.
Il a bandé son arc et m’a dressé comme cible pour sa flèche
Il a fait pénétrer dans les profondeurs de mon être les fils de son carquois.


 Ostia le 2 novembre 1975, Pasolini.

Avec un détour par Stazione Termini où Pasolini recrutait ses dangereux amants.

 La grotte de Saturne (l’autre nom que Rabelais donne à l’anus) où l’on dévore ses propres enfants cependant qu’on les chie. Vient court-circuiter le cycle de la reproduction civilisationnelle : les fèces ne sont plus identifiées à l’argent psychanalytique, rupture de la sublimation, mais déstabilisées de la fonction excrémentielle ainsi qu’excrémentale — Saturne vorace plutôt que Jupiter.

Dans les mers de danger :

 L’appartement Pornotopie de Preciado : intimité postmoderne et masturbation

 Le Demence Boat  : c’est-à-dire le pétro-cruising

 Le Parlement Européen : gay-cravate

 La complémentarité des signes astrologiques (hypostase des rôles actifs/passifs dans un bestiaire post-prémoderne)

 Le coït ennuyeux type Xavier Dolan (sublimation anale)

4. Conclusion

Mais « comprendre » le simulacre ou s’y « méprendre » ne tire pas à conséquence : le simulacre, visant à la complicité, éveille en qui le subit un mouvement qui peut aussitôt disparaître ; et en parler ne rendra compte d’aucune manière de ce qui s’est alors passé : une adhésion fugitive à cette conscience sans suppôt qui embrasse dans autrui rien que ce qui se pourrait distraire, se dissocier du moi d’autrui pour le rendre vacant.
P. Klossowski, « Du simulacre dans la communication de Georges Bataille »

Une contre-topographie sodomistique trouve précairement l’expression dans une carte faite d’affects, d’expériences difficilement qualifiables de personnelles, puisque le moi et l’identité en sortent complètement destructurées. Momentanément, on en vient à délirer sur cette stabilité de la personne ; ne reconnaît aucune frontière — c’est la folle fabulatrice de Hocquenghem, qui sécrète son propre univers de référence et de sens. Par cette complicité dans le fortuit, les protagonistes s’exproprient des identités fixées par l’hygiénisme disciplinaire. Une carte, avec toutes ses nervures, résolument anales, suivant une méthode anale, sans aucune référence à un plan téléologique — celui de la reproduction — mais uniquement à celui de la jouissance inféconde, inengendrante.

La question devient alors celle de l’initiation à la perversion plutôt que de sa reproduction. En échappant à la surveillance de l’intime, celle de la famille et des institutions qui se sont fixé comme mission civilisationnelle de ne pas laisser un seul corps non investi par elles, la drague homosexuelle détermine une manière de communiquer par la complicité — une sémiotique pulsionnelle où seuls ces glorieux pervers se savent. Ce qui se propose alors, c’est d’envisager la drague homosexuelle non comme une transgression mais comme une simulation. En effet, la transgression se livre à un ratage interminable : elle conserve ce qu’elle supprime [3] — la loi hétérosexuelle est alors reconnue comme universelle dans le mouvement qui veut la nier.

Notre point de départ de l’opposition entre l’intimité et la complicité, toute fausse qu’elle est, doit enclencher le dépassement de la perversion comme transgression : c’est l’artificialité qu’elle produit – les territoires existentiels de la drague – qui rend possible une opposition entendue comme un événement déstructurant : soit le contre-civilisationnel, ce contre se faisant antagonisme [4] C’est donc un geste cartographique qui doit exprimer l’initiation ; cette expression n’étant nullement transgressive mais simulatrice : elle produit elle-même, dans un jeu de fantasmes et de déplacements, dans une artificialité efficace, la déstructuration de la pensée straight. Elle simule et non représente : car c’est la puissance du faux qui fait ici éclater les structures rationnelles du discours architectural et hygiéniste. La drague perverse ne nécessite aucune médiation dans son exercice, elle est branchée illico à l’espace – et s’y fond. C’est tout l’enjeu de la complicité perverse que de se faire sans aucune instance ni autorité – ni le regard du père ni celui de l’État, ni injonction reproductive qui la motive. Parce que cette complicité impose l’excès du désir hors du but reproductif, elle produit des territoires qui sont dotés de leur rythme et de leurs valeurs propres. On reconnaîtra alors dans cette puissance du faux une autre façon de dire et d’écrire la menace.

Quentin Dubois

Modifié le 02 mars 2024

[1J’en récuse les termes ainsi que la trop brève analyse qu’en a donnée José Esteban Muñoz dans Cruising Utopia. Au contraire, une explication qui viendrait opposer une théorie « relationnelle » et une théorie « anti-relationnelle » ne dit rien de la notion de relation au nom de laquelle elle se fait – elle ne dit même rien que le tout puisqu’en confondant relation et médiation, elle reste une pensée piégée dans la totalisation qu’elle cherche pourtant à désactiver. Il faudrait ici plutôt envisager ici le problème de la communication d’un incommunicable dont on fait l’expérience et dont le contenu de l’expérience s’élabore viscéralement — la relation est alors posée à partir des fragments que l’on expérimente au-dedans de soi, ce soi étant complètement disloqué (la désidentification).

[2On pardonnera ce que les impulsions jettent ici sans se soucier de les mettre en bouquet : l’incommunicable produit sa propre mise en relation et je laisse ici de plus sages et doctes homosexuels y trouver quelque rationalité.

[3Dans son analyse de Sade de 1947 et de la transgression chez Bataille, Klossowski parle d’une suppression conservante : la transgression affirme nécessairement l’existence qui est niée ou transgressée.

[4La question politique demeurant : l’opposition peut-elle temporairement se substituer à celle de la civilisation entre innocence et culpabilité au profit d’une non-innocence perverse ? Plutôt que de produire d’innocents désirants par l’éducation (ainsi l’a analysé Schérer dans l’Emile perverti), le groupe complice cherche à initier la non-innocence..

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