TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Abolir la famille - Acte I

Nous publiions au mois de février dernier un court texte programmatique intitulé "Abolir la famille en six étapes" de ME O’Brien. Nous donnons maintenant à lire la traduction française d’un important article de la même autrice, publié originiellement dans la revue EndNotes, qui revient plus en profondeur sur les rôles de la famille ouvrière et de la libération du genre dans le développement capitaliste, mais ouvre en même temps des pistes de réflexion pour donner naissance à une politique queer à la fois offensive et constructive. Qu’est-ce qui est précisément nécessaire à abolir dans l’institution familiale ? Qu’est-ce qui reproduit les possibilités de régénérescence du capitalisme à partir de nos identités ? [1]
L’article complet étant dense et long, nous avons choisi de le publier en trois épisodes (à raison d’un épisode par mois). Cette première partie aborde la période de l’industrialisation de l’Europe et l’Amérique des plantations, décrit la façon dont Marx et Engels envisageaient la famille bourgeoise et la famille prolétarienne, et se termine sur quelques exemples historiques de tentatives "d’abolir la famille" à la fin du 19ème siècle.

Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels parlent de « l’abolition de la famille » comme de « l’exécrable intention des communistes ». L’appel à abolir la famille a hanté la lutte prolétarienne depuis, ouvrant un horizon de libération de genre et sexuelle qui a souvent été différée ou supplantée par d’autres orientations stratégiques et tactiques. La phrase évoque la transformation complète, presque impossible à concevoir, de la vie quotidienne. Pour certaines personnes, la famille n’est rien d’autre qu’une chose terrible et implacable qu’elles doivent fuir pour retrouver un semblant d’elles-mêmes. Pour d’autres, elle est la seule source de soutien et de soin contre les brutalités du marché et du travail, des flics racistes et des agents d’expulsion. Pour beaucoup, elle est constamment les deux à la fois. Nul ne peut s’en sortir seul dans ce monde ; et le rapport que l’on entretient à sa propre famille influence directement la manière dont on comprend l’appel à abolir la famille.

Si le slogan d’abolition de la famille pose le problème de savoir ce que serait une ou la famille, il faut aussi chercher à comprendre ce que serait son «  abolition ». Pour Marx, la tâche qui incombait était d’abolir l’Église, l’État, la Famille – la triade frappante de l’ordre des choses – et, enfin, la loi impersonnelle du marché. Marx et Engels emploient le terme d’Aufhebung pour abolition – un terme qui est souvent traduit par « dépassement-conservation », car il véhicule simultanément l’idée de préservation et de destruction. L’abolition n’équivaut pas à la destruction. Qu’est-ce qui est remplacé, et qu’est-ce qui est préservé, dans le mouvement d’abolition de la famille ?

En évitant d’analyser les différentes définitions de la famille comme une série de boites conceptuelles fixes et mortes, j’avance qu’il y a une logique historique à l’œuvre qui sous-tend la transformation de notre slogan, une logique que l’on peut identifier aux dynamiques du capital lui-même. Ce que les militants désignent par « famille » se trouve dans une même dynamique évolutive. Dans les splendeurs et misères du mouvement des travailleurs, qui correspond à une phase distincte du développement capitaliste aussi bien qu’à son horizon de transcendance communiste, il y a une périodisation cohérente de la famille. Les dynamiques en mouvement de la famille des classes laborieuses dans l’histoire capitaliste expliquent les modifications de la critique de la famille chez les révolutionnaires et, enfin, l’horizon les mutations de l’horizon de la liberté de genre.

La famille est soumise à la contradiction de la survie dans une société tronquée, aliénée, comme source à la fois de soulagement et de désespoir. L’abolition de la famille comme slogan aujourd’hui est devenu un appel à l’universalisation de l’amour queer comme destruction du régime normatif et à une ouverture aux libertés de genre et sexuelle pour toutes et tous. Abolir la famille pourrait revenir à généraliser le soin humain dans la communauté humaine réelle du communisme.

1830-18801890-19501960-début 19701970-présent
Forme familiale dominante Famille bourgeoise. Forme de famille ouvrière, basée sur le salaire masculin et rendue possible par le mouvement des travailleurs. La même forme familiale ouvrière, basée sur le salaire masculin, perdure. Diversification des structures familiales avec survivance de la famille nucléaire.
Destruction capitaliste de la vie familiale des classes laborieuses Crise de la reproduction sociale de la classe ouvrière ; familles paysannes et artisanes attaquées par l’industrialisation ; prolifération du travail du sexe ; aliénation natale en régime esclavagiste. Mobilisation militaire durant les deux guerres mondiales. Croissance des cols blancs ; opportunités d’emplois pour les femmes. La forme familiale ouvrière et basée sur le salaire masculin est désormais impossible.
Vision communiste de l’abolition de la famille Destruction de la famille bourgeoise dans une guerre contre la société bourgeoise, fin de l’hypocrisie monogame (Engels, Fourier, la plupart des socialistes et des anarchistes. Collectivisation du travail reproductif non salarié ; intégration des femmes travailleuses à la masse salariée et libération des mêmes femmes de l’obligation à la famille (Kollontai) Les féministes radicales, les queers et les femmes noires cherchent à abolir l’unité familiale banlieusarde et isolée pour aller vers la libération sexuelle et de genre.

