TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Après les études trans

Ce dialogue traite de l’état des études trans aujourd’hui. Quoique ses auteurices diffèrent dans leur degré d’optimisme pour leur futur, aels s’accordent pour dire que si les études trans veulent survivre, elles doivent être capables d’articuler un nouvel ensemble de pratiques de lecture distinctes, voire même en contradiction avec celles des études queers. Revisitant l’essai fondateur de Sandy Stone « L’empire contre-attaque », paru en 1991, aels remarquent que les études trans débutent paradoxalement par un appel à abandonner la figure de lae transsexuel-le, conçue exclusivement comme une catégorie médicale normative. Par contraste, les auteurices avancent l’idée que la valeur critique de lae transsexuel-le réside précisément dans le fait qu’ael est un obstacle aux récits romantiques d’anti-normativité queer.


Photo : Léa Rivière, Magic Wand, 2021.

Andrea Long Chu : Regardons les choses en face : les études trans sont terminées. Si elles ne le sont pas, elles devraient l’être. Jusque là, les études trans ont largement échoué à établir un ensemble robuste et convaincant de théories, de méthodes et de concepts qui les distingueraient des études de genre et des études queers. Susan Stryker (2004) a un jour écrit que les études trans étaient « le jumeau maléfique des études queers ». Elle avait tort : les études trans sont le jumeau que les études queers ont absorbé in utero. (L’utérus, comme il se doit, était le féminisme.) Ce que tout le monde sait, c’est que les études queers n’ont jamais eu aucun scrupule à s’arroger le genre comme l’un de leurs principaux sites d’enquête, et à juste titre, puisque essayer d’étudier la sexualité sans étudier le genre serait manifestement absurde. Le queer a, dès le départ, décrit à la fois le genre et la déviance sexuelle, et qui plus est, le genre en tant que déviance sexuelle et la sexualité en tant que déviance de genre. De ce point de vue, les études trans ne sont qu’une redondance gênante, de l’ADN frelaté.
Dans les études trans, il n’y a rien qui ressemble aux riches conversations autour des temporalités queers qui ont eu lieu dans les études queers au milieu des années 80, ou comme les récents débats sur l’Afro-pessimisme dans les études noires, les deux devant beaucoup à des polémiques (Edelman 2004 ; Wilderson 2010) et à leurs retombées subséquentes. À la place on nous sert des aménités réchauffées. C’est ce qui se passe lorsqu’une quantité massive de méthodes et de concepts queers avec le label TRANS collé à la hâte par dessus leur date de péremption rencontre un afflux de capital politique du fait des politiques de l’identité transgenre actuelles. Le résultat ressemble à quelque chose comme une église. Mais ce qui importe, du point de vue de l’élaboration théorique, c’est le conflit. Je suis très conservatrice en ce qui concerne la formation des disciplines. Nous avons besoin d’un petit nombre de monographies de très bonne qualité à propos desquelles nous puissions réellement nous engueuler. Est-ce qu’il te vient à l’esprit un seul débat signifiant dans les études trans aujourd’hui ? Le pinaillage est partout, mais un désaccord véritable, du genre qui fait naître les théories, c’est rare. Pourquoi sommes nous si gentil-les les un-es avec les autres ? Je pense que l’idée d’une bonne baston démange bon nombre d’entre nous. Mon essai « On Liking Women  » (Chu 2018) était une tentative désespérée de susciter de la contradiction. A cet égard, cela a largement échoué.

Emmett Harsin Drager : Je ne peux pas t’offrir la contradiction que tu recherches, à part peut-être pour dire que je ne pense pas que les études trans soient terminées, en fait, je pense qu’elles sont potentiellement à une croisée des chemins très enthousiasmante. Je pense que certains des textes les plus cités à propos des personnes trans et dans les études trans ont été le fait de chercheureuses non-trans (c.à.d. cis) recyclant les mêmes citations, concepts et métaphores [1]. Quel-le chercheureuse cis va intervenir dans la discussion pour dire : « Dites-donc, il me semble que l’on a compris ce concept de dysphorie complètement de travers » ? Cela n’arrivera tout simplement pas. À la place, on se tape toujours les mêmes débats sur l’autonomie corporelle, le potentiel radical des modifications corporelles ou encore pire, les arguments de personnes cis comme quoi la transition sociale est tout aussi signifiante et transformatrice que la transition médicale. Et même parmi les chercheureuses trans présent-es dans le champ, personne n’a envie de parler de combien les opérations chirurgicales peuvent être décevantes, ou de comment, peut-être, la dysphorie pourrait bien ne jamais disparaître. Cela serait perçu comme sapant notre marche graduelle vers « le progrès ». Tu cites Edelman comme un exemple du genre de polémiques dont nous avons besoin. Nous sommes dans l’ère de l’enfant trans. Ce serait parfaitement ridicule d’imaginer une chercheureuse en études trans affirmant que peut-être, en fin de compte, on devrait refuser de prescrire des hormones aux enfants trans. En tant que champ nous ne permettons pas ce genre de désaccords. Tout doit « affirmer le genre » (quoique cela puisse bien vouloir dire). [2]
Les études trans ne sont pas terminées, mais elles doivent apprendre à exister par elles-mêmes, et pas comme un addendum ou un trait d’union ou l’astérisque de quelque chose d’autre. Il me semble que c’est précisément pour discuter de ça que nous sommes là, de comment tirer quelque chose de cet ADN frelaté.
Pour moi, les études trans ont un problème de narration. J’ai été fortement influencé-e par les chercheureuses qui réfléchissent au rôle de la narration dans les enquêtes historiques. Comme l’a proposé Hayden White (2000) : toute enquête historique est informée par sa mise en récit. Une enquête historique doit prendre la forme d’un scénario ; c’est, en son cœur, une histoire : une romance, une comédie, une tragédie, une satire (7). Dans Conscripts of Modernity (2004) de David Scott, celui-ci affirme que le post-colonial cherche à utiliser la même boîte à outils, ou comme il l’appelle le même « espace problématique », que l’anti-colonial. Il suggère qu’alors que la romance, un genre qui parle de triomphe, était nécessaire à la résistance anti-coloniale, la tragédie pourrait être un genre plus apte à décrire la modernité post-coloniale. Dans les études trans, j’ai l’impression que nous faisons un récit de notre statut de victime (tragédie), ou bien un récit de notre résistance (romance). Je suis bien plus intéressé-e par une satire, un genre qui parle de combien être une personne trans dans ce monde peut être décevant, voire tout bonnement chiant. Comme White l’a avancé (2000 : 8), les histoires racontées sur le mode de la satire « produisent leurs effets précisément en frustrant les attentes normales à propos du genre de résolutions fournies par les histoires racontées sur d’autres modes. » Telle est notre tâche, écrire une satire trans.

