Le 20 février 2020 est bien discrètement entré en application un décret, adopté par le Premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, qui a tout pour susciter de grandes interrogations.
En effet, celui-ci annonce la création d’une « application mobile de prises de notes » pour les gendarmes et les militaires appelée GendNotes. Celle-ci, toujours selon le décret, vise à dématérialiser les notes prises auparavant sur papier, « collectées par les militaires de la gendarmerie nationale à l’occasion d’actions de prévention, d’investigations ou d’interventions nécessaires à l’exercice des missions de polices judiciaires ou administratives ». À moins de ne simplement pas aimer la Gendarmerie, il n’y a jusqu’ici rien de particulièrement nouveau.
Cependant lorsque nous arrivons sur son article 2, une certaine frayeur nous envahit. En effet, nous pouvons y lire la mention de l’existence d’une « zone de commentaire libre » où pourront être enregistrées des « données à caractère personnel ». Et quelles sont-elles ? Ce sont celles « relatives à la prétendue origine raciale ou ethnique, aux opinions politiques, philosophiques ou religieuses, à l’appartenance syndicale, à la santé ou à la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle ». Bien. Mais le décret de préciser : « Ne peuvent être enregistrées dans les zones de commentaires libres que les données et informations strictement nécessaires, adéquates et non excessives au regard des finalités poursuivies ». Ainsi, les données ne peuvent « faire l’objet d’un pré-renseignement », c’est-à-dire qu’elles ne pourront être collectées, selon le décret, que si elles sont nécessaires pour l’affaire en cours, et non préventivement. Sans préciser plus sur la nature de cette nécessité, et donc laissé à la libre appréciation du gendarme.
Nous sommes bien là face à un nouveau dispositif de fichage. Nous serions presque blasés par cette nouvelle étape dans la mise en fichier de la population qui s’est considérablement accélérée ces dernières années en France. En effet, comment ne pas penser, pour prendre un des exemples les plus frappants, au kafkaïen fichage S (S comme « sûreté d’État »), alimenté entre autres par la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) et qui sans contrôle (car elles ne sont même pas vraiment accessibles dans leur totalité), et simplement sur la base d’une suspicion, et donc sans aucun lien avec une quelconque décision de justice, fiche de nombreux militants politiques de gauche, et cela en affectant profondément leur vie (difficultés à voyager à l’étranger, licenciement de l’éducation nationale, etc.).
Certes, le décret précise le caractère strictement nécessaire de cette récolte de données. Mais comment faire confiance à un gendarme, seul amené à décider de ce qu’il pourra écrire et accoler au nom d’une personne, alors que nous savons bien que la pratique policière n’est jamais vraiment en accord avec la légalité, mais bien plutôt que la loi cherche en permanence à s’adapter aux pratiques. Aussi derrière la prétendue objectivité des mots comme « appartenance syndicale », « opinions religieuses » ou « à la prétendue origine raciale ou ethnique », comment ne pas entendre ce qui sera réellement noté ? En effet à quel moment s’agira-t-il pour un gendarme de noter membre d’Alliance (syndicat policier), blanc, hétérosexuel, mais non plutôt CGT, musulman et arabe ?
Il n’y a donc là a priori rien de bien nouveau, dans la récente escalade du fichage en France, à part peut-être ce détail qui n’en est pas vraiment un. En effet, dans le décret est fait mention de l’orientation sexuelle, comme donnée susceptible d’être récoltée. On pensait cela définitivement terminé en France, mais GendNotes réintroduit d’une manière discrète l’homosexualité comme élément de fichage (car je peux vous assurer que personne ne sera fiché en tant qu’hétérosexuel). Il est aussi fait mention de la « vie sexuelle », mention floue en tout point. S’agira-t-il de préciser que le ou la fichée aime se faire pincer les tétons, ou prend du plaisir dans la pratique de la fessée ?
Le décret précise que ces données seront parfaitement consultables par le maire de la ville, le préfet, ou même les autorités judiciaires (toujours si cela est strictement nécessaire, mais sans jamais préciser en quoi consiste cette nécessité). Le maire d’une ville pourra s’enquérir de la sexualité de ses habitants, les autorités judiciaires, idem. Comment ne pas voir l’implication que cela pourra avoir par exemple dans la chasse contre la sexualité en plein air, ou cruising, majoritairement pratiquée par des homosexuels, assumés ou non, et que maires, préfets et policiers aimeraient tant voir disparaître ?
Le fichage des homosexuels est une vraie tradition française. Contrairement à la plupart des législations occidentales, la France n’a plus fait mention du crime de sodomie dans le Code pénal depuis la Révolution française. Ainsi deux homosexuels adultes et consentants ne peuvent être inculpés pour ce motif. En revanche, et cela et moins connu, l’État va ficher systématiquement les homosexuels au moins depuis la Monarchie de juillet au milieu du XIXe siècle. On sait que cela a pu être utilisé comme outil de chantage. Les homosexuels étaient harcelés sous d’autres motifs, comme l’outrage aux mœurs. Quand Mitterrand arrive au pouvoir en 1981, la grande histoire des progrès pour les droits LGBT retient l’abaissement de l’âge de maturité sexuelle des homosexuels au même niveau que celui des hétérosexuels, enlevant toute discrimination légale selon l’orientation sexuelle. Mais une autre de ses décisions, beaucoup moins connue, sera d’arrêter pour de bon le fichage systématique des homosexuels, rompant de ce fait avec cette tradition française.
Ainsi voici une nouvelle frasque assez inquiétante et inattendue de l’actuelle dérive policière de l’État français, et qui renoue avec le fichage de tous les « déviants » sexuels, ce qui n’avait plus lieu d’être depuis 1981.
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