TROU NOIR

Voyage dans la dissidence sexuelle

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Pornologie : le cuckolding

L’aube commence à poindre lorsque nous reprenons nos esprits. Revenant doucement au monde, notre engourdissement n’est pourtant qu’apparent. À l’intérieur, le sang bouillonne, les idées sont fulgurantes. « Faire quelque chose ensemble » est le destin d’une telle rencontre.

D’un premier courriel énigmatique d’Astou Sow et Johann Kraus nous proposant des analyses sur la pornographie, nous voilà maintenant à discuter avec cette incroyable dyade de sexualité, de pornographie, d’images, de références queers, de peaux, de couleurs, matières et lumières. De mises en scène aussi.

C’est en parlant porno, en s’explicitant leurs manières d’arpenter les plateformes, en confrontant les choix de vidéos avec les stéréotypes de leurs fantasmes que la curiosité a pris des tournures d’enquête. Et c’est avec cette méthode que nous parlerons toute la nuit durant.
« Le porno nous a fourni toutes les images que nous voulions voir, au point que nous ne savons plus si nous les avons imaginées nous-mêmes ou si c’est le porno qui les a fait naître. »

Nous convenons donc qu’ils s’attellent à partager leurs réflexions et leurs idées sous la forme d’une chronique régulière. À chacune de leur publication seront associés des outils destinés à mieux comprendre le contenu des articles ou à aller plus loin (bibliographie, lexique, références…).

Le premier de leur constat est l’absence relative d’analyses précises sur l’image pornographique elle-même. Le deuxième est le rôle du porno dans la construction des normes sexuelles. En effet, le porno est à la fois un miroir de l’inconscient collectif, de la libido du social, et simultanément une machine normative dont les actions sont générées par des études de marché et des schémas directeurs.

« Le porno est un palliatif administré pour guérir nos psychoses et soulager des refoulements issus de notre culture ». Tel est le point de départ des pornologues.

Avertissement : Cet article contient des images à caractère pornographique qui, bien que floutées, ne trompent pas leur monde.

LE CUCKOLDING

https://fr.pornhub.com/view_video.php?viewkey=ph5dc9cb270cd05

La scène s’ouvre sur une femme blanche faisant une fellation à un homme noir muni d’un énorme sexe pendant que celui-ci lui murmure les sempiternelles phrases propres à l’univers du porno : "tu aimes ça hein ?" « petite pute » « regarde comme elle suce bien », etc. Le genre de phrases prononcées comme dans un rêve, aussi absentes et automatiques que les gestes des acteurs. C’est le propre de la pornographie : le plaisir et les sentiments des personnages doivent pouvoir se réduire au langage corporel tel qu’il apparaît à la caméra. Mais quelque chose se passe d’inhabituel, il y a comme un éclair, quelque chose qui n’était pas prévu, et qui n’est pas encore si banal pour nous, consommateurs insatiables de gonzo : alors que les deux acteurs entament une bonne levrette, ils se font « surprendre » par un homme blanc qui sursaute (le jeu d’acteur laisse évidemment à désirer). C’est le mari. Le visage déconfit, il est petit, son dos est légèrement voûté, et il interroge sa femme sur ce qu’il se passe, comme si ça n’était pas évident. Elle se met alors à lui expliquer qu’elle est en train de se faire prendre par un vrai homme, avec une grosse bite. Elle ordonne ensuite à son mari de rester, et il lui obéira sans discuter tout au long de la vidéo. Le petit sexe du mari blanc sera finalement son mode d’intégration au threesome et il finira, malgré les moqueries de sa femme et de l’amant, par prendre du plaisir dans la soumission et dans la comparaison.

Des vidéos comme celle-ci, il y en a des centaines sur les plateformes de porno en ligne, toujours avec les mêmes personnages : le mari trompé, sa femme et un amant. Nous voilà face à ce qui est pour nous, pornologues débutants, une nouveauté dans cet univers : le cuckolding. Et malgré toutes les variations possibles, ce qu’il y a d’étonnant, c’est la répétition des mêmes personnages, du même scénario, du même langage corporel. Plus le spectacle est grossier, plus il est censé exciter l’utilisateur et lui donner envie de voir ce qui va se passer.

On comprendra facilement que ce qui est mis en scène, c’est un imaginaire sexuel commun formé de désirs contradictoires jouant sur les normes, les contraintes, la domination des corps. C’est pourquoi, dans le cadre d’une démarche strictement analytique, le cuckolding fait bien mieux que l’œuvre controversée de Mapplethorpe, mieux que les mannequins noirs ou albinos de chez Vogue, mieux qu’une pub du Crédit Mutuel montrant une famille exemplaire avec les clés de leur maison et mieux qu’un livre de Franz Fanon : l’homme blanc se branle sur des vidéos où il imagine sa femme baiser avec un homme blanc avec plus d’argent que lui, ou bien un homme noir avec une plus grosse bite. Du génie. Voilà ce qu’il reste de la famille traditionnelle.