ALC : Je pense que tu as tout à fait raison de dire que les études trans ont un problème de narration. Ou plutôt, comme je le suggérerais, que les études trans ont hérité du problème de narration des études queers. Le queer ayant, en tant que méthode d’analyse, atteint un point d’épuisement analytique, les chercheureuses en études queers ont dû trouver d’autres véhicules pour le fantasme romantique de la critique conçue comme acte politique radical ; et pour lequel le queer a été un refuge ces vingt dernières années. Le grand secret des études trans, c’est que, pragmatiquement, leur définition de trans se résume à « queer, le retour ». C’est donc cela que les études trans ont l’air d’être cantonnées à offrir : un refuge pour « l’optimisme politique » en danger dans les études queers, comme le dit Robin Wiegman (2012). C’est la raison pour laquelle la plupart des chercheureuses en études trans ne sont en fait que des chercheureuses en études queers particulièrement sensibles aux phénomènes de mode.
Prends, par exemple, l’article que la plupart des chercheureuses citent comme leur « méthode », dans l’introduction d’un livre, d’un chapitre ou d’un article, en tout cas quand aels sont plus soucieux-ses de paraître prendre une position théorique radicale, c’est l’introduction d’un numéro spécial vieux de dix ans du Women Studies Quarterly, dont les coordinateurices rejettent « le nominalisme implicite de trans en faveur de la relationnalité explicite de trans-, qui reste ouvert et résiste à un enfermement prématuré en s’attachant à quelque suffixe singulier que ce soit » (Stryker, Currah, et Moore, 2008,11). En gros l’idée c’est que les personnes transgenres, en tant que groupe identitaire restreint, peuvent être un tremplin méthodologique pour penser de manière plus expansive le franchissement de frontières de toutes sortes : non pas juste trans-genre, mais également transnationales, transraciales, transespèces ; tu vois le tableau. Et donc ces auteurices nous font le don de transer, la suite de queeriser que personne n’a jamais demandée. Comme la plupart des suites, c’est juste le même foutu film avec quelques éléments de scénario légèrement réarrangés. Quiconque prétend le contraire ment. Est-ce qu’on s’imagine sérieusement qu’une étudiante lambda de 1998 - extraite, par le pouvoir de la pensée spéculative, de son petit coin de bibliothèque, sans fenêtres et au sous-sol, où elle se réfugie pour se protéger des professeurs mâles qui la collent de trop près lors des fêtes de vacances - est-ce qu’on s’imagine sérieusement qu’une telle étudiante, à qui l’on demanderait de décrire ce que signifie « queeriser quelque chose », répondrait, « Oh, c’est une question de frontières fermes, de stabilité, et aussi d’immobilité. »
Mais la satire trans a, je pense, le potentiel de devenir une véritable méthodologie substantielle ; non pas rejeter la narration en tant que telle (ce qui est impossible), mais essayer d’apprendre à écrire sans optimisme, ou peut-être comment être optimiste sans être naïf-ve. Mais là encore, j’ai la suspicion qu’écrire sans optimisme est également impossible, dans la mesure où je suis convaincue par Lauren Berlant (2011 : 1-2) que « tout attachement est optimiste, si nous décrivons l’optimisme comme la force qui vous meut hors de vous-mêmes et dans le monde, dans le but de vous rapprocher de ce quelque chose de satisfaisant que vous ne pouvez pas générer par vous-mêmes, mais que vous devinez dans le sillage d’une personne, d’un mode de vie, d’un objet, d’un projet, d’une scène. » Peut-être que ce que je vise, dès lors, c’est une écriture sans optimisme politique, c’est-à-dire, une écriture sans tous les attachements optimistes que l’on attribue a priori à la catégorie du politique. On pourrait appeler cela un optimisme amer, peut-être. L’amertume me paraît pertinente comme l’un des principaux affects critiques de la satire trans telle que nous sommes en train de la concevoir ici ; non pas le cynisme, qui est une manière de diluer l’amertume jusqu’à en perdre le goût, mais la véritable amertume, la déception amère de découvrir que le monde est trop petit pour tous nos désirs, et particulièrement ceux de nature politique. Je sais que je suis amère. J’ai l’impression que tu l’es, toi aussi.