I - L’Europe en voie d’industrialisation et l’Amérique des plantations

Crise de la reproduction, 1840-1880

En 1842, un bourgeois allemand de 22 ans arrive dans le centre industriel florissant de Manchester. Il y passe les deux années suivantes à essayer de comprendre la vie du nouveau prolétariat urbain anglais. Il voit dans l’Angleterre l’avenir de la société capitaliste, ce monde qui prenait forme alors dans les nouveaux centres industriels allemands et qui allait ensuite s’étendre à travers toute l’Europe. Il parle aux gens, lit des reportages, explore les rues. Il essaie de communiquer l’horreur qu’il éprouve devant la condition prolétarienne :

« Partout des tas de détritus et de cendres et les eaux usées déversées devant les portes finissent par former des flaques nauséabondes. C’est là qu’habitent les plus pauvres des pauvres, les travailleurs les plus mal payés, avec les voleurs, les escrocs et les victimes de la prostitution, tous pêle-mêle. La plupart sont des Irlandais, ou des descendants d’Irlandais, et ceux qui n’ont pas encore sombré eux-mêmes dans le tourbillon de cette dégradation morale qui les entoure, s’y enfoncent chaque jour davantage, perdent chaque jour un peu plus la force de résister aux effets démoralisants de la misère, de la saleté et du milieu. » [2]

Il se rend bien compte que la classe laborieuse ne peut survivre à ces conditions : « Comment serait-il possible dans ces conditions que la classe pauvre jouisse d’une bonne santé et vive longtemps ? Que peut-on attendre d’autre qu’une énorme mortalité, des épidé­mies permanentes, un affaiblissement progressif et inéluctable de la génération des tra­vailleurs ? » Au cours des décennies centrales du dix-neuvième siècle, la classe laborieuse anglaise mourait trop rapidement pour pouvoir se reproduire. Les conditions qu’Engels décrivit – maladie, surpopulation, accidents du travail, faim, mortalité infantile – rendaient impossible pour les prolétaires d’élever leurs enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte. Seule l’im-migration des paysans dépossédés permettait de maintenir l’accroissement de la population. Les commentateurs de la classe dirigeantes, les premiers travailleurs sociaux et les défenseurs du socialisme se réunissaient tous pour condamner les conditions qu’affrontait la classe laborieuse industrielle et y reconnaissaient une crise de la reproduction sociale.

La recherche contemporaine confirme leurs craintes [3]. Les taux de mortalité infantile atteignaient des chiffres astronomiques et l’espérance de vie des travailleurs s’effondra avec l’urbanisation. Pour à peu près la moitié de la classe laborieuse, en comptant les travailleurs manuels non- et semi-qualifiés, les salaires finançaient les coûts quotidiens de reproduction des travailleurs, mais pas leur remplacement générationnel [4].

Deux tournants majeurs advenus au début du dix-neuvième siècle avaient produit ces conditions observées par Engels : la croissance des usines faisait venir des enfants, des femmes non mariées et des hommes pour travailler hors de chez eux. Les usines crûrent rapidement dans les pays en voie d’industrialisation tout au long du siècle. Au début du dix-neuvième siècle, plus de la moitié des travailleurs manufacturiers dans de nombreux secteurs industriels étaient des enfants pré-adolescents, comme dans le coton anglais en 1816. Dans la décennie de 1840, 15 % des travailleurs du textile français étaient des pré-adolescents. La majorité des enfants employés en Angleterre et en France étaient embauchés dans des équipes de travail d’usine trans-générationnelles, sous-traitées par des hommes de la classe laborieuse. Les enfants étaient souvent dirigés par un membre ou un ami masculin de la famille, dans des relations plus ou moins éloignées qui servaient à discipliner les enfants par la violence masculine mais avec une autorité managériale limitée.

Après leur mariage, presque toutes les femmes quittaient immédiatement le travail en usine pour ne jamais y retourner. En Europe comme aux États-Unis, quasiment aucune jeune mère ne travaillait hors de chez elle [5]. Les femmes blanches américaines quittaient leurs emplois à l’usine immédiatement après le mariage plutôt qu’à la naissance de leur premier enfant [6]. En 1890, la participation des femmes blanches à la force de travail chutait de 38,4 % à 2,5 % lorsqu’elles se mariaient. Les femmes apportaient plutôt du « sur-travail » payé à domicile, en pensionnaire ou chez elles :

« Outre les ouvriers de fabrique, les ouvriers manufacturiers et les artisans qu’il concentre par grandes masses dans de vastes ateliers, où il les commande directement, le capital possède une autre armée industrielle, disséminée dans les grandes villes et dans les campagnes, qu’il dirige au moyen de fils invisibles ; exemple : la fabrique de chemises de MM. Tillie, à Londonderry, en Irlande, laquelle occupe mille ouvriers de fabrique proprement dits et neuf mille ouvriers à domicile disséminés dans la campagne. » [7]

