Nous connaissons peu de choses de cette revue trotskiste « Études en rouge » d’où est extrait le texte du GLH Bordeaux qui va suivre. Paru en 1975 ou 1976, nous en connaissons toutefois l’imprimeur, Rotographie, c’est-à-dire l’imprimerie de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Le Groupe de Libération Homosexuel de Bordeaux y développe une analyse de l’assujettissement du désir aux forces capitalistes et dénonce une société binaire, sexiste et inégalitaire. Démystifier la différence comme condition de libération des corps et des plaisirs.
Les Groupes de Libération Homosexuels se constituent en 1975 en pleine décennie « rouge » et dans le sillage du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire. Mais à la différence de celui-ci, les différents groupes qui se forment un peu partout en France se structurent et organisent un militantisme articulant reconnaissance et défense de l’homosexualité.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire l’excellent travail de l’historien pédé Mathias Quéré Qui sème le vent récolte la tapette – Une histoire des groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979 paru aux éditions Tahin Party en 2018. Mathias Quéré a également contribué à la dernière revue de TROU NOIR Enjeux historiques et conflits mémoriels des sexualités dissidentes.
Enfin, nous mettons à votre disposition deux liens liés aux archives du GLH Bordeaux :
Tracts, affiches et flyers : http://www.aquitainegay.com/Archives_GLH-Bordeaux.html
Bref historique du groupe : http://www.aquitainegay.com/GLH-Bordeaux.html
Négation de la sexualité des jeunes
Les cadres étroits de notre vie sexuelle, dont les règles et les interdits varient toujours d’une époque à l’autre, visent toujours à la même fin : capitaliser les corps et les exploiter.
La morale bourgeoise nie la sexualité des jeunes sous couvert de leur « protection ». Elle veut protéger le Capital, ces futures forces productrices de tout investissement, de toute dépense inutile.
Il est beaucoup plus intéressant de créer un état de frustration. La misère sexuelle existante inhibe l’enfant puis l’adulte de toute activité créatrice.
Le travail aliéné devient la seule issue, seul lieu de l’individu névrotisé par les structures sociales, et l’éducation pourra canaliser ses énergies. Une société qui exploite l’homme a, par définition, besoin d’un ordre sexuel rigoureux, sans lequel aucun détournement, aucune captation, aucun esclavage, aucun (illisible) décisif et durable ne seraient possibles.
Une économie capitaliste a besoin de bras et non d’individus imaginatifs et tournés vers la jouissance. Le plaisir est alors suspect. On notera par exemple que la répression de la masturbation va en s’accentuant à partir du XVIIe, l’état de frustration et de misère sexuelle transforme la révolte en angoisse. La seule sécurisation possible de l’individu est de prendre la place préparée pour lui, place au travail et place dans la famille. Il reproduira les rôles sociaux et les rôles sexuels masculins et féminins.
Les parents prennent en charge l’apprentissage de la morale bourgeoise et de l’idéologie dominante au service de l’économie. Les enfants des travailleurs apprennent dans la famille la soumission à l’autorité, et sens du devoir et de la morale, sous des formes qui n’ont rien à voir avec les intérêts propres à leur classe.
Cet apprentissage consiste à intérioriser des normes qui n’ont rien à voir avec ses propres besoins, c’est le même qui fera nier à l’adolescent sa propre sexualité immédiate et se faire l’agent de la répression de ses propres désirs. C’est aussi cette intégration de l’idéologie bourgeoise qui maintient la classe ouvrière dans le même moralisme que la bourgeoisie en matière de sexualité.
Le mécanisme qui permet de transmettre sans trop de heurts l’ensemble des valeurs bourgeoise, de les intérioriser profondément, puis de les transmettre de générations en générations, repose essentiellement sur la répression sexuelle.
C’est en leur interdisant le plaisir immédiat, en les culpabilisant de leurs désirs, que l’on rend les jeunes craintifs, timides et soumis, c’est en agitant la carotte du bonheur pour plus tard (vie en couple hétéro si possible = bonheur sexuel) qu’on fait passer cette amère pilule !...
Les rôles sexuels
La répression sexuelle ne s’exerce pas de la même façon sur les filles que sur les garçons. Les premières sont amenées à oublier toute dimension sexuelle pour se préparer au destin d’épouse fidèle et de vertueuse mère de famille. Les seconds sont élevés à voir dans le sexe le signe de leur pouvoir à condition qu’ils acceptent de ne pas s’en servir n’importe comment, n’importe quand et n’importe où !...
Ces rôles signifient des contraintes de résignation sociale de répression sexuelle, que les individus subliment en compensant dans des modèles ou mythes (le grand amour pour les femmes, le pouvoir pour les hommes). Ces modèles compensateurs permettent de faire supporter aux hommes au bas de l’échelle sociale, leur dépendance, leur exploitation, leurs médiocres conditions de vie, en flattant leur « nature masculine », leur orgueil de mâle, en les persuadant, en les assurant qu’ils sont bien des séducteurs et des chefs.