EHD : L’optimisme politique des études trans trouve son fondement dans la figure de lae post-transsexuel-le. Les contours des études trans ont été largement dessinés par « L’empire contre-attaque : un manifeste post-transsexuel » (1991), dans lequel Sandy Stone propose un récit des cliniques universitaires de genre et de leurs liens avec le développement d’un diagnostique différentiel (« le trouble de l’identité de genre »). Dans la version de l’histoire que raconte Stone, des patient-es, à la recherche désespérée de moyens de se faufiler entre les mailles du filet médical, répètent et produisent un récit faux et inauthentique de leurs propres vies dans le but d’être éligibles à une chirurgie de réassignation sexuelle. Aels se font circuler entre elleux des copies de The Transsexual Phenomenon de Harry Benjamin afin de savoir quoi dire aux docteur-es lors de leurs entretiens d’admission. Stone raconte cette histoire dans le but de mettre en évidence la nature répétée du récit que les trans font d’elleux-mêmes et de leurs autobiographies, et ce faisant elle pointe du doigt la question de l’authenticité. Elle s’inquiète en particulier de la fusion des « polyvocalités émergentes » en un récit/discours unique de médicalisation. Stone décrit le corps trans comme « un genre » [au sens de type de narration] ; « un ensemble de textes incarnés » (296). Pour Stone, l’hégémonie médicale condense une multitude d’expériences vécues, d’incarnations, et d’identités en une histoire unique de la transité (le narratif du « mauvais corps »), une trajectoire d’incarnation (la transition médicale), et une catégorie identitaire (lae transsexuel-le qui passe). Le manifeste de Stone enjoint lae transsexuel-le à « renoncer à passer, à être consciemment lu-e, à se lire ellui-même à haute voix », et ce faisant, à embrasser la transsexualité comme une intertextualité, une multiplicité de genres (299).
Cette histoire des cliniques du genre, telle que Stone la raconte, pose les bases pour un ensemble de binarités qui sont devenues « l’espace problématique » central des études trans ces 30 dernières années : authentique contre inauthentique, identités médicales contre identités vernaculaires, et lae transsexuel-le contre lae post-transsexuel-le (c.à.d. lae transgenre). Je ne pense pas que Stone ait eu l’intention de créer ces binarités, mais quoi qu’il en soit, c’est ainsi que son article a orienté des années d’études sur les vies et les identités transgenres. [3]
Stone en appelle spécifiquement à un nouveau genre de transsexuel-le : un-e post-transsexuel-le ; ou d’après moi, un-e non-transsexuel-le. Dans son manifeste, un texte fondateur pour le champ, elle nous presse de raconter nos histoires sur un mode différent de celui de lae transsexuel-le médicalisé-e, établissant à la racine même des études trans le désaveu de lae transsexuel-le. Et les chercheureuses en études trans ont depuis été obnubilé-es par le souci de prouver que ce n’est plus cela que nous sommes. Il y a tout un tas d’écrits trans en circulation que je décrirais comme diagnostiques, en ce sens que leurs auteurices vont choisir n’importe quelle autobiographie trans, ou un mémoire, ou un show télévisé et démontrer en quoi ils diffèrent des narrations trans antérieures (voir, par ex., Beemyn 2006 ; Rondot 2016). Peut-être sans le vouloir, ces auteurices répondent à l’appel de Stone en tentant de diagnostiquer un basculement narratologique dans lequel nous aurions quitté l’histoire de la médicalisation dont parle Stone, à la faveur d’un nouveau genre polyvocal, intertextuel et récalcitrant, celui de lae post-transsexuel-le. C’est tout à fait dans la veine du genre romantique. Et dans ce diagnostique, nous cherchons toujours à prouver que nous sommes du « bon » côté, ou je dirais plutôt, du côté « woke » [éveillé, conscient] du basculement narratologique.
Pour moi, ce projet qui consiste à sans cesse essayer de prouver que nous ne sommes plus lae transsexuel-le médicalisé-e est précisément le champ de bataille où les études trans ont vécu, mais aussi là où elles mourront. Il s’agit d’une obsession pour la résistance et la radicalité qui a sévèrement limité notre capacité à comprendre pleinement les passés et les présents trans. Et c’est pourquoi cela m’intéresse de revenir aux figures problématiques des transsexuel-les des années 60 et 70, spécifiquement les patient-es et les patient-es aspirant-es des cliniques de genre aux États-Unis, afin d’essayer d’établir une histoire trans plus robuste qui n’ait pas ses racines dans ces binarités entre vernaculaire et médical ou entre authentique et inauthentique, mais plutôt qui soit pleine de désordre, de contradictions, de déceptions et de débouchés inattendus.

ALC : Et j’ajouterais que ce n’est pas un hasard, que lae transsexuel-le soit la seule chose que trans peut décrire et que queer ne peut pas. Lae transsexuel-le n’est pas queer ; c’est ce qu’il y a de mieux chez ellui. Prends Agnes, pseudonyme de cette femme transsexuelle qui s’est fameusement faite passer pour intersexe à la clinique d’identité de genre de UCLA à la fin des années 50 afin d’obtenir une vaginoplastie. Harold Garfinkel a fait la chronique du cas d’Agnes ([1967] 2006) dans un article que l’on enseigne désormais dans les cours d’études trans. (C’est la sixième entrée dans The Transgender Studies Reader.) Agnes est régulièrement célébrée comme étant une sorte de ninja du genre : rusée, stratège, escroquant avec précision le complexe médico-industriel pour qu’il lui donne ce qu’elle veut (voir, par ex, Preciado [2008] 2013 : 380–89). Ce dont personne n’a envie de parler c’est de ce qu’elle voulait concrètement : une chatte, un mec, une maison, et une putain de vie normale. Agnes n’a peut-être pas eu l’intuition que son genre était une « réussite sous contrôle », mais en tout cas, elle s’est consacrée à rembourser l’achat de son nouveau lave-vaisselle (Garfinkel 1967). Si Agnes « révèle » quoi que ce soit à propos du genre, c’est qu’en fait une normativité effective est, à strictement parler, impossible. Les normes, en tant que telles, n’existent pas. (Si Trouble dans le genre était au courant, l’explication que le livre en donnait n’était pas claire. [4]) Cela ne signifie pas que les normes ne structurent pas les désirs des gens ; ce que cela signifie, c’est que le désir pour la norme consiste, en termes de contenu vécu, en tentatives non-normatives de normativité. Agnes était un sujet non-normatif, mais ce n’est pas parce qu’elle était « contre » la norme ; au contraire, sa non-normativité était ce à quoi vouloir être normale ressemble. Comme la plupart d’entre nous, Agnes faisait ce qu’elle pouvait dans les failles entre ce qu’elle voulait et ce que le fait de le vouloir lui a apporté.
On peut débattre, et les gens l’ont fait, pour savoir si la théorie queer est possible sans l’anti-normativité (Wiegman et Wilson 2015). Mais quoi qui puisse succéder aux études trans - puis-je suggérer la théorie transsexuelle ? - sera impossible avec la non-normativité. L’intervention la plus puissante que puissent faire les chercheureuses travaillant dans les études trans à ce moment précis dans l’académie, est de défendre l’affirmation que la transité requiert que nous comprenions, comme nous ne l’avons jamais fait auparavant, ce qu’être attaché à une norme signifie ; par désir, par habitude, par survie.

