Partant du constat de la montée de la transphobie et de l’handiphobie au sein des universités nord-américaines sous l’administration Trump, des militant·es et universitaires queer, trans et crip [1], proposent un manifeste écrit à huit mains. Un « multifeste [2] » qui relie les vécus des minorités queer, handies, racisées, trans*, les politiques d’intégration et d’accessibilité, et s’efforce de penser les récurrences géométriques qui segmentent les discours et les espaces en frontières et en marges.
Légende de l’image en frontispice : Carte isochrone montrant le temps nécessaire pour atteindre différents endroits de Paris à partir d’un lieu situé dans le XIème arrondissement, avec quelques contraintes : temps maximal d’utilisation de la chaise de 30 minutes en fauteuil, avec possible utilisation des réseaux ferrés accessibles. Nous pouvons voir que la personne roulante ne peut circuler qu’à l’intérieur de zones précises, déterminées par de rares stations de métros accessibles, constituées en archipels discontinues créant des trous, et correspondant à moins de 17% de l’aire urbaine fréquentable par les marchants. Source : Enka Blanchard, « Spatialités et temporalités du handicap I : des corps discrets dans un monde discret », EspacesTemps.net, mars 2020.
Prologue
Tu sais déjà ce dont nous allons parler. Nous allons parler de ce qui arrive quand tu échoues à te conformer, à trouver ta place. Qu’importe les formes que tu te donnes, tu sais qu’il y a des frontières qui, infiniment, régressent et te confinent toujours davantage. Ces scripts coloniaux, qui décident des manières dont nous nous rencontrons, de qui nous rencontrons, dessinent des horizons toujours plus inatteignables. Ils t’en demandent toujours plus. Chaque affirmation de ton identité – ordinaire ou extra ordinaire – devient un champ de bataille.
Ce manifeste est une invitation à Faire Entrer Les Fractales (EPLF). Cela t’épuise de te fondre dans le moule des autres, d’essayer d’en épouser la forme. Nous en savons quelque chose. Cela t’épuise d’assister à la séquestration de tes ami·es, à leur emprisonnement, leur éviction, leur institutionnalisation, leur déportation. Ça, nous le savons aussi. Et tu es épuisé·e d’essayer d’écrire/enseigner/apprendre dans un endroit pour lequel tu n’es pas fait·e. Nous en avons particulièrement conscience. Et c’est pourquoi ce manifeste est fait pour toi. Ce manifeste t’est dédié, ainsi que l’espace qui s’y invente, un espace encore imaginaire peut-être, mais dans lequel tu peux entrer, te complexifier, te transformer, t’étendre et t’épanouir.
Introduction
Les personnes trans et les personnes handicapées ont le droit de vivre et de s’épanouir. Dans un monde conçu pour engendrer la mort des personnes trans et handicapées, il n’y a pas de position neutre. Lorsque, aux États-Unis, 77 % des enfants trans ont fait l’objet de harcèlements avant leur entrée au lycée, lorsque 24 % des enfants trans ont été physiquement harcelé·es à l’école, lorsque, dès leur entrée dans l’âge adulte, la précarité, les difficultés d’accès à l’emploi ainsi qu’au logement, accompagnent les violences qu’iels subissent, nous pouvons affirmer que l’inaction politique participe à la marginalisation et à la mise en danger des personnes trans. De la même façon, les personnes handicapées sont obligées de traverser des architectures physiques et sociales conçues pour leur exclusion – pour limiter leur accès au logement autonome, à l’emploi et au soin. Ce n’est pas un hasard si 39 % des personnes trans s’identifient comme handicapées, contre 15 % pour la population générale (Grant & al. ; Puar). Les expériences vécues des personnes trans et handicapées sont profondément liées, et l’émancipation de ces deux populations repose sur une articulation claire et mutuelle de leurs oppressions conjointes. Pour ce faire, nous appelons à une co-conspiration trans et handie, une mobilisation massive pour mettre fin au capacitisme et au cis-sexisme.
Notre collaboration s’est cristallisée en réaction à la naissance de projets de recherches dans le champ des études sur le handicap, projets ouvertement transphobes [3], et qui sont les reflets des tendances discursives générales des universités, à l’échelle nationale comme internationale. De récentes tentatives pour l’inclusion des personnes trans dans les études rhétoriques (notre champ disciplinaire) ont bien été tentées, mais elles n’ont pas réussi à embrasser le caractère multi-dimensionnel de l’expérience trans. Elles n’ont pas non plus réussi, comme ont pu le faire les personnes trans racisées, les queer racisé·es et le féminisme et l’activisme des femmes racisées, à créer un lieu d’expression pour la diversité de genre (Pritchard). Par leur caractère restrictif et autoritaire, ces tentatives non seulement empêchent une lecture intersectionnelle de l’expérience trans (c’est-à-dire le fait que beaucoup de personnes trans sont aussi handicapées et s’identifient à des minorités sexuelles, religieuses et/ou racisées), mais elles interdisent aussi a priori la formation d’alliances puissantes entre communautés de personnes handicapées et d’autres communautés, permettant d’œuvrer pour des mondes plus inclusifs et accessibles.
Nous offrons cette (Trans)(Crip)tion pour transcrire les imbrications des vies trans et des vies handies, toutes deux inévitablement intriquées dans des mondes sociaux qui sont aussi transformés par celles et ceux qui ne sont ni trans ni handi*es. Cette TransCription propose des scripts alternatifs pour l’identité et l’appartenance qui bravent les assimilations et le contrôle aux frontières. Elle souligne les paradoxes de l’assignation de genre – l’horizon éternellement régénéré de la féminité et de la masculinité racialisées dont nous ne sommes que de piètres approximations. Comme texte, cette TransCription est une invitation – une tentative de découpage de l’espace discursif par laquelle nous pouvons contester, tordre, déjouer et rejeter les structures de la race, du genre et des normes corporelles qui leur sont associées, et enfin, les rejeter.