Présentation du genre

Le cuckolding, ou candaulisme, en français est une pratique consistant pour un homme marié à regarder sa conjointe faire l’amour avec un autre homme. Attention : l’infidélité, thème si prolifique pour les pornographes, ne se réduit pas au cuckolding. On ne parlera pas ici d’une femme qui regarde son mari coucher avec sa secrétaire ou avec une étudiante, ni d’un couple hétérosexuel s’accordant une petite curiosité gay-friendly, ou encore d’un couple homosexuel dont l’un des partenaires assouvit son fantasme hétérosexuel sous les yeux de son amoureux(se)... Sur tous les forums, sur toutes les plateformes de streaming et dans tous les studios de production, l’entrée «  cuckolding  » correspond de manière spécifique à la mise en scène de la tromperie d’une femme (shared wife) en présence de son mari (cuck ou hubby), et comme on le constate déjà, l’aspect marital a une grande importance dans cette affaire.

On pourrait donc définir le cuckolding comme une infidélité pour ainsi dire rituelle, encadrée et simulée. La pratique est loin d’être une innovation, et la pornographie dans sa forme numérique actuelle est loin d’en avoir inventé les personnages. Chaque fois, le mari partage sa femme et c’est toujours lui qui, en quelque sorte, définit les termes et pose les limites. Mais c’est avant tout une catégorie porno à suspense : le mari doit-il surprendre les amants, ou doit-il participer au rendez-vous activement ? Est-il excité ou révolté ? Va-t-il se masturber ou claquer la porte pour finalement espionner ? Va-t-il participer aux ébats ? Quelle est la couleur de peau de l’amant ? Quel est le point de vue de la caméra, POV, webcam, caméra HD ?
Dans beaucoup de vidéos de candaulisme, l’amant est noir. Dans ces vidéos, comme dans d’autres catégories pornographiques comme « BBC » (Big Black Cock) ou « interracial » (vidéos mettant en scène la plupart du temps un homme noir et une femme blanche) l’homme noir est hypersexualisé, doté d’un sexe immense, toujours en érection. Il incarne l’image de l’altérité et de la virilité. Nous verrons qu’il n’est pas anodin que cette position d’amant soit fréquemment tenue par un homme noir.

Du porno professionnel...

Les studios de production, comme souvent, ont tendance à répéter le même scénario et nous permettent de bien cerner les différents personnages. Car oui, le cocu est un personnage : celui du quadragénaire marié un peu grassouillet, indolent, trop absorbé par son travail et incapable de satisfaire son épouse. Il maîtrise sa jalousie, mais son humiliation doit pouvoir se lire sur son visage. Les scènes sont généralement tournées dans la demeure du couple qui est assez luxueuse. Le rôle assigné au mari trompé est donc de rapporter l’argent à la maison pendant que sa femme inconstante s’envoie en l’air après avoir fini de faire le ménage ou de s’occuper des enfants. Encore une fois, il n’y a pas besoin d’un bon jeu d’acteur pour la mise en situation, car l’artificialité est la condition d’entrée dans le domaine du fantasme.

Grâce à la narration, les films pornographiques acquièrent une capacité à établir un discours plus perfectionné et plus profond que celui des productions amateures. Le scénario n’est qu’une articulation accessoire, presque ironique, un vulgaire support à la masturbation. L’éclairage et la qualité de la caméra donnent une image en haute définition qui permet une précision visuelle et un rendu kitsch qui contribuent à créer une atmosphère onirique. En pornographie, le regard de l’utilisateur n’est ni critique ni esthétique, il est purement sexuel. C’est pourquoi les studios chercheront toujours la plus grande simplicité possible, pour les gros plans comme pour les dialogues.

L’acteur qu’on voit sur l’illustration ci-dessus se nomme Jimmy Broadway, star incontestée du cuckolding. Il a tourné plus de 400 films dans ce rôle. Ci-après, nous avons Marcelo, autre spécialiste du genre dont nous avons croisé la route sur toutes les plateformes. Ils concentrent à eux deux tous les aspects du cuck. Le premier est un père de famille bien portant, aisé. L’autre est un homme à l’air naïf ou bêta, au physique ingrat, plus esclave que le premier, bien que nos deux acteurs soient polyvalents.