EHD : Je pense que ton idée comme quoi la transsexualité peut être une clé pour comprendre les normes et comment elles fonctionnent est très juste, c’est exactement ce que j’essayais de dire à propos des écueils qu’il peut y avoir à ne s’intéresser qu’aux histoires qui parlent de résistance et de « politiques radicales ». Ce qui m’intéresse avec le désir d’historiciser, c’est combien il est motivé par un profond désir de trouver des gens dans le passé qui pourraient nous avoir ressemblé et vécu comme nous. C’est un projet qui consiste à se découvrir une communauté à travers le temps. [5] Mais, je pose la question, que faisons nous des figures historiques que nous découvrons et qui ne sont pas à la hauteur de nos attentes ? Nous voulons trouver les Sylvia Rivera et les Marsha P. Johnson, mais la plupart du temps, les personnes que nous trouverons ont toutes les chances d’être des personnes qui nous décevront profondément. Quelle est notre responsabilité envers elleux ? [6]
Pour cette raison, j’ai été récemment très inspiré-e par l’article de Finn Enke dans le Trangender Studies Quarterly : « Collective Memory and the Transfeminist 1970s  » (2018), dans lequel ael demande pourquoi, en dépit de toutes les complexités diverses du féminisme des années 1970, on ne s’en souvient collectivement que comme d’un féminisme blanc, uniformément non-inclusif et anti-trans ? Enke nous exhorte à faire attention à la mémoire collective et à comment elle est souvent un reflet du présent plus que du passé. Ael s’interroge : pourquoi sommes-nous si « perversement attaché-es » à un héritage du féminisme de la seconde vague qui ne présente cette époque que comme un lieu de préjudice et de victimisation pour les personnes trans (17) ? Je lui fais écho en demandant pourquoi, en tant que champ, sommes-nous si perversement détaché-es de lae transsexuel-le ? En dépit des nombreux-ses individu-es hétérogènes, de races, de classes et de nationalités diverses, qui ont cherché à obtenir une chirurgie de réassignation sexuelle dans les cliniques de genre universitaires, d’une façon ou d’une autre, on se souvient de ces transsexuel-les (ou aspirant-es transsexuel-les) de manière plutôt monolithique, comme de femmes trans blanches, de classe moyenne et hétérosexuelles (aspirantes).
Ce que je trouve si convaincant à propos de l’argument d’Enke, c’est que ces moments, cette histoire, notre histoire « mérite(nt) une analyse informée par une archive plus large » (Enke 2018 : 17). Ce qu’il y a d’heureux avec les cliniques de genre des années 60 et 70, c’est que, du fait de leur affiliation universitaire, elles ont laissé derrière elles des archives incroyablement conséquentes. Pour ce qui est de l’histoire transsexuelle, on peut difficilement se plaindre d’effacement et d’archives lacunaires. [7] Ma propre recherche dans les cliniques m’a fait découvrir dans les collections universitaires des lieux riches d’enquêtes potentielles à même de remettre en cause certaines des croyances fondamentales des études trans (par ex, la notion même d’ « identité médicale »). [8]

« Ainsi que les historien-nes et les documentaristes l’ont montré, les paroles des femmes et des hommes trans elleux-mêmes sont dores et déjà à notre disposition ; il est possible de découvrir et de donner de l’écho même aux perspectives et aux vies de gens qui ne sont plus avec nous, et de les connaître par leur travail et par leurs jeux, pas simplement comme des paratonnerres à transphobie » (Enke 2018 : 12).

De la même manière que tu t’intéresses à la question de ce que nous faisons des personnes dans nos communautés qui n’ont pas les « bonnes politiques », je m’intéresse à ce que nous faisons des figures du passé qui nous déçoivent parce qu’elles échouent à passer une sorte de test de litmus de « radicalité ». C’est vraiment là que nos projets se rencontrent et se chevauchent, dans les questions d’affects négatifs et de mauvais objets.