Marx décrit la structure genrée de ce sur-travail : « Le lace finishing [dernière manipulation des dentelles fabriquées à la mécanique] est exécuté comme travail à domicile, soit dans ce qu’on nomme des ‘mistresses houses’ (maisons de patronnes), soit par des femmes, seules ou aidées de leurs enfants, dans leurs chambres. »

Engels redoutait les effets pervers de la pauvreté urbaine sur le genre et la sexualité des prolétaires. Un dégoût sexuel horrifié grouille sous bien des aspects dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre. Il cite la prostitution à maintes reprises, un symptôme de dégénérescence morale et de corruption sexuelle. Il fait allusion à la menace de l’inceste et de l’homosexualité dans des conditions de logement surpeuplées. Cette dégénérescence n’était pas limitée à un lumpenprolétariat séparé de la classe laborieuse comme un tout, mais constituait une crise qui s’étendait à la classe tout entière. Les réformistes sociaux de son époque croyaient que l’adoption du moralisme bourgeois par la classe laborieuse, ce qui comprenait une plus grande ressemblance avec la famille bourgeoise, fournirait l’antidote nécessaire aux mauvaises conditions de santé. Marx et Engels rejetaient une telle solution, à la fois parce que cela ne répondait pas aux racines de l’emploi industriel et parce que le moralisme bourgeois était toujours une imposture. Le socialisme, et la défaite de la classe capitaliste, constituait l’unique porte de sortie.

Dans leur ensemble, ces dynamiques impliquaient la désintégration de la famille de la classe laborieuse comme unité définie de reproduction sociale. Les travailleurs dépendaient extensivement de réseaux familiaux pour l’accès au travail et au logement, dans le partage des ressources ou dans leurs décisions migratoires. Mais les liens de parenté entre prolétaires ne pouvaient plus servir comme système naturalisé et prêt-à-l’emploi d’obligation, de soin et de domination.

Violence familiale

La violence et l’amour réciproques s’entremêlent dans les formes familiales. Tout le monde repose pour sa survie sur des relations de soin, d’amour, d’affection, de sexe et de partage matériel des ressources. La société de classe contraint ces relations à revêtir une série spécifique de formes historiques. La logique capitaliste de dépendance au marché et de prolétarisation généralisée contraint ces relations d’amour à adopter une structure particulière de dépendance interpersonnelle semi-forcée, semi-choisie. Les travailleurs sujets à un emploi précaire dépendent des membres de leurs familles et de liens de parenté pour traverser les périodes de chômage ; de même, les enfants et ceux qui ne sont plus en mesure de travailler sont souvent dépendants de leurs liens personnels à un travailleur salarié. De plus, les travailleurs salariés libres ont souvent accès au travail à travers des réseaux de sociabilité basés sur les liens de parenté qui fournissent de l’information et de l’aide pour trouver un emploi sûr disponible. Ces relations peuvent être des sources de soin authentique, mais, comme elles sont aussi nécessairement des liens de dépendance, elles les exposent constamment à la violence, à l’abus et à la domination. Pour toutes les formes de violence genrée, la menace peut être implicite dans les structures d’une institution sociale qui facilite l’exercice de la violence. Les familles n’ont pas besoin d’être effectivement ou fréquemment violentes pour que la famille en tant qu’institution générale permette et autorise de façon systémique la violence et l’abus. La combinaison de soin et de domination violente constitue le double caractère de toute structure familiale dans la société de classe.

Dans les sociétés paysannes européennes, la domination masculine et la violence genrée revêtit une forme particulière distincte de ses répliques ultérieures. Les familles paysannes connaissaient une division du travail relativement peu genrée, les hommes comme les femmes étant impliqués dans toute une gamme de travaux domestiques et fermiers. Les foyers étaient souvent multigénérationnels et comprenaient la famille étendue ; il y avait peu de stratégies alternatives de survie pour ceux qui étaient sans accès aux familles ayant accès à la terre. Les hommes étaient les chefs de famille et possédaient à la fois les femmes, les enfants et leur travail. Les hommes pouvaient choisir d’exercer leur pouvoir comme propriétaires à travers la violence contre leurs femmes et leurs enfants. Les hommes paysans et leurs familles étaient à leur tour sujets à la violence des seigneurs féodaux. Les seigneurs et les états féodaux dépendaient de la violence comme élément central de leur loi de classe et de leur domination économique. La famille dominée par le père sous le féodalisme était analogue à la structure de classe de la société comme un tout, et la violence constituait la base de son pouvoir. Ce fut cette famille paysanne que le développement capitaliste sapa avec la dépossession de la terre paysanne en même temps que la société bourgeoise transforma la famille en société aristocratique.

Lorsque les paysans furent prolétarisés, la nature de la domination basée sur la parenté changea. Sous la prolétarisation chaotique causée par l’industrie, la violence revêtit des rôles plus hétérogènes. Les travailleurs hommes dirigeant les équipes de travail allaient dès lors employer la violence pour discipliner les femmes et les enfants qui travaillaient sous leurs ordres ; les hommes pouvaient en même temps user de la violence pour dominer les différents membres familiaux avec lesquels ils vivaient. Les travailleuses et travailleurs du sexe et d’autres domaines officieux étaient sujets à la violence de leurs clients et de la police. Tous les prolétaires étaient sujets à la violence de leur employeur, et se voyaient, au moyen des agents de l’État, imposer le contrôle social et de la discipline du travail.