Dans ce manifeste, nous nous proposons une pensée-en-mouvement avec les fractales, une tentative de penser de concert les différences et les interconnexions des expériences trans, handicapées et LGBQ, ainsi que les régimes discursifs qui structurent le racisme, la misogynie et le colonialisme. Les fractales donnent formes aux structures littéraires et au développement des genres littéraires (Dimock ; Finan). Et si les fractales structuraient aussi les mondes sociaux, historiques, les forces rhétoriques et les luttes de pouvoir ? Et si les fractales structuraient la chorégraphie des têtes qui tournent et nous regardent fixement lorsque nous entrons dans une épicerie (Garland-Thompson) et structuraient, comme le dit ce vers d’Audre Lorde, « la texture de la lumière par laquelle nous examinons notre vie » ? Comme les fractales, les rencontres sociales sont aussi caractérisées par de la répétition, de l’itération et des implémentations au sein de structures sociales plus grandes. Les fractales éclosent, et organisent l’espace dans sa clarté. De la même façon, la logique sociale organise nos vies via des intersections de vecteurs identitaires, à la fois gigantesques et microscopiques. Nous sommes imbriqué·es dans les structures sociales d’une manière qui est tout à la fois corporelle et psychique, idéologique et matérielle, abstraite et concrète. Ces structures infiltrent nos voix et font vibrer nos os. Nous ne pouvons nous en défaire. Elles nous imposent les conditions de notre survie, et parfois, simultanément, nous facilitent la vie. Connecté·es que nous sommes à ces géométries sociales extensives, nous sommes toutes et tous impliqué·es.
Les fractales sont définies par la façon dont elles imprègnent l’espace, avec des démarcations qui se complexifient à chaque itération. Les fractales sont connectées par des motifs similaires, et animées par des principes mathématiques de parallélisme qui les développent dans l’espace et à travers différentes échelles. Ce sont des boucles de rétro-actions géométriques qui traversent plusieurs échelles, articulant des instruments de différentes tailles à travers (et par-delà) le plan. Les fractales s’organisent selon des motifs qui créent continuellement de nouvelles lignes en essayant de se délimiter. C’est un processus de territorialisation sans terminaison, de formation d’une identité en crise perpétuelle. À mesure que les fractales délimitent leurs frontières, elles se réitèrent – une dialectique à l’infini de rapetissement et d’élargissement, de « paramètres finis et du développement infini », du détail microscopique et de ce qui « ne cesse de s’échapper en tourbillonnant, de dessiner des spirales sans fin » (Dimock, 88-89).
Prenez par exemple, le flocon de Koch (Fig.1). Dans sa première itération, le flocon de Koch apparaît comme un triangle équilatéral. Dans sa seconde itération, trois versions plus petites du triangle émergent depuis le centre de chaque côté du premier triangle, transformant la figure en une étoile à six branches. Dans sa troisième itération, deux autres triangles émergent de chaque nouveau triangle ainsi formé. Dans chacune des autres itérations, le périmètre du flocon de neige gagne une multiplicité de faces supplémentaires – il est multi-face mais jamais complet. Toute représentation visuelle du flocon de Koch est une simplification, un cliché d’une identité toujours-en-train-de-se-faire. Ainsi, les fractales étendent leurs principes mathématiques au travers des échelles et des espaces, imprégnant et codifiant le territoire dans une aspiration asymptotique.
Fig. 1. Un flocon de neige de Koch montre comment un triangle devient une fractale (image tirée de Wikimedia Commons)
Nous trouvons fructueuse la pensée qui lie pouvoir, identité et relation au sein d’une même formation fractale. Si nous nous concevons comme opérant au sein d’un fractale, nous avons alors la possibilité de nous voir les un·es les autres comme
1. connecté·es
2. distinct·es
3. participant à des relations de pouvoir récurrentes et distributives, c’est-à-dire : « auto-similaires [4] ».
S’il est possible de regarder nos vies comme des entités « relationnelles et constellées », c’est que nos pratiques ordinaires « sont bâties, formées et démantelées par les façons dont nous nous rencontrons les un·es les autres à travers des systèmes particuliers » (Powell & al.). La montée récente du féminisme « critique du genre » (ou TERF, féminisme radical excluant les personnes trans*) est un exemple de l’incapacité d’observer ou de reconnaître comment les connections se réitèrent au sein des oppressions sociales – comment les personnes indigènes, immigrantes, asiatiques, latino-américaines et africaines-américaines ont été déshumanisé·es pour avoir échoué à obéir aux idéaux blancs du genre ; comment les femmes trans sont punies pour avoir violé les structures de la féminité utilisées pour délimiter l’identité cis femme ; comment les personnes handicapées sont sujettes aux mêmes processus d’infantilisation et de privation de liberté que ceux dont ont été victimes les personnes trans et les personnes racisées. Avec l’extension des pouvoirs politiques et socio-économiques occidentaux, on peut reconnaître les scripts de racialisation du genre d’un continent à l’autre, opérant une classification entre plusieurs groupes de dits « Autres » tout en déniant les intimités de nos histoires continentales (Lowe).
