Paru initialement sur le site de la revue Commune le 30 décembre 2019. M. E. O’Brien nous propose un programme limpide en six étapes.
Si d’un côté la famille représente une bouée de sauvetage pour nombre de celles et ceux dont la vie sous le capital est un naufrage, d’un autre, elle rejette et contrecarre les aspirations d’un trop grand nombre d’entre nous. Il nous faut d’autres moyens d’organiser, au quotidien, le soin et l’attention que nous portons les uns envers les autres.
1.Mettre en place une cantine de lutte
Pour abolir la famille, il n’est pas de meilleur déclencheur qu’une insurrection massive. Rejoignez contre-sommets et camps anti-grand-projets, barricades et places occupées, usines, ports, et bâtiments récupérés. Dans chacune de ces zones libérées et afin d’étendre l’insurrection, générez des moyens de survie collective. Celle-ci commence par l’existence d’une cantine de lutte. Créez-la.
2. Étendre la reproduction sociale insurrectionnelle
Profitez du terrain gagné par l’insurrection pour poursuivre le processus d’abolition de la famille : approfondissez les pratiques partagées de soins mutuels. Que l’un des objectifs de votre camp, de votre territoire rebelle, de votre ferme collective, de votre comité logement local, soit d’accueillir et de soutenir toujours plus de nouvelles personnes. Créez des zones de sommeil auto-organisées pour soigner le rythme de chacun.e. Organisez des gardes collectives afin de dégager du temps pour les parents en lutte. Mettez en place des systèmes d’échanges de seringues et des politiques de prévention des risques à destination des camarades qui prennent des drogues. Offrez des soins médicaux et accompagnez ceux qui souffrent de maladies mentale et physique chroniques.
3. Construire des communes
À mesure que la production communiste investit les usines et les champs, l’abolition de la famille s’expérimente dans les nouvelles communes permanentes de reproduction sociale collective. Chaque commune compte environ 200 personnes. La cantine de lutte, devenue permanente, fournit des repas à tou.te.s les habitant.e.s. À la tente des street medics succède un véritable centre de santé. La place où s’assemblaient autrefois les habitants en lutte devient le lieu de leur auto-administration démocratique. Les désuets cercles de djembé et de didgeridoo laissent place à des espaces où l’on peut enregistrer de la musique et faire de l’art. De véritables crèches où les enfants apprennent et grandissent ensemble se substituent aux anciennes gardes collectives. Si des regroupements de chambres privatives destinés à ceux et celles qui souhaitent des unités de type familiales ou, par exemple, vivre avec leurs enfants, sont toujours à disposition, la majeure partie de la vie se déroule désormais dans les espaces collectifs. C’en est fini du règne des maisons, des bagnoles et de la consommation individuelles. Sur cette base, l’humanité peut enfin collectivement s’attaquer au changement climatique.
4. Combattre le retour de la famille
Défendez la commune – il n’est pas de manière plus libre d’organiser la reproduction sociale. Formez de nouvelles alliances – entre échappé.e.s de familles de tous types, entre femmes libérées de relations insatisfaisantes ou abusives, entre pauvres et personnes de couleur déjà habituées aux réseaux d’entraide communautaires, entre personnes queers et trans exclues des familles traditionnelles. Ceux qui tentent de retourner à la famille-unité-économique-de-vie sont des contre-révolutionnaires.
5. Élever les enfants de la commune
Par la commune, offrir un monde meilleur aux enfants.
En tant que voisin et ami, dans un monde où la famille nucléaire ne dispose plus des vies des enfants, tout le monde est invité à intervenir créativement et collectivement en cas de relations parentales abusives. La commune offre la possibilité à tout parent ou à tout enfant non-dépendant de sa famille de s’extraire d’une dynamique dysfonctionnelle – sachant que pour tous, la commune pourvoit. C’en est fini des liens forgés et maintenus par la violence. De nouveaux genres, de nouvelles manières d’être humain, inimaginables sous l’empire de la famille nucléaire, deviennent possibles. Arrivés à ce point, vous avez réussi à abolir la famille. Vous êtes parvenu à libérer l’amour queer et le soin féministe et avez jeté les bases de l’épanouissement humain.
6. Étendre les opportunités de survie choisie
Si la contagion insurrectionnelle communisante globale rencontre une résistance trop forte, faites du mieux que vous pouvez avec les options forcément imparfaites qui se tiennent à votre disposition. Tentez de former vos propres plans d’habitations collectives, d’élaborer des formations parentales singulières viables dans ce monde-ci. Combattez et détruisez les États suprémacistes blancs qui renforcent la violence familiale. Défendez les maisons collectives, les lieux d’accueils et les rues populeuses aux prises avec le harcèlement policier. Investissez-vous dans des projets qui permettent à chacun.e, inconditionnellement, de satisfaire ses besoins : que ceux que vous aidez vous aiment ou vous détestent, qu’ils soient partisans ou non de la famille nucléaire, ne doit pas décider de votre action. Rejoignez les mouvements de précaires, de chômeurs et de mal logés afin d’étendre et de transformer les logements qui échappent au marché, d’augmenter les allocs, d’améliorer l’accès aux soins et à une éducation de qualité. Soutenez tou.te.s celles et ceux qui sont exclu.e.s des familles traditionnelles en les aidant à élever leurs enfants, à prendre soin des plus âgé.e.s et, plus généralement, prenez soin de celles et ceux qui vous aiment et que vous aimez. Trouvez-vous. Aimez-vous.
M. E. O’Brien - Traduit par Antoine, et relu par Éric.
M. E. O’Brien est autrice et enseignante vivant à Brooklyn. Elle travaille régulièrement avec le Trans Oral History Project, et participe à la conception du nouveau journal queer-communiste Pinko.
Cet article a paru initialement dans la revue Commune.
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