… aux productions amateur

Il y a les films gonzo à la première personne dans lesquels de vrais couples pratiquent le cuckolding avec l’ami du cameraman ou le cameraman lui-même (bonjour Jacquie et Michel) et où l’utilisateur peut encore s’identifier au mari trompé. Et il y a les productions qu’on pourrait appeler domestiques, celles qui sont filmées en POV dans une chambre d’hôtel assez cheap, souvent par le mari qu’on peut occasionnellement voir se masturber. La caméra bouge beaucoup plus, les cuts sont moins nombreux, les plans généralement plus larges, l’éclairage plus sombre. Un classique du genre consiste pour le mari à filmer de derrière le missionnaire de sa femme et de l’amant. On a ainsi l’impression qu’il écrase l’épouse de tout son poids. On ne voit plus le visage des protagonistes, mais seulement ce qui compte vraiment, c’est-à-dire leur union au sens purement anatomique du terme : les jambes écartées de la femme et le sexe de l’inconnu qui vient la pénétrer, ce qui est finalement la préoccupation principale du mari comme de l’utilisateur. Ce dépouillement visuel presque naturaliste n’aide pas à l’identification des personnages, rouage pourtant essentiel des pratiques candaulistes. Le mécanisme relève plus de la projection et de l’immersion dans une situation réaliste, que l’utilisateur rêverait de voir se réaliser ou même qu’il a déjà vécue lui-même (le candaulisme étant une pratique largement répandue dans les milieux libertins).

Le drame candauliste et l’esthétique du threesome

On a donc d’un côté des vidéos amateur minimalistes qui mettent en scène la bestialité de la femme et de l’amant, et de l’autre le matériel fourni par les studios à gros budget qui mettent l’accent sur le scénario et l’implication émotionnelle des protagonistes. Cette sentimentalité, rare en pornographie, fait du cuckolding une catégorie à part, plus cérébrale que les autres, digne d’une tragédie romantique type Eyes Wide Shut mais en plus expéditif. Ce n’est pas pour rien que certaines vidéos de cuckolding mettent en avant les baisers échangés entre la femme et l’amant. Et dans le titre des vidéos, les mots "bull", "friend" ou "BBC", rattachés à l’amant, peuvent très bien être remplacés par "lover" : cela suppose que le mari assiste aux ébats entre sa femme et l’amant régulier duquel elle est amoureuse. On voit ici que le texte, qu’il soit introduit directement dans la vidéo pour contextualiser l’action [1] ou bien qu’il se réduise à un titre, à une catégorie ou à un tag, est un support essentiel à l’excitation. Le titre peut changer radicalement la manière de regarder la vidéo. On prend la vidéo d’une blonde faisant l’amour avec un noir : si elle s’appelle «  blond shared wife taking BBC  » (« femme partagée prenant BBC) ou « interracial couple having fun in hotel room » (couple interracial s’amusant dans une chambre d’hôtel), l’utilisateur ne s’y plongera pas de la même manière.

Dans la pornographie, la mise en scène du plan à trois suppose souvent une inégalité dans les rapports : il y a toujours l’un des trois qui est capturé par les deux autres en suscitant leur désir. Cette inégalité est due au rôle assigné aux protagonistes, à leur orientation sexuelle ou à la composition du plan à trois : deux hommes hétéro avec une femme hétéro, un couple gay avec un bi curieux, etc. Le cuckolding est une certaine architecture du plan à trois, qui ne se base pas vraiment sur l’orientation sexuelle, mais sur l’implication sentimentale des personnages : ce n’est pas la femme qui est au centre, mais bien le mari. Étrangement, le fait qu’il soit trahi fait de lui le centre émotionnel et sexuel de la mise en scène. Il y a d’ailleurs un contraste saisissant dans le fait que le visage et les expressions du cocu sont souvent mis en évidence, parfois même en gros plan (voir la photo de Jimmy Broadway), tandis que le visage de l’amant n’est pas scruté, au contraire de son érection infaillible.

Le rôle ambigu du mari comme spectateur passif et agent masochiste actif provoque, parallèlement, un va-et-vient dans le récit entre détachement émotionnel et recontextualisation scénaristique. L’érotique candauliste fonctionne grâce à cette bipolarité entre parcellisation fétichiste des corps puis recréation hyperbolique des termes initiaux que sont le désir féminin, le couple au sens institutionnel du terme, et les affects du mari. Pour que la catharsis candauliste fonctionne, il faut que la femme manifeste le plus de plaisir possible dans la tromperie simulée. On ne s’étonnera donc pas que l’excitation du spectateur provienne bien plus d’une satisfaction à voir le destin inexorable d’un couple (c’est-à-dire l’adultère) se réaliser, plutôt que d’une volonté d’être surpris par des rebondissements dans le scénario.
Par ailleurs, le candaulisme est une pratique libertine courante qui déborde le cadre de la pornographie. Pas besoin de verser dans la psychologie de bas étages pour comprendre que le candaulisme s’articule autour de l’excitation procurée par le désir de voir son partenaire assumer une sexualité extra-conjugale. Le but étant de se montrer attentif au désir de l’autre, de déconstruire l’exclusivité sexuelle ou encore surmonter les problèmes liés à la jalousie.