Ce manifeste/multi-feste est consacré à la question suivante : qu’est-ce que cela signifie de regarder la coalition comme une fractale – comme un ré-examen continu et une re-négociation de nos frontières ordinaires ? Nous ne pouvons pas ne pas remarquer par exemple que les mêmes sortes de micro-agressions se répètent à travers différents contextes et au sein de différentes communautés, et que ces micro-agressions s’amplifient pour devenir des macro-agressions qui nous sont elles aussi familières. Inversement, nous avons besoin de répétition pour sculpter nos propres espaces – de batailles récurrentes pour affirmer notre présence, de façons d’expliquer et de justifier notre existence. Flocons de Koch que nous sommes, nous handi-formons, nous trans-formons, nous queerisons ces espaces par les collaborations et les communautés que nous y formons – après tout, le queer est un processus intime et relationnel.
Même si certaines de nos fractales sont approuvées par les pouvoirs coloniaux, nos manières répétitives de découper l’espace sont souvent décrites comme pathologiques, et considérées comme des écholalies, des tocs (Yergeau, Authoring Autism) ou de l’obstination (Ahmed, Féministes rabat-joie). Lorsqu’elles ne sont pas approuvées par les pouvoirs coloniaux, nos fractales rhétoriques apparaissent comme des obsessions tautologiques, des fixations inappropriées (des entêtements ?) provenant d’individus qui ne savent pas s’arrêter de parler de genre et de handicap.
Ainsi, les tocs sont conçus comme pathologiques précisément parce qu’ils n’arrivent pas à s’arrêter (Bliss). Un toc est une tautologie incorporée, un écho incorporé : il s’amplifie et se recroqueville à la fois, il navigue de façon récursive à travers le corps, se liant et se connectant à d’autres tocs, formant des réseaux, des groupes, des coalitions « d’énoncés sensoriels » complexes (pour reprendre l’expression de certain·es universitaires comme Nolan & McBride). Inversement, les fractales peuvent nous permettre de concevoir cet « échec », cette incapacité à s’arrêter, comme une certaine tendance à s’épanouir, comme un potentiel à partir, bouger, lier, consteller, constituer, forger, s’allier, se déchirer, rêver, être.
Selon le dictionnaire anglais d’Oxford, la racine latine de « stimulus » renverrait soit à un stylet (stylo) soit à un aiguillon. Les stim – que les médicophiles appellent « comportements d’auto-stimulation » – renvoient pour nous à une manière continuelle de faire monde. Nous nous stimulons – avec un stylet, nous laissons notre empreinte sur notre être ; nous poussons l’aiguillon de l’existant entre nous et à l’intérieur de nous ; et, à l’aide d’un bâton, nous traçons les contours de notre être dans la boue. De cette façon, nos identités et nos corps, sont inscrites à même notre programme – nous devenons TransCription à mesure que nous délimitons la TransCription. TransCripter désigne alors l’acte réitéré de fabrication de l’espace trans et de l’espace crip guidé par une obéissance loyale à un programme et par une obsession à suivre ce programme. De la même façon qu’une fractale s’étend et se complexifie en suivant les principes des mathématiques (ex : l’ensemble de Mandelbrot, Fig.2), notre collaboration s’étend et se complexifie selon les principes du handicap et de la justice de genre. De la même façon que les systèmes coloniaux infusent leur nuée toxique de performances de genre dans toutes choses – des stylos aux zygotes en passant par les prisons – notre invitation à Faire Entrer Les Fractales [5], à nous enivrer de notre programme, s’étend inexorablement. TransCripter désigne alors une persévération pathologique – une performance incorporée, automatique et neuroqueer [6] d’un devenir « aussi résistant·e qu’un TOC ou qu’un stim ».
Fig. 2. Un ensemble de Mandelbrot montre comment les fractales gonflent et s’intensifient.
Le stimming est un monde, mais c’est un monde continuellement exposé au risque d’extinction. Les violences structurelles que sont le capacitisme et la transphobie ne sont pas seulement des étiquettes ou des oppressions qui touchent certaines personnes ; ce sont aussi des systèmes qui se manifestent à la surface du corpsesprit grâce à la répétition routinisée de formes d’(auto) gouvernance [7]. On nous apprend à dissimuler nos différences et à considérer les identités minoritaires comme des aberrations qui interrompent le cours de nos vies quotidiennes. Le handicap, la race et le genre ont une importance cruciale absolument partout mais seulement quelques-uns de ces agencements d’identités réussissent à demeurer invisibles et, ce faisant, à devenir la norme (Browne and Misra ; Kafer). Tanya Titchkosky parle de ces variations comme d’une « exclusion justifiable » (77). Comment cette négation, cette absence, a-t-elle pu devenir justifiable et raisonnable ? Remarquant la rareté des personnes handicapées sur son lieu de travail, Titchkosky écrit : « les personnes handicapées ne manquent pas dans ce bâtiment, et pourtant elles ne sont pas là ». Nous sommes là et pourtant nous ne sommes pas là. Vous êtes là, et pourtant vous n’y êtes pas. Il y a quelques chercheureuses ouvertement trans, non-binaires, et/ou bispirituel·les dans notre discipline qui évoquent les effets continus d’un tel refoulement – une réitération fractale de « l’exclusion justifiable » dont parle Titchkoksy. En accord avec les rhétoricien·nes trans, bispiritue·les et non-binaires, nous plaidons pour l’élaboration et l’acceptation de formes plus imaginatives de production de connaissances (Rawson, LeMaster et Johnson ; LeMaster & al. ; Patterson ; Hsu ;Driskill, « Doubleweaving »). Beaucoup d’entre nous avons été éjecté·es du plan fractal, avons été contenu·es, restreint·es, rationalisé·es et rejeté·es hors du domaine de l’existence.