ALC : Et il n’y a pas pire objet qu’une femme. C’est un postulat de départ dans tout mon travail. Le problème avec la transsexuelle c’est qu’elle – et paradigmatiquement, elle est une femme, en particulier si nous parlons plus généralement de la culture États-unienne des XXe et XXIe siècles – trimballe avec elle tout le bagage du genre. Comme beaucoup de femmes, elle en fait trop. Le problème avec la transsexuelle c’est qu’elle a toujours été un peu trop une femme. C’est difficile de faire de quelque chose d’aussi politiquement ringard qu’une femme l’égérie pour cette nouvelle métaphysique tendance que vous colportez (voir Hayward et Weinstein 2015 ; Colebrook 2015 ; Puar 2015 ; Bey 2017). C’est devenu très en vogue durant les vingt dernières années de parler de la queerité ou de la noirité, et plus récemment de la transité, dans un sens ontologique, souvent avec des accents heideggeriens. Dans le même temps, il n’en reste pas moins vrai qu’être assez stupide pour écrire un livre sur la féminité vous ferait éjecter de tous les clubs universitaires à la page en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « intersectionnalité ». Je ne dis pas que quiconque devrait écrire à propos de la féminité ; je remarque simplement que personne ne le pourrait, même si ael le voulait, en tout cas pas si ael voulait décrocher un job ou un contrat pour un bouquin dans le climat universitaire actuel. Pendant ce temps là, les études trans restent un champ où deux hommes peuvent débattre tranquillement des mérites de femme en tant que catégorie politique (Green et Bey 2017). (Alerte spoiler : Aels ont leurs doutes.)
Je reparcourrais récemment Un manifeste cyborg de Donna Haraway ([1985] 1991), et ça m’a rappelé à quel point la catégorie politique de femme lui est antipathique dans cet essai. (C’est un signe des temps, à n’en pas douter : elle écrit au début des années 80, en réaction à ce qu’on nous a appris à appeler le « féminisme culturel », quoique je sois sceptique quant à cette taxonomie.) Lae cyborg, en tant que nouveau mythe, est conçu-e comme une voie hors des femmes, hors de l’universalisme des années 70, et potentiellement hors du genre tout court : « Lae cyborg est une créature dans un monde post-genre » (150).
Et, cela va de soi, Sandy Stone a été l’élève d’Haraway à l’université de Californie, Santa Cruz, et l’influence d’Haraway est partout dans « L’empire contre-attaque », ce que Stone (1991 : 284) reconnaît explicitement. (Un manifeste cyborg trouvera d’ailleurs son chemin jusque dans les pages du Transgender Studies Reader en 2006, en dépit du fait que les personnes trans ne jouent aucun rôle dans l’essai.) Je suis d’accord avec tout ce que tu as déjà dit à propos de l’essai de Stone : moi aussi, je nourris une grande ambivalence à son égard. Je note la connexion entre Stone et Haraway simplement pour dire que posttranssexuel-le n’est pas juste une tentative de désavouer la transsexualité ; c’est aussi une tentative, comme cyborg avant cela, d’être post-femme. L’affirmation est juste là dans sa citation de Trouble dans le genre – de la même manière que, pour Butler, les cultures butchs et fèms à la fois rappellent et déplacent l’hétérosexualité, de même, pour Stone, la transsexuelle à la fois rappelle et déplace la féminité : « Dans la transsexuelle en tant que texte il se pourrait que nous trouvions le potentiel de cartographier et de reconfigurer le corps par dessus le discours conventionnel sur le genre et par là-même de le disrupter, de nous servir comme d’un atout des dissonances créés par une telle juxtaposition de fragments et de reconstituer les éléments du genre dans des géométries nouvelles et inattendues » (296). C’est une astuce qui fait très années 90. Rien ne saurait être plus années 90 que de trouver une figure qui « révèle » les fonctionnements internes du genre.
Je pointe ceci du doigt car ce que cela m’inspire c’est que ce qui se passe dans cet essai n’est pas – en dépit des apparences – que Stone énonce une vérité authentique sur ce que ça fait vraiment d’être trans (comme elle le prétend) ; ce qui se passe c’est que Stone, comme la plupart des chercheureuses sur le genre dans les années 90 (et les années 80, et notre propre décennie), façonne son objet pour qu’il convienne à sa théorie, qui n’est pas sans coïncidence la même que la théorie à la mode de l’époque. Pour le dire autrement, la forme narratologique de base du discours médical – ce que Stone appelle une « histoire plausible » - est en fait demeurée largement intacte. Tout ce que Stone a fait c’est d’échanger le contenu originel de cette histoire (maladie, diagnostique, traitement) pour un contenu différent, à savoir, les éléments les plus répandus dans la théorie du genre des années 90 (performativité, disruption, transgression). En fait, elle pose les bases pour l’astuce intellectuelle éculée par laquelle la personne trans, du simple fait d’exister, devient un-e incubateurice pour les théories du genre des autres. (Jay Prosser [1998] nous à mis en garde contre cela à la fin des années 90. Personne ne l’a écouté.)