Gyges espionnant la femme du roi Candaule avec l’accord de celui-ci.
La reine l’aperçoit, apprend leur accord et se sent trahie.
Elle ira voir Gyges et lui ordonnera de tuer son mari, ou bien de se faire exécuter.
Ce dernier choisit de tuer Candaule, de s’emparer du trône avant d’épouser la reine.

Dans la mesure où beaucoup de vidéos de cuckolding amateur ne sont que les sextapes fournies par des libertins qui se filment dans les chambres d’hôtel ou dans les clubs, on peut dire que la pornographie est loin d’avoir inventé la chose. Elle n’en fournit pas moins le matériel nécessaire à tous les maris cherchant à anticiper la tragédie à laquelle se confronte le couple au fil du temps. Le drame candauliste, c’est l’incapacité à se figurer le désir de l’autre. C’est le fait que la passion éphémère d’un mariage laisse nécessairement place à une routine, à cette atmosphère lourde préfigurant l’orage. Le mari met donc tout en place pour prévoir cet orage afin de le maîtriser, de s’en prémunir. Sans succès. Tout cela se retourne contre lui. La mise en scène de l’adultère ne peut qu’échouer à neutraliser le désir féminin pensé comme fondamentalement étranger et imprévisible. D’où la répétition des mêmes scènes, de mêmes tentatives. La sphère virtuelle et utopique de la pornographie, représentant les désirs du mari blanc, se heurte à la réalité de la non-correspondance entre son désir et celui de l’autre, à savoir la femme, les autres hommes, les étrangers.

L’œil du mari blanc trompé

https://fr.xhamster.com/videos/hubby-sharing-beautiful-blonde-wife-with-lucky-blac-man-pt-1-11421987

Depuis l’invention de la photographie, on revendique le caractère objectif de l’image capturée : elle reproduit ce qui est perçu par nos yeux à l’identique. Il est pourtant évident que selon le point de vue du photographe ou du cameraman, l’image est toujours un discours qui tente de se dissimuler. Linda Williams montre que dans cette conquête du désir visible, nous sommes amenés à « confesser » notre désir et à en exagérer la manifestation tout en l’alignant sur le désir d’autrui. Dans sa « frénésie du visible » (« frenzy of the visible ») la pornographie détermine la visibilité comme le critère de validation scientifique fondamental calibré sur le sexe et l’orgasme masculin (Williams 1999).
Or, le sexe et l’orgasme de la femme sont pornographiquement invisibles. Le male gaze (regard masculin) qui parcourt le corps de la femme et de l’homme noir dans la vidéo ci-dessus, se frustre de ne pas être en capacité de les anéantir rien qu’en les regardant. Le regard du mari est celui d’une attraction-répulsion, d’un amour doublé de haine. Il croit détenir la preuve d’une dissociation entre une extériorité pudique et une nature profondément perverse, animale de la femme.
Le déficit de masculinité du cuck est donc largement compensé par la caméra qu’il tient entre les mains et dont la trajectoire est, par définition, rectiligne. Le regard se substitue au phallus et se focalise systématiquement sur le sexe de la femme pénétré par celui de l’amant. Ce dernier apparaît d’ailleurs en tant qu’objet plutôt qu’en tant que personnage : il se réduit presque à la bite qu’il fait entrer dans l’épouse, et qui lui permet de la convertir à la perversion que lui prête le mari. Cette perversion, c’est celle d’une jouissance bestiale, épurée de tout sentiment. C’est donc peu étonnant en un sens, que l’amant qui animalise l’épouse du mari soit si fréquemment un homme noir.