Apparemment, sur un campus de 30.000 personnes, « nous » n’aurions besoin que de 5 toilettes accessibles et non-genrées. Voilà, chaers lecteurices, qui continuera à être reconnu et applaudi comme un succès de l’inclusion et du progrès social, parce que nous sommes là et cependant, nous ne sommes pas là, parce que nos savoirs et nos contributions aux champs de la connaissance et aux mondes sont ignorées.
Solidarité fractale
Les fractales dessinent les géométries de la collaboration. « Fractaliser » c’est creuser, ici et ailleurs, des accès et des sorties à l’intérieur de certains sujets tout en élaborant des coalitions politiques à travers cette multiplicité. Les fractales imprègnent les territoires de leurs principes d’organisation, transformant les agglomérats spatiaux en systèmes de signification (ex : le tapis de Sierpinski, Fig:3). Ainsi, pour interpréter l’espace social comme une fractale, il faut suivre les lignes qui associent les corps blancs propriétaires du capital au bouclier de l’État, aux rituels sociaux et religieux de l’hétéronormativité, au racisme, à la xénophobie, au capacitisme et à la transphobie. La solidarité fractale orchestre des collaborations par-delà les distances et les différences d’échelles, intégrant chacun des points dans un processus collaboratif de re-signification et de renouvellement.
Fig. 3. Le tapis de Sierpinski réplique des versions toujours plus petites d’une même forme à l’infini. (image tirée du Public Domain Vectors)
Durant notre excursion de l’échelle micro à l’échelle macro et vice versa, nous mettons en pratique ce que Stryker, Currah et Moore décrivent comme « transer » – au lieu de s’attarder sur le « trans » comme une migration horizontale le long du spectre du genre, Stryker et ses collègues définissent le geste de « transer » comme un mouvement vertical qui « transe » les corpsesprits individuels pour s’intéresser aux structures des « nations, États et des montages capitalistes » au travers desquelles ces vies individuelles sont forcées de vivre. Dans notre coalition fractale, nous nous ménageons des accès et des sorties depuis nos contextes culturels, embrassant autant le friable que l’immense. Nous sommes à la recherche de socialités mutualistes, dont différentes conceptions résonnent dans les rhétoriques culturelles, les théories décoloniales, les communautés crip et l’activisme crip et d’autres communautés soutenues par des personnes dont les pratiques sont orientées par des pensées ancrées dans l’expérience incarnée (Powell et col. ; Escobar ; Moraga et Anzaldúa ; Calafell ; Hamraie et Fritsch). Par-delà les frontières disciplinaires et les points de vue, nous nous appuyons sur nos relations pour créer des savoirs constellés.
À chaque moment de notre vie nous contribuons à divers champs disciplinaires, appartenons à diverses communautés, sommes sujet·tes à des réglementations fédérales et étatiques et à d’autres contextes d’appartenance. Pour cette raison, lorsque nous militons pour les communautés trans ou pour la justice des personnes handicapées, nous ne pouvons exprimer des intérêts qui soient en défaveur de l’un ou l’autre groupe. Nous n’avons pas non plus besoin de traduire notre solidarité en intérêts personnels avant de passer à l’action. Les liens qui nous lient nous laissent à penser que « leurs » problèmes sont aussi « nos » problèmes – et ce sans éliminer nos différences (ex. : la distance ou les différences d’intensité) et sans exiger d’obtenir, grâce à nos demandes de justice collective, des bénéfices individuels. Chaque identité que nous revendiquons est un lieu de pouvoir, mais un tel pouvoir demande une attention particulière et engage des contraintes, des considérations, et des responsabilités. Nous devons être conscient·es de la façon dont nos manifestations, nos actions et nos discours peuvent réduire d’autres personnes au silence, et les exclure. De plus, nous ne pouvons pas contribuer, en tant que chercheureuses et enseignant·es à l’évolution de disciplines qui nient les aspects de notre identité.
Celleux d’entre nous qui sommes marginalisé·es à plusieurs titres savent à quel point nous sommes contraint·es à développer de multiples formes d’expertise dans le but de justifier notre existence. Nous devons continuellement éduquer les autres sur « ce que ça signifie de vivre en tant que » trans et/ou non binaire et/ou personne racisée et/ou personne handicapée, et seule une faible partie de ce travail est rémunérée (dans les rares cas où nous finissons par l’être). Vous comme nous, savez que l’accès aux ressources des institutions n’est pas à prendre pour acquis ; nous ne savons que trop bien ce que c’est que d’être interdit·es d’accès à ces ressources. Une partie de notre travail consiste dès lors à auto-gérer l’accès à ces ressources – que ce soit en forçant collectivement les institutions à s’adapter à la forme de nos corpsesprits ou en nous efforçant d’ajouter au temps lui-même des minutes voire des heures supplémentaires pour finir nos tâches (en repoussant l’heure du sommeil par exemple ou d’autres tâches importantes de maintenance), ou en développant par nous-mêmes la connaissance et le savoir-faire qui nous permettront d’extraire nos propres ressources, le tout en subissant la dénégation et le dénigrement constants de notre expérience vécue. Puisque nous sommes si intimement familièr·es des expériences d’isolement et d’épuisement inhérentes à ce travail, nous prenons très au sérieux l’appel de Shawn Wilson à pratiquer la recherche, l’enseignement et le militantisme avec, pour préceptes principaux, le respect, la réciprocité et la mutualité de façon à « faire en sorte que nos actes restent fidèles à ce qui a été entendu, observé et appris » (59). Nous méritons toustes d’être traité·es avec le minimum de dignité, mais nous exigeons plus. Nous voulons être débarrassé·es de la crainte. Nous voulons la liberté. Nous voulons la joie. Tout d’abord collectivement, ensuite nous nous investirons auprès des communautés pour leur sécurité, leur dignité, leur libération.