Contrairement à ce qui avait eu lieu sous le féodalisme, la violence ne jouait cependant plus un rôle central et nécessaire dans l’accumulation de richesses à travers le travail salarié capitaliste. La violence imprégnait toujours les vies des prolétaires anglais, comme en témoigne la brutalité des lois contre le vagabondage et les pauvres. Mais après que les soulèvement paysans furent réprimés et que ces derniers n’eurent plus d’autre moyen de subsistance, les travailleurs à salaire « libre » se mirent à la recherche de travail. Tandis que les seigneurs féodaux avaient besoin d’armées privées pour prélever chaque année une partie des récoltes paysannes, les employeurs capitalistes pouvaient de mieux en mieux s’abstenir de l’usage de la force. Peu à peu, la violence se sépara du lieu de travail pour se concentrer en revanche entre les mains des agents étatiques – la police, les armées nationales – ou revêtir une forme privée et locale au sein du foyer.

Naturellement, la violence directe jouait un rôle bien plus central dans un autre régime de travail capitaliste : l’esclavage du Nouveau Monde [8]. Dans les plantations d’esclaves sud-américaines prit forme un nouveau régime capitaliste de reproduction générationnelle du travail qui dispensait de toute simulacre de lien natifs naturalisés. Angela Davis décrit cette vie familiale fragmentée sous le régime esclavagiste : « Les mères et les pères étaient séparés avec brutalité ; les enfants, lorsqu’ils grandissaient, étaient marqués et fréquemment séparés de leur mère… Ceux qui vivaient sous un toit commun n’avaient souvent pas de parenté de sang » [9].

La richesse des possesseurs d’esclaves s’accroissait lorsque les esclaves avaient des enfants. Ce qui renforçait les dynamiques de reproduction générationnelle comme des éléments centraux de l’accumulation de capital et du procès de travail. La plupart des esclaves ne pouvaient pas affirmer effectivement quelque forme de droit parental que ce soit, dans la mesure où la vente des esclaves ne cessait de briser régulièrement les familles et de constituer ainsi ce qui a été défini comme « l’aliénation natale » (natal alienation). Le pouvoir du père chez les peuples esclavagisés des Amériques était strictement limité, car, comme l’écrit W.E.B. Du Bois, « sa famille, femme comme enfant, pouvait lui être retirée légalement et absolument » [10]. Davis dit encore : « Si l’on excepte le rôle dévolu au soin que la femme jouait dans le ménage, les structures de la suprématie masculine ne pouvaient s’enraciner profondément dans le fonctionnement interne du système esclavagiste… La femme noire étaient donc entièrement intégrée à la force productive. » [11] À l’inverse, les femmes blanches américaines étaient toujours considérées comme appartenant à une sphère domestique et protectrice. On voyait rarement les femmes des fermiers blancs participer aux travaux de récolte ou de moisson, quel que soit le niveau de pauvreté et de désespoir qu’aient pu connaître les familles du nord.

Au cours du dix-neuvième siècle, le capitalisme détruisait la famille de la classe laborieuse de deux manières différentes. D’un côté de l’Atlantique, les liens de parenté des prolétaires anglais se fracturaient à cause de la misère croissante des travailleurs en usine, de la surpopulation urbaine et du capitalisme industriel. Sur l’autre rive, l’agriculture des plantations participait à la modification de la reproduction générationnelle des travailleurs noirs esclavagisés en les assujettissant à l’aliénation natale. Les prolétaires esclavagisés comme les prolétaires salariés entretenaient des liens de parenté qui n’étaient ni intelligibles aux élites, ni reconnus par la loi, ni immédiatement reconductibles aux attentes des élites sociales. Dans chaque cas, la déviance prolétaire était comprise comme s’opposant à la consolidation des normes de genre et de sexe en vigueur dans la classe des propriétaires, normes qui organisaient brutalement des structures familiales basées l’héritage et le statut. L’exigence d’abolition de la famille comme appel à la destruction de la société bourgeoise, bien qu’elle n’ait pas été employée dans la lutte contre les élites agraires qui possédaient des esclaves en Amérique du Sud, y était potentiellement aussi pertinente qu’elle l’était contre la bourgeoisie anglaise. Les différences entre les travailleurs esclavagisés et salariés étaient considérables, et ce gouffre radicalisé divisait le mouvement prolétarien mondial. Mais, malgré ces différences, le capitalisme avait dans les deux cas déjà détruit la famille des classes laborieuses. Dans les deux cas, l’appel à l’abolition de la famille se comprend comme un moyen d’attaquer la société bourgeoise – les élites des plantations sud-américaines aussi bien que les propriétaires des industries anglaises.