Ken Moody, photographié par Robert Mapplethorpe

[/« Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir
magique et délicieux de réfléchir une image de l’homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle. […] Les miroirs peuvent avoir de multiples visages dans les sociétés civilisées ; ils sont en tout cas indispensables à qui veut agir avec violence ou héroïsme. »
/]

[/Virginia Woolf, Une Chambre à soi/]

En associant le corps de la femme à un miroir donnant à l’homme la fierté vaniteuse qui le conforte dans ses actes de domination, Viriginia Woolf formule déjà, à sa manière, le concept du male gaze issu des Porn Studies. Et elle nous aide à comprendre comment, paradoxalement, le mari trompé à la virilité bafouée est le véritable dominateur de la scène. Son regard de « civilisé » vient se poser sur l’épouse et sur l’homme noir pour les transformer en bêtes sauvages. Il peut ainsi justifier la domination qu’il cherche à exercer sur eux. Par la vidéo, il obtient une preuve rémanente de leur immoralité.

« when you go black, you never go back »

Cette punch line de Lil Wayne issue de « Knock out », titre sorti en 2010, est devenu un dicton populaire sur les réseaux sociaux et les forums. Le rap est d’ailleurs un élément parmi d’autres de la pop culture où les fantasmes concernant la sexualité des hommes noirs sont cultivés.

L’industrie du porno reproduit et diffuse largement ces mêmes Clichés en les exagérant. Il est frappant de constater que, même derrière la caméra, la sexualité des hommes noirs est fantasmée par des hommes blancs hétérosexuels. Elle constitue également pour eux un complexe. Aurora Snow, ancienne Porn Star raconte qu’un de ses copains de l’époque lui avait interdit de tourner avec des hommes noirs :

[/You do black guys ?! It was more of an accusation than a question. I didn’t see the issue ; that was just another aspect of my job. If I wanted to keep dating him, I’d have to give up banging the black guys at work. I laughed so hard when he offered up this ridiculous ultimatum. It wasn’t black and white—it was sex work. And he was clearly OK with that component [...] Calling him out on the discrimination was offensive, he said. He preferred to call it an “insecurity”, claiming a deep dark fear of never measuring up./]

[/(Snow 2017 [2] )./]

L’attraction-répulsion éprouvée par les hommes blancs pour le sexe des noirs provient du désir présumé qu’en ont femmes. Les hommes accordent aux femmes cette instabilité qui les terrifie et qui va forcément aboutir à l’adultère. Ils leur attribuent donc un attrait pour les gros sexes, pour les sexes « exotiques ». Dans cette optique, toutes les femmes sont des « putes à nègre » potentielles. Misogynie et racisme, dont Elsa Dorlin a montré l’intrication historique (Dorlin 2009) [3], sont ici indissociables. La théorie du grand remplacement est une formulation politique de ce complexe sexuel : la crainte de voir l’humanité toute entière se métisser, la peur de se confondre dans l’altérité [4].

De plus, la fascination des blancs pour la sexualité des noirs se nourrit d’un ensemble d’intentions et de caractères qui leur sont prêtés : la violence, la fourberie, l’instabilité affective comme sexuelle, voire la nymphomanie. Finalement, le mari accuse l’épouse et son bull noir de la même perversion, une perversion dont il cherche à se détacher en tant qu’homme « civilisé » [5]. C’est également ce qu’a montré récemment le podcast d’Ilham Maad qui compile des messages audios de policiers à Rouen sur un groupe whatsapp dont voici un extrait :

[/« De toute façon les gonzesses ne veulent pas de mecs bien donc tant pis. Elles prennent le dalleux nègre qui les saute et puis qui les lâche après, une fois qu’il a trouvé mieux. Tant pis, tant pis pour elles, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? »/]

[/podcast d’Ilham Maad/]

Le fait que ces propos sont tenus par des policiers n’est évidemment pas à négliger : la pornographie s’est toujours nourrie des personnages en uniformes, qu’ils soient flics, pompiers ou médecins. L’uniforme représente une masculinité exacerbée dont l’autorité supporte mal d’être contestée. Les policiers sont ici les gardiens d’un ordre hétéronormé et blanc. Ils perpétuent le mythe de la virilité noire en tant que sauvage et délinquante [6].

Cette hypersexualisation du corps du noir n’est pas une pure création cynique de la pornographie, elle habite nos imaginaires sexuels. Pour certains, c’est la colonisation qui a construit ce « monstrueux préjugé visant à rabaisser les Noirs au rang de bêtes, dotées à la place du cerveau, d’un pénis " démesurément long " » (Bilé 2005). Nous pensons plutôt que dans la rencontre avec l’Autre, l’intérêt et la fascination se mêlent au dégoût et au rejet. La sexualité est un endroit où l’on ne distingue pas clairement ces dimensions, comme l’ont si bien dit Alain Naze et Alain Brossat :

[/Il y a toujours, dans la sexualité, une dimension du jeu, une tentation de se désassigner et de chercher des lignes de fuite ou des passages à la limite.Qu’elle se présente sur le mode de la séduction, de la provocation, de l’incitation, de la perversion – elle est indissociable de la production d’un trouble, elle joue avec la désorientation, le dédoublement./]