Les fractales nous rappellent que toutes les oppressions sont interconnectées. La transphobie émerge de la dysmorphophobie liée à la construction coloniale, capitaliste et masculine du genre, et elle est aujourd’hui reproduite par des modèles économiques néolibéraux qui tirent profit de la rigidité des normes de genre (Driskill et al., Asegi Stories, “Doubleweaving,” ; Boellstorff et al. ; Besnier et Alexeyeff ; Green et Bey ; Snorton ; Chen). Le même colonialisme qui tente d’éliminer, par un génocide physique, la pluralité des genres que les natif·ves américain·nes ont construite sans faire appel à la binarité cis – ce même colonialisme est une menace directe pour les personnes trans et celleux dont le genre est considéré comme non-conforme, en particulier les personnes handicapé·es, les personnes racisées, les précaires et toustes celleux qui sont forcé·es par l’expansionisme occidental à im/migrer, à traverser les frontières. Le travail décolonial effectué au sein des salles de classe et en dehors de leurs murs doit prendre en considération ces efforts entrepris pour créer des manières de relationner, trans et non conformes aux normes de genre – dans le cas contraire, un tel travail ne fait que renforcer le colonialisme et l’impérialisme galopant.
Nous devons refuser la violence de ces tendances à ce que certain·es d’entre nous avons appelé la « normativité par la diversité ». La normativité par la diversité se produit lorsque la majorité s’avise qu’elle a omis de prendre en considération les expériences et les besoins qui diffèrent des siens, elle s’efforce alors d’opérer un travail de réparation (Dolmage ; Yergeau et al. ; Wood), ce qui implique souvent d’entrer dans une relation de marchandage et souligne l’incapacité à penser à ces autres déjà aliéné·es. En effet, la réparation est une stratégie « passive-agressive », qui « repousse l’accès à plus tard, et d’une façon souvent violente » tout en laissant penser que le travail d’inclusion a été mené à bien (Dolmage 77). De la même façon, nous devons trouver d’autres modèles pour projeter une variété de corps et d’expériences, de nouveaux modes de constructions de coalitions, qu’ils soient intentionnels ou spontanés, un nouveau Design Universel pour la survie, un nouvel engagement nous permettant de Faire Entrer Les Fractales.
Comment Faire Entrer Les Fractales ?
Ce manifeste/multi-feste est une invitation à joindre un chœur d’universitaires et de militant·es qui entonne l’hymne TransCripteur. Nous vous invitons à prendre place dans notre constellation d’énergies afin d’inventer de nouveaux mondes affectifs et matériels pour les personnes trans et handicapées. Les fractales sont tout à la fois massives et mobiles. À travers cet élan de solidarité, par la création d’un faire-monde trans et crip, nous nous engageons à :
* reconnaître et estimer la vie et l’expérience d’autrui à l’aune de ses valeurs propres plutôt qu’à l’aune de son utilité pour nous. Nous alignerons nos positions non sur la base de nos similarités mais sur la base d’une volonté concertée de fonder ensemble une communauté.
* inquiéter les notions de neutralité et de passivité. Nous remarquons que les positions « neutres » et « passives » suivent les répétitions des contours fractals, générant une sensation d’isolement par rapport à une plus large totalité. Plus particulièrement, nous estimons qu’être cisgenre n’est pas une position « par défaut » et que cette position est tout autant le résultat d’un « choix » qu’être transgenre – que la binarité est une fiction inoculée par la taxonomie coloniale de l’Europe occidentale.
* inspirer la confiance. Cela vaut spécifiquement pour celleux qui, sans y appartenir, travaillent en collaboration avec des groupes relégués à la marge de l’Histoire. Faire Entrer Les Fractales exige de l’humilité. Être un·e allié·e, ce n’est pas une identité, c’est un savoir-faire. Être un·e allié·e signifie que tu apprends auprès de celleux qui vivent ces vies, pas que tu débats à partir de tes connaissances théoriques. Les allié·es doivent s’atteler à la tâche de bâtir des espaces trans et crip (et accepter de les laisser ensuite à d’autres !). L’alliance performative et la course au mérite ne servent qu’à souligner à nouveau le privilège de celleux qui ont le moins de choses à perdre.
* devenir de meilleurs complices dans les combats des un·es et des autres en étudiant les irrégularités des architectures sociales au sein desquelles nous habitons, et en visant des mondes toujours plus inclusifs et libérateurs.
* prendre la responsabilité du bien-être des communautés à propos desquelles nous écrivons et à qui nous nous adressons. Mettre en pratique ce qu’Alexis Pauline Gumbs et Eric Darnell Pritchard nous inspirent : des savoirs et des transmissions « capables de rendre des comptes à leurs communautés » et qui se laissent « guider par les ancêtres » (Pritchard, Fashioning Lives, “On Black Queer Literacies et Activism” ; Gumbs).
* comprendre que les politiques de la citation sont importantes, que les effets de nos recherches sont importants, et qu’il ne s’agit là ni d’un sport, ni d’une compétition mais d’une pratique de soin mutuel.
* démanteler les cistèmes [8] universitaires qui excluent les personnes trans. Le savoir trans dépasse les limites de quelques niches obscures. Les espaces universitaires ne seront émancipateurs qu’à la condition de lutter collectivement contre l’opposition trans, l’exclusion trans, l’effacement trans et toutes les formes d’enfermement trans.
* reconstruire des infrastructures éducatives sur le principe de l’entraide plutôt que sur le mythe de la méritocratie.
