Pinko est un collectif anglo-saxon qui défend et expérimente l’idée d’un communisme gay. Le site internet de Pinko est une caisse de résonance permettant de mettre en valeur des numéros imprimés, des livres, des zines, des essais, des traductions et des archives.
Nous vous proposons une traduction sommaire du manifeste de PINKO
( lire la version originale ICI )
1.
Alors que le projet apocalyptique d’accumulation capitaliste se poursuit, les quarante dernières années de crise ont entrainé l’effondrement du vieux mouvement ouvrier, la disparition de la solidarité internationale et des guerres pour la liberté contre l’empire, la victoire du libéralisme gay à la Pyrrhus, et la poursuite d’une paupérisation et d’une aliénation agissant de concert. Nous voyons cette crise se poursuivre dans la menace écologique mondiale, la résurgence du fascisme et la réaction violente et désespérée face à la décomposition de la famille et de l’ordre social.
Comme le monde qu’elle a contribué à bâtir, l’hétérosexualité est en crise. Ce n’est pas la première fois, mais c’est peut-être la dernière. Cette crise n’est pas une "panique sexuelle" passagère, mais représente une rupture plus fondamentale. Il ne peut plus y avoir raisonnablement de sens sur les raisons d’être au monde. Tout le monde le sent. Les plaisirs sont désormais inquiets, les haines peu sûres d’elles-mêmes. Dans l’ombre sinistre de l’effondrement de la biosphère et du fascisme climatique, qui pourrait croire aux promesses d’éternité de l’hétérosexualité ? Tout le monde voit venir la tempête ; certains ont déjà été contraints de construire des digues.
La scène politique américaine est un moment d’aggravation de la crise : l’actualité n’est plus qu’un interminable snuff movie sur la mort de l’hétérosexualité. Le président, un capitaliste patriarcal au sens propre, ne peut cacher son dégoût pour toute l’idée venant d’une femme. Sa seule réussite en matière de gouvernance, la mise en place de sa majorité à la Cour Suprême, prête à abroger le droit des femmes à disposer d’elle-même, a provoqué une grève du sexe massive et informelle. De l’avis général, les audiences télévisées de Kavanaugh ont amené plus d’hommes à remettre en question leur innocence que n’importe quel autre épisode #metoo. Pour la première fois, l’hétérosexualité semble être vécue comme une crise personnelle collective.
Dans un certain sens, c’est un indice de l’échec du mouvement de libération sexuelle. L’hétérosexualité n’est pas un problème personnel, bien sûr, mais une institution politique. Les homosexuels ont tous dû passer par le creuset de ce problème dans leur vie privée et le résoudre en se réconciliant avec une identité politique collective. Inexcusablement peut-être, nous avons laissé intacte l’institution incriminée.
2.
Pourtant, de nouveaux désirs, de nouveaux genres et de nouvelles luttes se font jour. En tant que partisans de la liberté queer, nous voyons dans les contours de la rébellion un lien entre la liberté sexuelle et le potentiel queer avec le mouvement réel d’abolition de l’ordre des choses. Le langage hérité du mouvement de libération sexuelle qui cherchait à se libérer d’un régime productif ne nous aide pas ici. Nous avons besoin de nouveaux mots pour parler des limites et du potentiel de notre époque. Dans les luttes autour des conditions de genre et des conditions de travail, nous voyons les signes d’un nouvel horizon communiste queer.
L’autodétermination collective du genre sera une réalisation révolutionnaire de premier ordre. Le genre est actuellement l’endroit où le travail de reproduction de la classe s’est naturalisé. Bien qu’il soit vécu comme profondément personnel - comme l’essence même de la personne - il constitue l’une des plus importantes expériences politiques de masse de la société capitaliste. Le genre est imposé, stabilisé et reproduit par le biais d’une infrastructure matérielle distribuée à travers le social, dans des lieux privés comme la famille ou l’intimité sexuelle et des lieux publics comme la rue, et dans des moments comme l’accès au marché du travail ou dans la violence sexuelle. Être libre de vivre son genre comme on l’entend signifie être libéré de la peur de la violence qui protège ces lieux et ces moments, être libéré de la nécessité de travailler pour quelqu’un d’autre - être libéré de la société de classes.