[/(Brossat et Naze 2019)/]

Il est apparemment contradictoire d’érotiser l’homme noir, d’en faire un objet de désir et de fantasme, corps viril par excellence, et de dire qu’il est inférieur et qu’il faut l’éliminer comme c’est le cas des policiers de Rouen et des suprémacistes blancs. L’animalisation du corps des noirs est une des solutions trouvées par la pensée coloniale à la crise de la virilité de l’homme blanc. Mais dans le domaine de la sexualité, nous avons besoin d’un autre niveau d’analyse. Dans la sexualité, les affects se mélangent. Beaucoup de choses excitantes peuvent être catégorisées comme racistes ou misogynes, ce trouble faisant osciller les émotions entre un plaisir coupable et une haine jalouse. Il n’y a pour nous aucune incohérence à détester ce que l’on désire et c’est particulièrement flagrant dans le cuckolding  : on parle bien d’un mari qui s’excite de ce dont il a le plus peur à savoir : l’étranger, l’adultère.

Cuckolding et bisexualité

Pourquoi est-ce toujours le mari qui est trompé ? Pourquoi les vidéos dans lesquelles l’homme trompe sa femme ne sont-elles pas considérées, à proprement parler, comme du cuckolding ? Et surtout, pourquoi sont-elles presque toujours doublées d’une bisexualité féminine ouvrant sur un plan à trois où l’amante, le mari et la femme finissent réconciliés [7], alors que dans le cuckolding, loin d’être réconcilié avec l’amant ou avec sa femme, le mari est généralement dominé, voire humilié ?
Parce que dans la mythologie pornographique, il n’y a pas de femmes cocues. Le personnage du cocu, c’est toujours le père de famille blanc dont le contrat de mariage vaut pour titre de propriété. Le cuckolding, c’est le mythe de la masculinité trahie, et les cucks, pris ensemble, forment la grande confrérie des maris légitimes, construite en opposition à une gent féminine indigne de confiance. Du point de vue masochiste, il s’apparente à un rituel conservateur, une méthode de gouvernement et d’ordonnancement du féminin par l’association des maris trompés : il n’est concevable de « prêter » sa femme que si on la possède et qu’on décide pour elle.

[/À la Renaissance, les hommes n’ont pas peur d’être cocus : le cocuage parle du compagnonnage, c’est-à-dire d’un univers saturé de masculinité. (…) Les hommes cultivent la nostalgie d’une identité sexuelle plus favorable à l’amitié entre hommes, telle qu’elle existait encore au Moyen-Age. Ceci dans un contexte de forte misogynie et de mépris du mariage – car le mariage est tout sauf un lien d’homme à homme. Montaigne distingue les « amitiés communes », accessibles à tous et à toutes, et la « parfaite amitié », que seuls les hommes peuvent éprouver./]

[/(Daumas 2008)/]

Pourtant, en regardant les productions du porno mainstream, le cuckolding renvoie incontestablement à un déficit de masculinité, et non à la complicité entre hommes décrite par Maurice Daumas. Il y a certes encore la survivance d’une communauté d’hommes respectables, mais à la différence des rites orgiaques ou du compagnonnage, le fait d’être cocu se fait toujours au détriment de la masculinité, de l’érection, de la fécondité. Dans les films pornos, le mari peut occasionnellement participer aux ébats, mais toujours en manifestant une moindre capacité sexuelle. Le bon compagnon des œuvres paillardes et du folklore semble avoir disparu.

Malgré tout, la bisexualité masculine est étonnamment fréquente dans le candaulisme. Elle semble être vécue comme une exploration hétérosexuelle de l’homosexualité, dépourvue de sentiments amoureux et de réelle attirance physique au profit du seul phallus, fétiche mystérieux marquant une similarité entre le mari et celui qui aurait dû rester un étranger, un inconnu. Il est important pour nous de ne pas dévaloriser cette spécificité du cuckolding, à savoir un certain penchant pour la bisexualité masculine, et une affinité graphique avec les pratiques qui y sont rattachées. À tout moment, même en dehors des vidéos bi, un imprévu peut venir troubler l’amant et le mari : la femme qui les fait se toucher, une caresse involontaire entre les deux hommes, un «  friendly fire [8] »… Bien sûr, le discours reste stéréotypé et relativement pauvre. Mais le cuckolding constitue l’un des rares points d’entrée sur une homosexualité masculine encore visuellement choquante pour nombre d’utilisateurs masculins hétéro.