* veiller à la distribution des privilèges et des ressources en soutien aux communautés marginalisées.
* reconnaître le bon moment pour faire de l’espace, pour occuper l’espace, pour dissoudre cet espace, pour se retirer de l’espace de façon à rendre visibles celleux qui sont les plus directement concerné·es par le sujet.
* prendre le risque de l’échec, de l’imperfection et de la gêne en visant l’intérêt de la communauté. Ce processus, toujours en cours, d’un devenir-complice est brouillon et parfois douloureux. Même emprunt·es des meilleures intentions, nous risquons de nous blesser les un·es les autres et il faudra que nous nous rendions capables de répondre des blessures que nous infligeons. Nous devons comprendre qu’une réputation irréprochable peut, dans certains cas, être une forme de privilège, et que la peur des sanctions sociales ne peut excuser celleux qui ne parviennent pas à devenir les complices des luttes de leurs allié·es.
Comment mettons-nous en place ce soin communautaire ?
Ce projet est en soi une pratique de soin communautaire à travers laquelle nous créons des opportunités de dialogue écrit et oral, d’écoute de nos différences mutuelles, et de partage d’expériences et de désirs avec un large public. Dans la continuité des travaux de Leah Lakshi Piepzna-Samarasinha, nous espérons que ce manifeste pourra être reçu comme une invitation – une invitation permettant aux membres de nos domaines de recherche d’explorer des opportunités nouvelles leur permettant d’oser s’avancer dans des champs universitaires moins conventionnels, et de rendre visible ce travail essentiel qu’est la création de champs de recherche plus inclusifs, de favoriser le libre échange d’idées, de craintes et d’espoirs.
Nous parlons de « soins communautaires » et non de « soins auto-administrés » car nous sommes aux prises avec des systèmes de pouvoir, d’affects, de contraintes matérielles et sociales qui s’étendent bien plus au-delà du pouvoir « souverain » de la volonté individuelle. Chaque itération d’une fractale repose sur l’itération qui l’a précédée. Comme les fractales, nous nous situons à l’intérieur de structures génératrices de formes. La notion de « soins auto-administrés » part du principe qu’existerait une structure de soin accessible de façon universelle, et permettant à chacun·e de pouvoir se soigner sans condition. Si vous pensez qu’un tel « soin auto-administré » est possible, c’est que vous ne rendez pas justice à toutes ces personnes et à tous ces systèmes qui prennent soin de vous.
Concevoir quelque chose comme un soin communautaire nous permet d’identifier les formes de soin disponibles dans un contexte de structures sociales inégalitaires. Regarder le soin communautaire par le prisme des fractales nous permet d’identifier les moyens de construction de telles communautés de pouvoir. La co-création de cet article est un exemple de ce que signifie construire un soin communautaire. Lors de l’écriture de ce texte, chacun·e des auteurices s’est constitué·e en nœud de renfort pour les autres. Nous avons construit, au sein de ce réseau de validation sociale, un espace social offrant un refuge loin des relents validistes et transphobes des formations universitaires.
Comme les fractales, nous créons des raccords afin de réitérer ces espaces d’appartenance – des espaces déterminés par les structures affectives, matérielles et sociales de notre design collaboratif. Bien que nous espérions que d’autres poursuivent, étendent, transportent et transforment nos idées, nous proposons les principes préliminaires suivants pour une communauté de soin :
Le soin communautaire demande de la persévérance, un engagement « pathologique » à construire des espaces de justice sociale. Nous devons nous rassembler en une même force de réitération (« fus ro DAH ! [9] ») et d’articulation de notre foyer communautaire. Le soin communautaire signifie œuvrer pour un environnement où chacun·e peut se sentir apprécié·e et soutenu·e. Nos identités individuelles n’ont pas à être débattues, et cela quoi qu’en disent les protocoles de la Cour Suprême [10].
Le soin communautaire prend acte des conditions matérielles et affectives qui structurent le monde universitaire. La carrière universitaire tout comme le bien-être émotionnel, le sentiment d’accomplissement ainsi que l’aptitude à opérer des changements positifs au sein de la communauté, reposent en grande partie sur la capacité à payer un loyer. Nous devons être vigilant·es quant à la façon dont notre pratique du tutorat, notre activation des procédures officielles, et la façon dont nous citons et rendons visibles certains travaux affectent les autres à l’intérieur et en dehors des murs des universités.
Le soin communautaire reconnaît qu’une personne, pour survivre, puisse avoir besoin de l’appui de la communauté. Ces besoins ne répondent pas à un manque ou un déficit, ils soulignent les manquements structurels qui réduisent au silence et excluent les individus et les communautés marginalisées. Le modèle universel d’ajustements raisonnables renforce la violence normative, en particulier envers les identités multiples. Regarder la diversité comme un concept abstrait et non comme un concept enraciné dans des réalités corporelles et matérielles peut « au mieux » déboucher sur un travail de réparation et, au pire, sur une complète négation.
Le soin communautaire signifie éduquer les gens ou, au besoin, dénoncer leurs comportements et prendre des décisions stratégiques pour limiter les situations traumatiques pour nos étudianz* et nos collègues. Le soin communautaire signifie apprendre à éviter de publier dans des revues, à éviter de diriger ou de recommander des revues qui ne reconnaissent pas les points de vue des histoires minoritaires ou qui publient des papiers invalidant notre expérience. Cela prend en compte les travaux d’études du handicap qui refusent de reconnaître les liens inextricables entre le capacitisme, la transphobie et autres formes d’oppression sociale. Un tel travail est aussi néfaste sur le plan interpersonnel qu’il est irresponsable sur le plan de l’éthique scientifique.