Nous estimons qu’aux luttes populaires pour l’égalité des sexes manque une perspective communiste. Les relations de genre ne sont pas naturelles, mais historiques - liées aux cycles d’accumulations et de crises et aux luttes politiques contre celles-ci. Le régime de genre actuel est l’indice d’une configuration particulière du pouvoir de classe. Nous pouvons le décrire comme partiellement libéré, c’est-à-dire caractérisé par une liberté formelle ou nominale de se rapporter à la reproduction de la société de classe de manière volontaire, tout en conservant l’ensemble de l’infrastructure sociale coercitive nécessaire pour garantir qu’elle ait lieu quoi qu’il arrive. La liberté sexuelle ou de genre que nous possédons n’est rien d’autre que la liberté de reproduire l’ordre social actuel.
Nous pensons que les luttes contre l’ordre social sont en même temps des luttes contre la binarité de genre. De même, les luttes contre la binarité de genre, à leur limite, sont des luttes pour renverser la société existante. Nous prenons comme point de départ la nature révolutionnaire des mouvements passés de libération sexuelle et de genre, mais nous ne les abordons pas sans esprit critique. Les mouvements qui sont notre héritage étaient des luttes contre une configuration particulière du pouvoir de classe qui n’existe plus. La famille et le lieu de travail ont subi de profondes transformations au cours des 50 dernières années. Les horizons que poursuivaient les partisans de la libération sexuelle sont aujourd’hui, d’une certaine manière, les nôtres. Si nombre de batailles que nous menons aujourd’hui ont des similitudes avec celles du passé, ce dont nous avons le plus besoin, sans oublier de défendre les anciens horizons de la liberté de genre, c’est d’avoir le courage d’en imaginer de nouveaux.
3.
Ces libertés seront découvertes au cours de la lutte. Nous n’avons pas la prétention de les dicter à l’avance. Mais une partie du travail de cette lutte consistera à créer un nouveau langage et de nouveaux concepts permettant d’appréhender les relations sexuelles et de genre capitaliste. Une revue est un outil crucial à cet égard.
En fournissant une plate-forme publique pour un engagement théorique sur les problèmes posés par les luttes de genre contre le capitalisme, nous pouvons rassembler un public et lui fournir des ressources pour ces luttes. Nous pouvons soumettre ces luttes à une critique constructive, mener des enquêtes sur les travailleurs et enrichir la connaissance communautaire de nos situations matérielles dans la société capitaliste. Nous pouvons également ressusciter des textes issus d’anciennes traditions politiques qui, selon nous, peuvent aider à nous libérer aujourd’hui.
Nous n’entreprenons pas ce projet par souci de représentation, ou pour affirmer l’essence radicale des formes politiques queer. En fait, c’est exactement le contraire : nous pensons que les éléments les plus égoïstes du désir queer partagent avec les fascistes l’idée que le queer est une sorte de perturbateur de la loi naturelle. Ce n’est pas notre analyse. Le pouvoir que nous exerçons découle de notre capacité à organiser l’expérience collective. Et c’est en cette capacité que nous avons foi, pas en notre chance d’avoir trouvé une façon particulière de nous relier au plaisir.
Puisque toute lutte contre le capital doit prendre une forme particulière, nous ne découvrirons cette forme qu’en poussant la lutte à sa limite. Pour l’instant, il existe une richesse de pensée, d’organisation, de survie et de vie qui tend vers la liberté de genre - c’est-à-dire la société sans classe - dispersée dans le champ social. Nous proposons humblement une publication dans le but de la rassembler et d’en faire un instrument de combat.