La surenchère : femdom, cum clean up, gang bang

Les pratiques femdom [9] font partie intégrante du cuckolding tel qu’il est produit dans les studios de production, un peu moins dans le porno amateur. Souvent, dans le script, la femme parle au mari afin de lui dire à quel point la bite de son amant est plus grosse et plus raide que la sienne et à quel point elle s’ennuie avec lui d’habitude. Le mari est fréquemment forcé de lécher les pieds de sa femme pendant l’acte, de sucer l’amant à contrecœur, parfois en deep throat [10]. Elle peut cracher sur son mari, lui donner des petites gifles ou le forcer à lécher l’anus de son amant alors qu’elle se fait prendre.

On retrouvera, occasionnellement, toute la sophistication SM avec les costumes en cuir, les laisses, les menottes, les talons aiguilles pouvant être écrasés sur le torse du mari. On ne s’étonnera pas que l’amant ne soit presque jamais affublé de costumes ni ne fasse preuve de sadisme : les accessoires se concentrent sur le mari et sur l’épouse sadique, l’amant n’étant guère plus qu’un accessoire. Là encore, réduit à la vigueur de son érection, il n’est jamais au centre de l’image. Il parle très peu, mais agit beaucoup, vecteur finalement assez neutre d’une vengeance de l’épouse contre le couple traditionnel vécu comme une instance coercitive contre laquelle on se révolte.

Le « cum clean up » est un dénouement assez fréquent de ces vidéos rugueuses : l’amant éjacule et le cocu doit « nettoyer » l’orifice de sa femme avec la langue, que ce soit pour son propre plaisir ou parce qu’il y est forcé.

[/La souillure n’est jamais un phénomène isolé. Elle n’existe que par rapport à l’ordonnance systématique des idées. (…) Les notions de pollution n’ont de sens que dans le contexte d’une structure totale de la pensée dont la clé de voûte, les limites, les marges et les cheminements internes sont liés les uns aux autres par les rites de séparation./]

[/ (Douglas et De Heusch 1971) : 61/]

Le couple est alors « pollué », souillé par un sperme étranger, poussé dans ses derniers retranchements moraux. C’est un délire apocalyptique, une démence momentanée qui n’est autre qu’un renversement exaltant de l’ordre des choses, et qui précède évidemment la restitution d’une domination normale et habituelle du mari. Les limites (ici l’infidélité et l’humiliation) posées par tout système de gouvernement ou ordonnancement du réel (ici le couple) ne sont donc pas seulement des actes répréhensibles et dangereux. En effet, on peut avoir des limites, toujours selon Douglas, une utilisation bénéfique au maintien et au renforcement du système en crise. L’idée de souillure n’est donc pas à identifier à celle de déchet pur, mais à son recyclage par le système qui l’incorpore, capacité à maîtriser l’énergie créatrice du désordre. Le sperme de l’amant ingéré par le mari est donc à la fois une mise en scène de l’outrance, du pire, du cauchemar, de l’insurrection et du soulèvement, et à la fois leur neutralisation, la limite des limites, le recyclage des idées nouvelles, la conversion de l’altérité au même.

Le gang bang [11], ultime surenchère du cuckolding, est ambivalent. Il prolonge le fantasme hétéro d’imaginer la femme comme une bête de sexe qui n’a de sentiments que pour son mari, et qui pourrait coucher avec n’importe qui dès lors qu’il s’agit de ses pulsions sexuelles. Cependant, il est également possible de considérer le gang bang comme la surenchère de la souffrance infligée au mari. Le plaisir du masochiste réside dans une dénégation, un surpassement d’une réalité maladive faite de refoulements et de petites lâchetés. Ce n’est pas pour rien que les hommes conservateurs « sont plus susceptibles de fantasmer sur le fait de partager leur femme », selon le titre d’un article fort instructif du Washingtonpost [12].

Conclusion

Dans le podcast de Ilham Maad, les flics de Rouen se préparent clairement à entrer en guerre avec leurs fusils pour une question qui commence dans leur slip. D’où l’urgence de notre côté, à accorder de l’importance aux questions sexuelles. Il nous paraît important de ne pas se réfugier dans un dégoût de principe qui rendrait toute analyse pornographique impossible. La pornographie n’est pas à reléguer dans le domaine de la déviance ou de l’intime ; elle produit un discours politique et un imaginaire sexuel coercitifs plus puissant que n’importe quel corps de gendarmerie.