Invitation
Nous appelons à une collaboration des inadapté·es. Nous sommes les flocons de neige de leurs trous en forme de Mandelbrot. Prenant appui sur le travail de Rosemarie Garland-Thomson, Aimi Hamraie décrit la compatibilité et l’incompatibilité comme « des catégories matérielles-discursives, relationnelles et interdépendantes ». Comme nous l’ont montré Hamraie et Kelly Fritsch, les inadapté·es sont bien plus que des produits collatéraux des forces d’oppression ; ce sont des « agent·es actives de la reconstruction ». En ce sens, la TransCription appelle à rejoindre le programme de survie par le désordre – à survivre en traçant les contours d’espaces pour soi-dans-la-communauté.
En écrivant ce manifeste, nous te demandons si tu veux venircollaborer avec nous, explorer tes TOC avec nous, nous aider à inventer, pérenniser et partager des espaces trans et crip ? Si tu es prêt·e à déployer la Trans(Crip)tion avec nous. Si tu veux te joindre au Grand Plan Gay™. Pas parce que tu es trans. Pas parce que tu es handicapé·es. Mais parce que tu partages avec les communautés handies-trans un même projet de faire-monde. Parce que tes TOC, ton identité queer (et/ou non-binaire), ton désir, te procurent du plaisir. Nous t’invitons à venir avec nous dans l’obsession. Dans l’écho. Dans la persévération. À venir dériver dans la tempête de flocons de Koch et à couvrir tes sols de tapis de Sierpinski. À te connecter et à te manifester avec nous.
En tant qu’universitaires et enseignant·es, les choix que nous devons faire sont difficiles. Nous avons des carrières, des familles, des étudiant·es, des collègues qui comptent sur notre présence dans ces différents champs. Nous sommes lié·es les un·es aux autres par des scripts coloniaux. Découper de nouveaux espaces, (trans)gresser et (trans)crire ces contours est un acte exigeant sur le plan matériel et émotionnel. Pour toutes ces raisons, nous savons que certain·es de nos collègues vont continuer à se tenir à l’extérieur de nos fractales. Celleux-là continueront à suivre les scripts qu’on leur a donnés, et à rejouer les histoires qui leur sont déjà connues.
Mais tu veux peut-être quelque chose d’autre. Dans ce cas, bienvenu·e ! Fais Entrer Les Fractales.
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Lucas Aloyse Fritz, avec Emma B.
Article original : Sophia Maier, V. Jo Hsu, Christina V Cedillo, & M. Remi Yergeau, « GET THE FRAC IN ! Or, The Fractal Many-festo : A (Trans)(Crip)t1 », Peitho, vol. 22, issue 4, Summer 2020 ; https://cfshrc.org/article/get-the-frac-in-or-the-fractal-many-festo-a-transcript/
À propos des auteurices :
Sophia Maier est titulaire d’un Master de l’université d’État de Pennsylvanie. Elle étudie les rhétoriques du handicap et s’intéresse plus particulièrement aux interactions entre les rhétoriques du handicap et les théories féministes, queer, coloniales et les rhétoriques des sciences.
V Jo Hsu est professeur·e adjoint·e d’Anglais et directeurice adjoint·e du programme Réthorique et Composition à l’Université d’Arkansas. Sa recherche et son enseignement se concentrent sur les interrelations entre identité, écriture narrative et les luttes pour la justice sociale.
Christina Cedillo est professeur·e adjoint·e d’Écriture et Réthorique à l’Université de Huston Clear Lake. Son travail se concentre sur le rôle de l’incarnation dans la communication, et notamment dans son interaction avec la race, le genre et le handicap.
M Remi Yergeau est professeur·e associé·e d’Anglais et directeur·trice associé·e de l’Institut d’Études Digitales à l’Université de Michigan. En tant qu’universitaire autiste, ses intérêts universitaires concernent les études des pratiques d’écriture, les études digitales, la rhétorique queer et les études sur le handicap.
Note de fin de texte
Nous aimerions remercier les étudianz* du cours FemRhet de Jo et plus particulièrement Alex Rogers pour avoir trouvé le terme « Multi-Feste ».
Travaux cités.
- Ahmed, Sara. Living A Feminist Life. Duke UniversityPress, 2016 ; [NdT : en français, on peut notamment lire sur des sujets similaires : « Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés) », traduit par Oristelle Bonis,Cahiers du genre, #53, 2012/2 ; « Vandalisme queer », traduit par Emma B.,Trounoir.org, #8, oct. 2020.]
- Besnier, Niko, and KalissaAlexeyeff, editors. Gender on the Edge : Transgender, Gay, and Other Pacific Islanders. University of Hawai’i Press, 2014.
- Bliss, Joseph. “Sensory Experiences of Gilles de la Tourette Syndrome.” Archives of General Psychiatry, vol. 37, no. 12, 1980, pp. 1343-1347.
- Boellstorff, T., et al. “Decolonizing Transgender : A Roundtable Discussion.” TSQ : Transgender Studies Quarterly, vol. 1, no. 3, Jan. 2014, pp. 419–39, doi:10.1215/23289252-2685669.
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- Yergeau, Melanie, Elizabeth Brewer, Stephanie L. Kerschbaum, Sushil K. Oswal, Margaret Price, Cynthia L. Selfe, Michael J. Salvo, and Franny Howes. Multimodality in Motion : Disability and Kairotic Spaces. Kairos : A Journal of Rhetoric, Technology, and Pedagogy, vol. 18, no. 1, 2013.