Détruire la société bourgeoise

On peut distinguer le mouvement communiste d’abolition de la famille comme dépassement positif du travail de sape négatif opéré par la fragmentation de l’accumulation capitaliste à l’encontre de la famille prolétarienne. Pour Marx et Engels, le capitalisme avait déjà détruit la famille prolétarienne :

« Quelle est la base de la famille bourgeoise de notre époque ? Le capital, le gain individuel. La famille n’existe à l’état complet que pour la bourgeoisie, mais elle trouve son complément dans la prostitution publique et dans la suppression des relations de famille pour le prolétaire. »

Marx et Engels n’ont pas produit de théorie de la domination masculine au sein de la famille ouvrière, un souci central des féministes socialistes tardives, parce qu’ils considéraient la famille ouvrière comme impossible dans les conditions du capitalisme industriel.

L’exigence d’abolition de la famille faisait partie de la guerre contre la société bourgeoise. L’ordre social bourgeois dépendait de l’Église, de l’État et de la Famille, et leur triple abolition constituait la condition nécessaire à la liberté communiste. Engels a identifié les traits caractéristiques de la famille bourgeoise : une monogamie hypocrite qui n’était applicable qu’à l’encontre des femmes, une inégalité de genre qui traitait les femmes comme une propriété passive, l’accroissement de la richesse comme motivation réelle dans la négociation des relations sous le vernis de l’amour romantique, l’héritage patrilinéaire de la propriété, l’éducation orientée en fonction de l’accumulation de la richesse familiale.

L’exigence d’abolition de la famille est le plus clairement établie dans l’appel du Manifeste à « l’abolition de tous les droits de l’héritage ». La famille bourgeoise constituait un moyen de gestion du transfert et de la persistance de la propriété capitaliste. Les pères bourgeois contraignaient leurs femmes à la monogamie pour s’assurer que leurs enfants étaient bien les leurs et maintenir la transmission de l’héritage dans une même lignée. La promesse de l’héritage ainsi que les propriétés offertes en cadeaux constituaient d’autres moyens grâce auxquels les parents bourgeois continuaient à exercer tout au long de la vie leur contrôle sur leurs enfants, reproduisaient leur statut de classe dans leurs enfants et consolidaient leur propre position de classe. La familles voyaient leur cohérence maintenue par la propriété et fonctionnaient comme une forme de propriété particulière. Les enfants appartenaient à leurs parents, de même que les femmes appartenaient à leurs maris. Engels pensa que se débarrasser de l’héritage reviendrait dérober la famille de son fondement matériel et constituerait le mécanisme central de son abolition.

Détruire la famille bourgeoise et l’ordre social capitaliste, continuait Engels, permettrait la fondation de l’amour réel et du mariage basé exclusivement sur « l’inclination mutuelle ». Une fois que les questions de propriété et de survie matérielle seraient chassées hors des relations intimes, l’humanité pourrait découvrir sa sexualité naturelle et inhérente. La sexualité communiste serait entièrement sujette aux décisions des citoyens de l’avenir :

« Quand ces gens-là existeront, du diable s’ils se soucieront de ce qu’on pense aujourd’hui qu’ils devraient faire ; ils se forgeront à eux-mêmes leur propre pratique et créeront l’opinion publique adéquate selon laquelle -ils jugeront le comportement de chacun - un point, c’est tout. » [12]

Si l’appel à la libération est ici tout à fait clair, Engels l’agrémenta d’autres affirmations plus sujettes à caution. L’abolition de la propriété et de la famille bourgeoise libérerait l’humanité et lui permettrait de poursuivre sa sexualité intrinsèque, une forme de famille librement choisi par l’avenir, celle de la monogamie : « La prostitution disparaît ; la monogamie, au lieu de péricliter, devient enfin une réalité, - même pour les hommes. ». Le mariage trouverait sa véritable réalisation dans l’amour communiste : « comme l’amour sexuel est exclusif par nature – bien que cet exclusivisme ne se réalise pleinement, de nos jours, que chez la femme – le mariage fondé sur l’amour sexuel est donc, par nature, conjugal. »

Libérée de la tyrannie de la propriété, l’humanité serait également libérée des excès sexuels de la prostitution capitaliste. On n’est qu’à quelques pas du conservatisme sexuel agressif de certains socialistes tardifs qui affirmèrent que la déviance de genre et l’homosexualité étaient des perversions capitalistes bourgeoises. Marx et Engels eux-mêmes exprimèrent un mépris moqueur à l’encontre des mouvements pour les droits des homosexuels qui naissaient alors et ils échangèrent des lettres chargées d’épithètes anti-homosexuels injurieux au sujet de leurs contemporains. Malgré leur souci partagé pour l’émancipation de la femme et la cruauté de l’hypocrite monogamie bourgeoise, Engels était incapable d’imaginer que les normes sexuelles bourgeoises ne réémergeraient pas comme condition humaine naturelle sous le socialisme. Détruire la famille bourgeoise, la Sainte-Famille et la famille terrestre produirait quelque chose de supposément semblable à des unités familiales hétérosexuelles monogames.

Queer addendum

L’homophobie de Marx et Engels témoigne aussi d’une certaine ambiguïté. Dans une lettre de 1869, Engels écrit à Marx au sujet d’un livre du militant homosexuel Karl Ulrich :

« Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu’ils constituent une puissance dans l’État. Il ne manque plus que l’organisation, mais il apparaît d’après ceci qu’elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, (…), la victoire ne peut leur échapper. ‘Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul’ [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant. C’est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. (…) Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. » [13]

Le mépris apparaît clairement, aussi bien que l’ironie avec laquelle il s’amuse à les imaginer rester à la traîne de la révolution queer et à considérer la négligence avec laquelle sera traité leur séant. [14] Je vais m’attarder un peu sur ce moment d’imagination horrifiée et sur les autres chemins queer possibles du dix-neuvième siècle antérieurs à la montée en puissance du mouvement ouvrier.