EHD : Cette connexion entre lae posttranssexuel-le et lae cyborg a son importance. Lae cyborg en vient à être une figure de substitution pour la futurité, la flexibilité, le techno-genre, l’hyper-modernité, etc., et puisque lae cyborg est essentiellement lae posttranssexuel-le, la transsexuelle est ensuite reléguée dans le passé. Elle est archaïque et anachronique.
C’est quand même intéressant la manière dont exactement les mêmes procédures et technologies médicales qui ont été utilisées par lae transsexuel-le acquièrent un ensemble entièrement nouveau de significations dans leur ré-étiquetage posttranssexuel en tant que « chirurgie de confirmation de genre ». Toujours dans la veine des « choses contre lesquelles des gens nous ont mis en garde et que nous n’avons pas écouté », je pense que nous pouvons nous tourner vers l’essai de Nikki Sullivan « Transmogrification » (2006), dans lequel elle nous met en garde contre les hiérarchies de modifications corporelles. Non seulement ces hiérarchies de jugements moraux à propos des bons et des mauvais types de modification corporelle existent dans la culture dominante, mais elles prennent également une forme qui leur est propre dans les contre ou les sous-cultures. En particulier, ce qui me semble clé dans l’argument de Sullivan est sa critique de l’idée qui fait que certains types de modification corporelle en viennent à refléter le libre arbitre, la pensée critique et des politiques subversives quand d’autres types de modification corporelle en viennent à symboliser l’endoctrinement, la fausse conscience et le statut quo.
En dépit du fait que l’essai de Sullivan a trouvé son chemin jusque dans les pages du premier Transgender Studies Reader, il semblerait que la plupart des gens aient sauté ce chapitre ; Sullivan n’a pas rejoint la courte liste de textes qui sont cités ad nauseam dans les études trans. Les jugements moraux à propos des modifications corporelles sont rampants dans les études queers et trans, tout ça au nom des politiques d’anti-normativité. Ça me laisse vraiment pantois-e, le vitriol que les théoricien-nes queers ont pour la phalloplastie. Si votre modification corporelle ressemble de trop près au « genre de lae transsexuel-le médicalisé-e » originel-le, votre réputation queer est cuite. Donc j’imagine que ça c’est quelque chose à propos de quoi je suis amer-e – la manière dont le corps transsexuel est un champ de bataille politique. Et, tu sais, il ne s’agit pas juste de politiques, c’est aussi la façon dont la modification corporelle est abordée dans la théorie. Comment se peut-il qu’exactement les mêmes procédures tantôt symbolisent, pour la théorie queer, le Fantôme des Genres Passés et tantôt sont la fondation même des nouvelles théories matérialistes de la mutabilité, du devenir et de l’entremêlement ?

ALC : Je suis très heureuse que tu évoques les nouveaux matérialismes. Pour les besoins de ce dialogue, je serai agnostique à propos des nouveaux matérialismes en tant que tendance générale : comme toutes les tendances universitaires, il y a du bon, plus de moins bon, et beaucoup d’ennuyeux. Mais je dirai, sans réserves, que les nouveaux matérialismes sont la pire des directions dans laquelle les études trans puissent s’engager. Dans les études trans, qui sont si pauvres en théorie pour commencer, les travaux dans le style néo-matérialiste parviennent d’une façon ou d’une autre à occuper une quantité disproportionnée d’espace tout en ne faisant, pour parler franchement, pas le commencement d’un début de sens. C’est toujours une affirmation qu’il est effrayant de faire dans les humanités ; le risque est toujours qu’ayant échoué à comprendre l’argument, on impute cet échec à l’argument lui-même. La conséquence est que nous sommes très mauvais-es pour dénoncer le bullshit. Mais bullshit il y a. Oserais-je te donner un exemple ?
Évidemment. Prends cet article de 2015 par Karen Barad publié dans le GLQ. Dans cet article, ael nous assure qu’ael ne récupère pas trans « dans une étreinte appropriative des tendances théoriques les plus récentes » (413). Ensuite ael écrit des choses comme ça :

La matière ce sont des auto-expérimentations/auto-re-créations, mais pas sur un mode auto-poïétique : la matière est bien plutôt un défaire radical du « soi », un défaire radical de l’individualisme. Toujours vivante, jamais identique à elle-même, elle est indénombrablement multiple, versatile. La matière n’est pas simplement un être, mais son dé/faire incessant. La nature est une trans*matérialité/trans-matière-réalité agentielle en re(con)figuration permanente. (Barad 2015 : 411)

Trans n’accomplit aucun travail théorique dans cet essai ; il y est employé purement comme un ornement pour initié-es, qui permet à Barad de défendre le même argument qu’ael tient depuis des années. Je peux aisément te le prouver. Voici Barad dans differences en 2012, qui fait son truc :

Ainsi, chaque niveau de toucher touche et est touché par tous les autres possibles. Ainsi, se toucher soi, c’est rencontrer l’infinie altérité du soi. La matière se repliant sur elle-même, involuant, ne peut s’empêcher de se toucher elle-même, et en se touchant, elle vient au contact de l’altérité infinie qu’elle est. Une perversité polymorphe élevée au rang de puissance infinie : tu parles d’une intimité queer ! (Barad 2012 : 212-213 ; italiques supprimés)

Et maintenant lae voilà qui fait exactement la même affirmation – ael recycle littéralement des phrases, ce qu’ael admet dans les notes – en 2015 (J’ai mis les nouveaux passages en italique) :

Ainsi, chaque niveau de toucher touche et est touché par tous les autres possibles. Les auto-intra-actions des particules impliquent des transitions d’une particule à une autre qui défont radicalement les genres – des trans/formations queers. Ainsi, se toucher soi, c’est rencontrer l’infinie altérité du soi. La matière se repliant sur elle-même, involuant, ne peut s’empêcher de se toucher elle-même, et en se touchant, elle vient au contact de l’altérité infinie qu’elle est. Une perversité polymorphe élevée au rang de puissance infinie : tu parles d’une intimité queer/trans* ! (Barad 2015 : 399)

Et du coup lequel est-ce, Karen ? La matière est-elle queer ou la matière est-elle trans ? Les deux, bien entendu, puisque pour ael, comme pour la plupart des gens qui travaillent dans les études trans, queer et trans sont évidemment synonymes. Si ça à l’air de me mettre en colère, tant mieux. Je le suis.
Mais tâchons d’être des travelo-tes sympas l’espace d’un instant. Quels travaux te remontent le moral ces jours-ci ?