« Freud a tout dit, mais tout recouvert ». Ce fonctionnement où la femme est définie par rapport à l’homme, correspond à des siècles de patriarcat, à une société où la domination de l’homme sur la femme est le relais de l’exploitation sociale où les rôles sexuels et les comportements sociaux s’organisent dans une même perspective de maitrise des individus et de réduction de leur sexualité. Il n’y a pas de remise en cause possible des schémas de complémentarité des sexes, de la phallocratie dans les rôles sociaux, sans analyse de leur utilisation sociale.
Homosexualité et répression
Quand les psychiatres bourgeois reconnaissent les pulsions homosexuelles au même titre que les pulsions hétérosexuelles (Freud, Trois Essais), une des taches implicites est de ne pas rater le sexe opposé.
« La psychanalyse considère qu’un choix d’objet indépendamment de son sexe, comme on le trouve dans l’enfance, est la base originelle à partir de laquelle le type normal comme le type inverti se développent par une restriction de l’un ou de l’autre côté. Ainsi au sein de la psychanalyse, l’intérêt exclusif de l’homme pour la femme est un problème nécessitant une élucidation et non une évidence basée sur une attraction essentiellement chimique » (Freud, Notes de 1915).
Reconnaissant donc dans l’homosexualité une composante de la sexualité, il conviendrait plutôt d’analyser le pourquoi social de sa « restriction ». Mais Freud constatant que malgré l’absence de « culture homosexuelle », de modèle et de référence pour l’enfant, l’homosexualité se développe quand même, il s’efforce seulement d’analyser la « déviance ».
Déviance par rapport à quoi ? Par rapport à une réduction, une canalisation de la sexualité dans son but (procréation), dans son objet (sexe opposé). Il s’agit là de la « socialisation » de la sexualité au travers du stades (oral, anal, œdipien) de latence génitale. Une « socialisation » est forcément dépendante de son but et ses stades dans la société bourgeoise sont autant de réductions opérées par les institutions (famille, école, Église) qui modèlent l’individu.
Et Freud reconnait la perversion comme le « positif » de l’expression de la libido au même titre que la sexualité « normale », tandis qu’il voit le négatif dans la névrose. Mais il ne remet pas en cause les structures névrotisantes de la société capitaliste. Il en reste à l’analyse du malaise individuel et propose la troisième voie : l’intégration par la sublimation.
Quand la morale sexuelle bourgeoise reconnait les relations homosexuelles comme pratique courante de l’adolescence… Encyclopédie Hachette de la vie sexuelle : « Aussi il est souvent commode de se lier d’amitié avec un camarade du même sexe. Cette phase est normale et même souhaitable, mais ce n’est qu’une phase de transition »… « Une expérience ne compromet pas l’avenir »… « Il convient de dépasser cette phase en se mêlant à l’autre sexe »… « Quant à ceux qui sont restés homosexuels, ils n’ont pas trouvés chez leurs parents des modèles auxquels s’identifier. Le garçon n’a pas appris à se conduire comme un homme, la fille n’a pas appris à se conduire comme une femme, on accède d’autant mieux au bonheur sexuel qu’on se conduit selon son sexe ».
Un peu plus loin, le manuel de l’éducation sexuelle (celle qui sera enseignée dans les écoles) met les jeunes en garde contre les camarades ou les inconnus dont il faudra se « protéger » en n’hésitant pas à faire appel à la police.
Ce discours est un discours de paranoïa homosexuelle. Qu’est-ce qui déclenche cette peur de l’homosexualité sinon l’appréhension que cette composante de la sexualité est présente partout dans les structures sociales, susceptible de ressurgir à tout moment, bien que présente à l’état refoulé, sublimé.
Il n’y a jamais de discours neutre sur l’homosexualité, mais des réactions émotives passant souvent par la paranoïa des plus ségrégationnistes menacés dans leurs défenses.
L’homosexualité masculine est présente de façon latente partout, au bar du coin, au lieu de travail et dans toutes les institutions où son refoulement va de pair avec la normalisation phallocratique et la misogynie ; elle est présente aussi dans les appareils d’État (armée, police) où son refoulement, sa sublimation, sont utilisés à travers la hiérarchie militaire et dans la construction de la norme de virilité.
La répression de l’homosexualité rend possible son utilisation dans des structures fascisantes.
Par contre, l’homosexualité vécue dans une pratique quotidienne, est violemment réprimée parce qu’elle vient remettre en cause les rôles sexuels et les rôles sociaux qu’ils sous-tendent. « Que le pénis, même le pénis devienne simple moyen de plaisir, et entre hommes, et le phallus y perd son pouvoir » (Luce Irigaray). Que deux femmes fassent l’amour ensemble et le phallus y perd encore plus son pouvoir.
Affirmée comme composante de la sexualité, l’homosexualité est affirmation du droit au plaisir, et au plaisir gratuit, en dehors des structures de reproduction, à la libre disposition de notre corps. Mais alors, elle n’est plus une « différence », les différences sont démystifiées. Il n’y a pas plus d’homosexualité que d’hétérosexualité, mais une sexualité dont l’exclusivité d’une partie est la négation de l’autre.
GLH - Bordeaux
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