Bien que Karl Ulrich n’ait jamais appelé à la dictature queer, Marx a vraisemblablement rencontré une utopie sexuelle de ce genre chez Charles Fourier. Marx a lu Fourier de près. Dans La Sainte famille, Marx cite favorablement Fourier lorsqu’il écrit dans que « le degré de l’émancipation féminine est la mesure naturelle du degré de l’émancipation générale ». Il semble que Marx éprouvait moins de sympathie envers la défense par Fourier de la liberté sexuelle. Dans le Manifeste, Marx et Engels se moquent de la bourgeoisie lorsqu’elle craint que l’abolition de la propriété ne débouche sur la « libre communauté des femmes » et soulignent sa logique implicite qui considère les femmes comme une propriété de la classe bourgeoise. Mais ils rejettent aussi implicitement l’insistance sur l’amour libre, les relations ouvertes et le plaisir sexuel dans la politique socialiste utopique de Fourier.

Charles Fourier a proposé une vision du socialisme où l’érotisme et le désir constituent des mécanismes de changement social, de cohésion sociale et d’accomplissement humain. Il s’est livré à une critique vigoureuse de la famille bourgeoise et a vu la monogamie permanente et irréversible du mariage comme une source fondamentale de misère, de chaos social et de désespoir : « On dirait qu’un tel ordre est l’œuvre d’un troisième sexe qui aurait voulu condamner les deux autres à l’ennui ; pouvait-il inventer mieux que le ménage isolé et le mariage permanent, pour établir la langueur, la vénalité, la perfidie, dans les relations d’amour et de plaisir. » [15] Fourier a au contraire proposé une société rationnelle basée sur la « théorie de l’attraction passionnée », une étude attentive du désir humain et des types de personnalité afin d’équilibrer les sources de plaisir et de créer une utopie harmonieuse.

Moins largement reconnue est en revanche sa proposition de « nouveau monde amoureux », où l’érotisme joue un rôle central dans le nouvel ordre. La société serait structurée non seulement pour satisfaire le « minimum social » du niveau de vie matériel de base pour tous, mais aussi un « minimum sexuel », la garantie sociale de satisfaction des besoins érotiques de chaque personne afin de permettre la fondation d’un amour authentique et non-manipulateur :

« Quand une femme sera bien pourvue de tout le nécessaire amoureux, exerçant en pleine liberté et variété, bien assortie en athlètes, matériels, en orgies et bacchanales, tant simples que composées, alors elle pourra trouver dans son âme une ample réserve pour les illusions sentimentales dont elle se ménagera plusieurs scènes et liaisons pour raffiner et contre balancer les jouissances matérielles. » [16]

Fourier a imaginé la reconstitution d’une aristocratie basée exclusivement sur sa générosité sexuelle désintéressée et procurant un plaisir expert aux négligés sexuels. Il esquisse des visions d’armées d’amants levées pour de nouvelles croisades, lancées à travers les continents et visitant des cités socialistes où elles s’engageraient dans le combat amoureux. Elles prendraient des prisonniers consentants et avides de punissions érotiques raffinées et réalisées pour démontrer la prouesse de leurs ravisseurs. Enfin ces braves aventuriers sexuels passeraient la deuxième partie de leur vie adulte dans de fréquentes orgies.

Cet appel enthousiaste à une société érotique ouvertement libre participe également d’une caractéristique mieux connue de l’œuvre de Fourier : l’appel à la formation de logements collectifs délibérément et soigneusement structurés où les résidents partageraient le travail aussi bien que l’amusement. Durant la journée, ils se diviseraient en différentes activités collectives organisées autour d’une spécialité manufacturière : leurs efforts et leur collaboration accroîtraient la productivité. Ils partageraient ensuite le travail reproductif et mangeraient ensemble au cours de grands repas collectifs. Les nuits seraient complétées par les joies des orgies et d’autres liaisons sexuelles. Fourier a proposé avec beaucoup d’énergie une vision du socialisme qui liait la vie collective, le partage du travail reproductif et l’amour libre. Les successeurs immédiats de Fourier développèrent de nombreuses communes en Europe et aux États-Unis au cours des années 1830. Des communes partageant les traits essentiels de la vision de Fourier allaient ensuite reparaître dans les mouvements socialistes, anarchistes et contre-culturels tout au long des dix-neuvième et vingtième siècles.

Fourier est accusé par Engels de socialisme utopique et de ne pas comprendre que le prolétariat est l’agent destiné à poursuivre et à réaliser le socialisme. Le mouvement marxiste allait bientôt en arriver à concevoir le travailleur industriel comme la figure pivot d’une telle transition. Or ce que Engels a observé au cours de ses années passées à Manchester n’était pas une masse prolétaire unifiée, homogène et disciplinée par la vie en usine, mais une cacophonie de crimes et de chaos social. Les pratiques communistes évoquées par les déviances sexuelles proliférantes de prolétaires évoquent bien plus le communisme queer de Fourier que la tendance de fond à la monogamie naturelle de Engels.