EHD : Je suis enthousiaste à propos du nouveau livre de Kyla Schuller The Biopolitics of Feeling (2018) pour les manières par lesquelles elle y prend le contre-pied de ces théories de re(con)figuration et de (dé)construction que toi et moi trouvons tellement exaspérantes. Par le biais d’une histoire de la science, elle avance l’idée que les impressions et l’impressionnabilité (la capacité à affecter et à être affecté-e) sont inscrites au cœur même de la structure du biopouvoir et par conséquent des concepts modernes de race, de sexe et d’espèce. « Les cadrages contemporains qui cherchent à contester les déterminismes biologiques au moyen de la flexibilité matérielle n’échappent pas à l’héritage politique de l’humanisme libéral – au contraire, ils récapitulent à leur insu l’appareil conceptuel des biopolitiques du sentiment » (11). Je suis curieux-se des implications de ce qu’elle dit au regard de la théorie trans, en particulier les manières par lesquelles « trans » aussi bien en tant que préfixe et en tant que verbe a été utilisé comme un raccourci théorique hors des binarités fixes de l’humain. L’argument de Schuller est que la plasticité était en fait au cœur même des sciences raciales, de la biologie, et de l’hérédité. La capacité à être affecté-e, à changer et s’adapter et à se fondre dans son environnement, était en fait perçue comme un marqueur de « civilisation ». De ce point de vue, transer (c.à.d. le franchissement de frontière) perd sa pertinence pour les politiques radicales.

ALC : Comme je l’ai dit, je ne supporte pas transer. Verber ne fait pas une théorie. Mais si nous devions nous y accrocher, transer devrait être une méthodologie qui partirait de la prémisse que le genre de tout un chacun-e est un désastre politique et refuser de le réparer. Je m’inspire ici du récent essai de Marissa Brostoff (2017) sur Caitlyn Jenner dans differences – aisément l’un des meilleurs articles de recherche en études trans que j’aie lu depuis longtemps, voire que j’aie jamais lu. La thèse est en gros que Jenner est engagée à son insu dans une performance camp dont l’objet est les politiques queers elles-mêmes : tout comme la drag queen révélait en son temps les fragiles conventions du genre pour Butler, de même Caitlyn Jenner, avec sa tentative timide et le cul entre deux chaises de « trans-activisme » dans sa série de télé-réalité à la vie éphémère I Am Cait, révèle désormais les fragiles conventions du politique en tant que tel. C’est un très bel essai et un argument avisé. Je veux plus de travaux comme celui-là, des travaux qui refusent à la fois les pompes de l’anti-normativité et les circonstances du post-humain en faveur de quelque chose de plus lent, de plus petit, de mieux accordé aux manières dont la vie ordinaire échoue à se mesurer aux analyses politiques que nous lui jetons au visage.
Évidemment, au bout d’un moment, cette façon de penser vous fait sortir de l’académie pour de bon. (C’est une consommation qui se doit d’être pieusement désirée.) Nous avons plaisanté, en préparant ce dialogue, que si nous voulions réellement mettre un terme aux politesses dans le champ, nous mettrions à la poubelle le sujet que nous avions choisi et parlerions simplement de nos vies en tant que transsexuel-les, comme on le ferait à table ou par texto. Bien sûr, nous ne pouvons pas faire ça, pas seulement par respect pour la bienséance universitaire, mais parce que les pages du TSQ prendraient feu plutôt que de laisser les lecteurices lire quelque chose de véridique sur ce que ça fait vraiment d’être trans.
J’exagère. À peine.

Andrea Long Chu et Emmett Harsin Drager.
Paru dans le Transgender Studies Quarterly, en février 2019.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sasha Candé.
Relu par Emma B.


Emmett Harsin Drager est Assistant Professor dans le département d’études sur les femmes et le genre de l’université du Missouri. Ael est titulaire d’un doctorat en American Studies and Ethnicity de l’université de Californie du Sud pour sa thèse To Be Seen : Transsexuals and the Gender Clinics [Être vu-e : Les transsexuel-les et les cliniques du genre], qui s’intéresse à l’évolution des thérapies trans aux États-Unis au XXe siècle.

Andrea Long Chu est une écrivaine, essayiste et chercheuse qui vit à Brooklyn. Elle a reçu le prix Pulitzer de la critique en 2023 pour ses articles dans le New York Magazine. Son premier livre, Females [Femelles, trad. Clément Braun-Villeneuve, Premier degré, 2021], a été finaliste du Lambda Literary Award in Transgender Nonfiction. Ses textes sont apparus dans n+1, The New York Times, The New Yorker, Artforum, Bookforum, Boston Review, Chronicle of Higher Education, 4Columns et Jewish Currents. Elle est titulaire d’un master en littérature comparée de l’Université de New York, et a publié des articles dans differences, le Journal of Speculative Philosophy, Women & Performance, et le Transgender Studies Quarterly.


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[1Quand je parle des études trans je fais référence aux théories médicales, culturelles, esthétiques et politiques qui ont vu le jour depuis la création de transsexuel-le et transgenre en tant que catégories identitaires au milieu du XXe siècle. Si The Transgender Studies Reader (Stryker et Whittle 2006) et The Transgender Studies Reader 2 (Stryker et Aizura 2013) doivent servir d’exemple de la manière dont les études trans sont constituées et comprises, alors on peut observer qu’une proportion importante des textes « canoniques » du champ sont le fait de chercheureuses non-trans. On y trouve des sexologues et des cliniciens comme Harold Garfinkel, Magnus Hirschfeld et Harry Benjamin ; des théoricien-nes féministes comme Janice Raymond, Donna Haraway et Judith Butler ; et des chercheureuses queer comme Gayle Salamon, Heather Love et Marcia Ochoa. Comme le dit Andrea dans ce dialogue, les études trans sont pleines de « chercheureuses en études queers particulièrement sensibles aux phénomènes de mode ». Je vous mets au défi de me donner une liste de tous-tes les chercheureuses trans titulaires qui vous viennent à l’esprit – ne vous inquiétez pas, ça ne prendra pas longtemps, en particulier si vous faites une liste des chercheureuses trans racisé-es (Je sais cela parce que C.Riley Snorton m’a un jour proposé ce challenge et je ne pense pas que j’ai dépassé le nombre de quatre). Toutefois, je devrais également mentionner le fait que je suis membre d’un groupe Facebook de plus de 500 chercheureuses s’identifiant comme trans travaillant actuellement sur leur doctorat aux quatre coins du globe. C’est peut-être de là que vient une partie de mon optimisme pour le futur des études trans.