[1] NdT : On retrouve le mot crip dans la TransCRIPtion qui fait le titre de cet article. Crip est le diminutif de cripple en anglais, et l’équivalent en français du mot « éclopé* ». Cette insulte fait l’objet d’un renversement du stigma par les communautés militantes handies aux États-Unis et ce depuis les années 1960. Il est devenu un signe de ralliement et un champ de réflexion à part entière, qu’on désigne sous le terme de « crip theory » : une théorie critique de la catégorie de handicap regardant notamment l’effet du capitalisme sur les corps et les normes de productivité et l’effet du néo-libéralisme sur le système de santé et de soin. Pour plus d’informations, voir notamment le livre de Robert McRuer, Crip Theory : Cultural Signs of Queerness and Disability, New York, New York University Press, 2006. En français, on peut voir aussi le travail de la psychologue Charlotte Puiseux, « handicap + queer = crip », Les ourses à plumes, 2018 ; https://lesoursesaplumes.info/2018/12/11/handicap-queer-crip/ ou celui de la géographe Enka Blanchard, « Spatialités et temporalités du handicap II : une typologie systématique des taxes temporelles », EspacesTemps.net, 2020 ; https://www.espacestemps.net/articles/spatialites-et-temporalites-du-handicap-ii-une-typologie-systematique-des-taxes-temporelles/
[2] NdT : Manyfesto est un jeu de mot combinant manifesto qui veut dire « manifeste » et many qui veut dire « plusieurs » – il s’agit là autant d’un manifeste d’une pluralité d’identités que de la revendication d’une écriture plurielle, écriture à plusieurs mains et écriture renvoyant à plusieurs traditions, comme nous le verrons par après.
[3] NdT : Référence à la revue Disability & Society, une revue historique de publications scientifiques dans le champ du handicap. Sa directrice, après des propos ouvertement transphobes tenus sur Twitter, a participé à un ouvrage collectif traitant du transgenrisme forcé chez les enfants.
[4] NdT : L’autosimilarité est la capacité d’un objet fractal à répéter les mêmes formes ou presque les mêmes formes à diverses échelles, réalisant ainsi le paradoxe du tout qui est plus petit que la somme de ses parties.
[5] NdT : L’expression « Get The Frac In » en anglais joue sur plusieurs niveaux de sens : get the frac in veut littéralement dire « faites entrer les frac(tales) », mais on peut aussi songer au syntagme get the fuck in, « entrez, bordel ! », où fuck est remplacé ici par frac (une référence possible à la série SF Battlestar Galactica, où le juron fuck est systématiquement remplacé par le mot frack afin de contourner la censure des mots orduriers à la télévision nord-américaine) ; mais frac est aussi manifestement une abréviation de « fractale », le concept-clef du manifeste, qu’il s’agit donc de « faire entrer » ou d’« utiliser pour entrer » et faire bégayer la machine néolibérale.
[6] Ndt : Neuroqueer est un terme défini par Nick Walker dans son blog neurocosmopolitanism.com Dans sa forme adjectivale, il désigne les corps qui, en raison de leur particularité neurologique, manifestent un comportement déviant de la norme. Dans sa forme verbale, il désigne l’activité consciente de faire dévier son comportement de la norme neurologique. Ce terme est présenté comme étant le fruit d’échanges entre Nick Walker, Remi Yergeau et Athena Lynn Michaels-Dillon
[7] Le paradigme du corps-esprit est un paradigme développé par Dychtwald K. dans le texte éponyme, Bodymind. New York : Jove Publications ; 1978. Ce paradigme permet de dépasser la dualité corps et esprit en les considérant tous deux comme une entité unique sur laquelle s’exercent des rapports de pouvoir et d’émancipation : les représentations mentales se matérialisent dans les gestes du corps et vice versa, les imaginaires sociaux comportent toujours une image du corps organique humain, son emplacement et son déplacement.
[8] NdT : Contraction des termes « cisgenre » et « système » désignant le système de ce qu’on pourrait appeler la la « contrainte à la cissexualité », pour paraphraser Adrienne Rich (La contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, Genève-Lausanne, Mamamélis, 2010), ou encore le « privilège cissexuel », pour reprendre l’expression de Julia Serano (Manifeste d’une femme trans, Cambourakis, 2019).
[9] NdT : Cri de guerre prononcé dans le jeu massivement multijoueur Skyrim et accompagnant une attaque de zone, éjectant les ennemis. Cette onomatopée est devenue populaire sur les forums de jeux vidéos aux États-Unis comme en France.
[10] NdT : L’actualité nord-américaine est parsemée de litiges concernant les discriminations de genre, notamment autour de la fréquentation des toilettes genrés par les personnes trans. Certains de ces litiges ont été présentés à la Cour Suprême, chargée de l’interprétation des lois fédérales anti-discriminations, et notamment du « titre IX » de ces lois qui lutte contre la discrimination de sexe (et aujourd’hui de genre) à l’école. Sous l’administration Obama, les lois anti-discriminations s’étendaient aux personnes trans, et la Cour Suprême tranchait régulièrement en faveur des personnes trans dans des cas de discrimination. L’administration Trump est revenue en 2018 à une conception sexuée des discriminations, en refusant notamment le droit aux personnes trans d’utiliser les toilettes de leur choix. Sous l’administration de Biden, il faut attendre juin 2021 pour que le titre IX soit à nouveau amendé pour y intégrer les personnes trans, soit plus d’un an après l’écriture de cet article, mais la constitution, sous la présidence Trump, d’une Cour Suprême à majorité conservatrice ne donne guère d’optimisme pour les droits des minorités sexuelles. https://www.axios.com/education-title-ix-transgender-biden-a3ca1a9f-e836-48b4-b925-833c23dc75b9.html