Les déviances sexuelles et de genre étaient comprises par leurs opposants bourgeois comme une menace à l’ordre public, à la stabilité de la famille bourgeoise et à la discipline de la journée de travail. L’urbanisation rapide et la prolétarisation produisirent une masse concentrée de prolétaires. Ces gens avaient vu l’effondrement des mœurs paysannes et du contrôle de la vie rurale ; ils n’étaient pas pour autant modelés par le conformisme bourgeois. Ils travaillaient lorsqu’ils en étaient capables, trouvaient des emplois dans des industries souvent basées sur la ségrégation de genre ; ils travaillaient dur avec leurs corps durant de longues heures et dans une logique de cycles saisonniers qui connaissaient des hauts et des bas. Le temps passé en-dehors du travail était radicalement le leur, plus qu’il ne l’avait jamais été auparavant. Chris Chitty a décrit les nombreuses opportunités d’érotisme gay qui proliféraient dans les ports et les rues des villes en pleine explosion :

« L’irrégularité du travail comme les salaires extrêmement bas pour la plupart des hommes les transformaient en une population nomade peu encline à la responsabilité familiale (…) L’homosexualité était souvent camouflée par l’arrière-plan plus large d’une sexualité prolétaire anarchique (…) Cela explique pourquoi toutes les brigades de mœurs sévissaient à l’encontre de l’homosexualité et de la prostitution, dans la mesure où elles menacent toutes deux l’unité conjugale. » [17]

Dans la vie urbaine où vie privée et publique se confondaient, la sexualité gay proliférait entre prolétaires sous la forme du jeu et du plaisir ; entre les bourgeois et les prolétaires sous celle de transactions monétaires crispées et transgressives ; au sein de la bourgeoisie dans les espaces privés de la pension de famille et du petit salon.

Dans la prostitution et les sous-cultures sexuelles des villes en voie d’industrialisation, des gens s’adonnaient à de nouvelles formes de transgression de genre. Tout un lexique du travestissement émergea, tandis qu’aux côtés des travailleuses du sexe cis-genre, d’autres déviantes de genre transféminines parcouraient les rues de Londres, d’Amsterdam et de Paris : Mollies [18], Mary-Anns, queens. Elles vendaient du sexe à la bourgeoisie dans les rues, fuyaient la police, se battaient dans les émeutes, tenaient des drag balls réguliers et travaillaient dans l’un des deux-mille bordels spécialisés dans le travail du sexe pour hommes qui émaillaient Londres [19].

De nombreuses femmes prolétariennes se mirent également à vendre du sexe aux hommes, bourgeois comme prolétaires. L’application des Contagious disease acts (Lois sur les maladies contagieuses) en Angleterre ainsi que la campagne pour leur abrogation nous a laissé une archive conséquente sur la vie des travailleuses du sexe et témoigne de la fluidité avec lesquelles les femmes prolétaires passaient du labeur industriel au travail sexuel. Le travail sexuel payait mieux que la manufacture, et de nombreuses femmes se tournaient sporadiquement vers cette possibilité, tout en maintenant des liens forts et positifs avec leurs familles et leurs voisins. Les lois sur les maladies faisaient partie d’une campagne biopolitique qui visait précisément à rompre ces liens et à isoler les travailleuses sexuelles comme des déviantes afin de les mettre à l’écart d’une classe laborieuse respectable.

Les esclaves nouvellement émancipés aux États-Unis ont également élaboré des conceptions nouvelles de la famille. Les prolétaires noirs s’emparèrent de leur liberté pour avoir des relations sexuelles non-conventionnelles et s’unir dans des formes de familles inédites en exploitant la diversité des codes romantiques qui s’étaient développés sous le régime esclavagistes. Dans les archives gouvernementales au sujet des familles noires après la Guerre civile américaine, les historiens découvrent une variété de relations et de structures familiales qui est bien plus grande que celle de leurs contemporains blancs, fermiers comme ouvriers. Au cours de la Reconstruction, de nombreux couples noirs formèrent des « mariage d’essai » ou « d’amour » et « cohabitèrent » en nouant des relations hors-mariage, temporaires et souvent non-monogames. Des couples pouvaient partager la parenté dans ces arrangements temporaires et élever des « enfants de cœur » (sweetheart children). De tels arrangements peuvent être familiers sous d’autres noms aux Américains d’aujourd’hui, mais ils étaient rares dans les familles blanches en 1870. Les agents gouvernementaux, les prédicateurs, la police ainsi qu’une couche de personnes noires en quête de respectabilité qui émergeait alors cherchèrent à intervenir agressivement contre ces unions informelles. Le mariage légal était obligatoire pour les couples noirs qui recevaient une série de services fédéraux et ecclésiastiques tandis que la population noire allait bientôt être l’objet d’enquêtes et de répression pour avoir violé les lois maritales.