[2J’ai écrit cela quelques semaines seulement avant que le papier de Jessie Singal (2018) sur les enfants trans ne paraisse dans The Atlantic. Dans cet article Singal fait certaines des interventions dont je prétendais qu’elles étaient impossibles à faire. Quoique que je pense que cet article est pour l’essentiel un gros tas d’ordures, certaines des questions qu’il soulève à propos des enfants trans sont importantes. Je pense qu’il faut que nous soyons critiques à propos de qui soigne les enfants trans, de l’accompagnement clinique et des options qu’aels offrent, et du rôle que les parents (cis) jouent dans tout ce processus. Quoi qu’il en soit, à l’instant même ou le papier de Singal est sorti, on l’a rapidement mis de côté, la cissitude de Singal fournissant une échappatoire facile. Plutôt que de s’affronter à quoi que ce soit qui est dit dans l’article nous avons pu aisément le dénoncer comme transphobe et continuer notre chemin. Circulez il n’y a rien à voir !

[3Je pense que l’un des exemples les plus évidents de la manière dont ces binarités ont été récupérées peut se trouver dans In a Queer Time and Place de Jack Halberstam (2005 : 53) : « La production de catégories est également différente selon les espaces : les catégories produites par les expert-es (« l’homosexuel-le », « l’inverti-e », « lae transsexuel-le ») sont en fin de compte bien moins intéressantes ou utiles que les sexualités vernaculaires ou les catégories produites et entretenues à l’intérieur des sous-cultures sexuelles ». Il semblerait qu’au cœur du travail d’ Halberstam il y ait l’intention d’étendre le genre au-delà de quelque mode de pensée binaire que ce soit en mettant en avant les identités qui élargissent le genre ; malheureusement, cela se fait toujours aux frais de lae transsexuel-le médicalisé-e.

[4Pour être équitable, Butler est bien conscient-e dans Trouble dans le genre que « les normes de genre … sont impossibles à incarner ». Cette impossibilité est, en fait, la force motrice de la performativité du genre en tant que « répétition d’actes stylisée » ([1991] 1999 : 179). Pourtant son postulat implicite qui traverse tout Trouble dans le genre et qui traversera plus tard Ces corps qui comptent, c’est que les approximations de la norme peuvent être divisées entre celles qui reconsolident la norme et celles qui la déplacent et la resignifient. Ce qui n’est jamais expliqué de manière adéquate c’est comment ces deux catégories doivent être distinguées. Le critère pour les distinguer ne peut pas être, après tout, que le premier ensemble est normatif tandis que le second ne l’est pas ; au contraire, si les normes sont impossibles à incarner, alors les deux ensembles sont non-normatifs.

[5Dans Getting Medieval de Carolyn Dinshaw (1991 : 1), celle-ci propose le concept d’un « élan historique queer, un élan qui vise à établir des connexions à travers le temps entre d’un côté, des textes, des vies et d’autres phénomènes culturels laissé-es à l’écart des catégories sexuelles à l’époque, et de l’autre celleux laissé-es à l’écart des catégories sexuelles actuelles ». Nayan Shah (1998) écrit également à propos de ce désir de faire l’expérience de l’affirmation et de la validation confronté-e à l’aliénation à travers l’histoire, en particulier dans un genre d’investigation qui a également ses racines dans la race, l’ethnicité, et le nationalisme/la diaspora.

[6Les mêmes questions peuvent être posées à propos des détransitionneureuses dont parle Singal, que nous sommes prompt-es à écarter parce qu’aels ne conviennent pas aux narratifs de transité que nous voulons raconter.

[7Dans mon propre projet j’explore cette question de l’effacement historique, en particulier en ce qui concerne les fichiers restreints d’accès ou supprimés des patient-es transsexuel-les des cliniques de genre. Je suis la voie ouverte par des chercheureuses tel-les que Anjali Arondekar (2009) et Abram Lewis (2014), qui suggèrent que cette notion de lacune et d’effacement, en ce qui concerne les archives du genre et de la sexualité, produit une méthodologie du recouvrement, au nom de laquelle nous sommes toujours à la recherche de ce qui est manquant dans l’espoir de l’amener dans la lumière. On peut comparer çà à « l’épistémologie du placard » d’Eve Sedgwick (1990), un mode de pensée qui entretient une binarité de caché contre révélé. Cette binarité nous empêche d’avoir une lecture plus complexe des archives.

[8Peut-être que tout cela aurait pu être évité si nous avions simplement écouté nos historien-nes queer :

« Mais on n’aurait tort d’assumer, je pense, que les docteur-es ont créé et défini les identités d’ « inverti-e » et d’homosexuel-le » au tournant du siècle, que les gens ont intériorisé sans recul critique les nouveaux modèles médicaux, ou même que l’homosexualité a émergé comme une catégorie pleinement définie dans le discours médical lui-même dans les années 1870. De telles assomptions attribuent un pouvoir démesuré à l’idéologie en tant que force sociale autonome ; elles simplifient à l’extrême la dialectique complexe entre conditions sociales, idéologie et conscience qui a produit les identités gays, et elles nient les preuves des sous-cultures et des identités préexistantes contenues dans la littérature même. » (Chauncey 1982-83 : 115)

Transidentité