Reconnaître la prolifération de la déviance sexuelle et de l’hétérogénéité de la famille dans la vie de la classe laborieuse du dix-neuvième siècle invite à un autre type de politique du genre que celle que le mouvement socialiste a poursuivie dernièrement. Les familles noires qui cherchaient à vivre ensemble en-dehors de la respectabilité étriquée du mariage légal, comme les Mary-Anns transféminines qui interpelaient les clients des théâtres suggèrent une trajectoire alternative pour sortir de la crise de la reproduction sociale de la classe laborieuse. Il y a là une abolition de la famille de la classe laborieuse exempte de toute réinscription naturalisée comme du conservatisme de genre qui allait dominer le mouvement socialiste. Les actions de ces déviantes et déviants prolétariennes ont dessiné un genre différent de communisme queer qui a été perdu au cours des décennies suivantes du mouvement ouvrier.

ME O’Brien.
M E O’Brien est autrice et enseignante vivant à Brooklyn. Elle travaille régulièrement avec le Trans Oral History Project, et participe à la conception du journal queer-communiste Pinko.

La suite dans le prochain numéro de Trou Noir...

[1A lire également l’interview de John d’Emilio, Le capitalisme a rendu l’identité gay possible. Maintenant, nous devons détruire le capitalisme, paru dans le numéro #8 de Trou Noir.

[2Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845, traduction de Gilbert Badia et Jean Frédéric. En ligne ici. Les autres citations de ce texte sont tirées de la même traduction.

[3L’histoire qui suit se base sur les travaux suivants : Wally Seccombe, Weathering the Storm : Working-Class Families from the Industrial Revolution to the Fertility Decline (Verso, 1993) ; Peter Drucker, Warped : Gay Normality and Queer Anticapitalism (Brill, 2015) ; John D’Emilio, « Capitalism and Gay Identity » ; Geoff Eley, Forging democracy : The History of the Left in Europe 1850-2000 (Oxford, 2012) ; Alice Echol, Daring to be Bad : Radical Feminism in America, 1967-1975  ; Claudia Goldin, Understanding the Gender Gap : An Economic History of American Women (Oxford, 1990). Je cite aussi largement les trois volumes des Communist Interventions du Communist Research Cluster, tous disponibles en ligne. Le traitement du sujet est particulièrement influencé par mon expérience du troisième volume, Revolutionary Feminism.

[4Seccombe, Weathering the storm, p. 74.

[5Ibid.

[6Ibid. ; Seccombe, Weathering the storm.

[7Karl Marx, Le Capital, Livre I, 4ème section, 15ème chapitre, 8ème partie, « Révolution opérée dans la manufacture, le métier et le travail à domicile par la grande industrie ».

[8Une grande part de cette analyse de la politique de genre de l’esclavage américain est redevable, outre aux auteurs cités ci-dessus, au travail de Hortense Spillers et de Saidiya Hartman.

[9Angela Davis, « Reflections of the black woman’s role in the community of slaves  », 1972, in Black revolutionaries in the United States, Communist interventions, vol. 2., édité par le Communist Research Cluster (CRC 2), pp. 329-330.

[10W.E.B. Dubois, Black reconstruction (CRC 2), p. 7.

[11Angela Davis, « Reflections of the black woman’s role in the community of slaves  », CRC 2, pp. 332-333.

[13Lettre de Engels à Marx du 22 juin 1869.

[14L’emploi du terme « queer » désigne ici de multiples formes de défense et de poursuite de la déviance genrée et sexuelle, de la liberté sexuelle et du plaisir sexuel non-normatif. La vie queer est souvent reproduite par des contre-cultures densément organisées et souvent articulée comme un projet politique partiellement auto-conscient. Dans cette étude, je m’intéresse tout particulièrement aux formes de queerness liées à la survie et à la rébellion de prolétaires marginaux. L’universalisation de l’amour queer est la transformation et la généralisation du soin non-oppresseur.

[16Charles Fourier, Le nouveau monde amoureux, 1816.

[17Chris Chitty, manuscrit d’un travail académique non publié, rendu disponible par l’amabilité de Max Fox.

[18Au 18ème siècle à Londres, une mollie house était un café, une auberge ou une taverne où les hommes pouvaient se rencontrer en secret pour socialiser et avoir des relations sexuelles. Molly ou moll était un terme d’argot pour un homme gay, pour une femme de classe inférieure, ou une femme vendant du sexe.
Bien qu’à cette époque, en Angleterre, les relations sexuelles entre hommes étaient passibles de la peine de mort, les molly houses faisaient partie d’une sous-culture gay et trans florissante. (N.d.T.)

[19Fanny et Stella furent deux Mary-Anns arrêtées et inculpées à Londres ; elles raillaient les clients du théâtre Strand en « piaillant », offraient vraisemblablement des prestations sexuelles et perturbaient certainement le lieu. Leur penchant pour le travestissement était indéniable, mais les médecins du tribunal furent fascinés par leur physique et leur peau supposément féminines. Six médecins saisirent l’opportunité de l’examen médical pour introduire leurs doigts dans leurs anus. Neil McKenna, Fanny and Stella : the young men who shocked victorian England (Faber, 2013). L’estimation du nombre de bordels est celle de McKenna.

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