Or, nous avons trouvé que le cuckolding était un bon panorama de ce qui se fait en pornographie de nos jours : outre les méthodes de tournage qui sont à la fois les plus dépouillées et les plus actuelles, on lui associe une grande variété de tags comme « BBC », « amateur », « bisex », « SM », « femdom »… Il y en a pour tous les goûts. D’autant plus que les trois personnages qui composent toutes les vidéos de ce genre, à savoir le mari, l’épouse et l’étranger, permettent de mettre en lumière les implications politiques et sexuelles des images diffusées par les plateformes de porno en ligne. Du pain béni.

Les ficelles que nous avons essayé de démêler nous ont exclusivement amenés sur le terrain d’une pornographie grand public, celle qui est disponible gratuitement sur les plateformes. Bien que ces représentations ont un réel impact sur la constitution des imaginaires sexuels, cela ne doit nous faire oublier qu’il existe d’autres pornographies et d’autres représentations possibles des corps et de la sexualité.

La pornographie a une grande part de responsabilité dans l’élaboration d’un discours hostile à la sexualité et dans l’élaboration des rôles sexuels assignés aux individus en fonction de leur identité : couleur de peau, genre, orientation sexuelle, niveau de richesse, âge, etc. Mais la pornographie n’est que l’aspect le plus vulgaire et le plus minimal de normes diffuses et omniprésentes, que ce soit dans les romances et les films d’action sur Netflix, les jeux Playmobile, les pubs de parfum sur les arrêts de bus, les chansons à la radio ou encore les livres, qu’il s’agisse d’un roman de gare ou d’un chef-d’œuvre classique. Y a-t-il une grande différence entre les codes visuels du porno et le discours que les conservateurs de droite continuent à tenir sur le mariage, la fidélité ou l’insécurité ? Finalement, ce que nous croyons avoir découvert grâce au cuckolding, notre culture et notre environnement nous l’ont toujours martelé : seul l’amour compte, la sexualité n’est que désordre et consommation.

Astou Sow et Johann Kraus

BIBLIOGRAPHIE

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PETIT LEXIQUE DU PORNOLOGUE DÉBUTANT

AMATEUR – à mettre en opposition au porno produit par des studios à gros budget, même si la distinction peut être floue. Désigne les productions non-professionnelles, qu’elles soient domestiques ou produites par des équipes de tournage aux faibles moyens.

CLOSE UP – « gros plan » en français. Technique de tournage qui, à elle seule, suffirait presque à décréter qu’une vidéo est pornographique. Toute la pornographie est construite autour du gros plan qui focalise le regard sur la génitalité des acteurs et qui réduit la sexualité aux sexes et aux orifices. Le gros plan bloque le regard, il le verrouille en coupant le corps en plusieurs partie, un peu comme des carcasses d’animaux. Prenons les films érotiques, et même les films ayant des images de sexe explicite comme L’empire des sens de Nagisa Ōshima : comme le close up y est moins présent, la nature du regard est plus esthétique que sexuelle.

CREAMPIE – « tarte à la crème » en français. Désigne une éjaculation interne, anale ou vaginale.

CUCKOLDING – le fait de mettre en scène la tromperie d’une épouse en présence de son mari.

CUMKISS - « baiser au sperme » en français. Explicite, donc. Il peut s’agir d’un homme hétéro embrassant sa partenaire après une éjaculation buccale, mais le plus souvent, le cumkiss est une spécialité du plan à trois ou du cuckolding.

CUMSHOT – « éjaculation » en français. Linda Williams la nomme quant à elle le « money shot », peut-être pour la rapprocher du « money time », à savoir le moment où tout se joue, qui rapporte le plus. Car il faut savoir qu’il s’agit là d’une véritable structure narrative et visuelle du porno. Bien souvent, l’éjaculation marque la fin de la vidéo, et sa destination est l’un des critères principaux pour la classification des vidéos. Dans la bouche, sur le visage, dans le cheveux, sur les seins, dans un verre...

CUM SWAPPING – Le fait de lécher le sperme qui sort de l’anus ou du vagin du ou de la partenaire. On a aussi le « cum clean up  » qui consiste pour le mari à « nettoyer » le vagin ou l’anus de sa femme après que celle-ci l’ait trompé avec un bel étalon.

DEEP THROAT — « gorge profonde » en français,. C’est aussi le titre d’un film de Damiano qui a fait entrer la pornographie dans la pop culture par son succès. Plus tard, l’actrice Linda Lovelace ayant joué le rôle principal accusera le réalisateur de viol, ce qui relancera les débats sur les conditions de travail déplorables des actrices pornographiques.

FACE SITTING – Le fait de s’asseoir sur le visage de son partenaire pour s’y frotter allègrement. Pratique rattachée à la domination.

GONZO – C’est désormais le genre pornographique le plus répandu. Il consiste en une absence de scénario, si ce n’est une phrase introductive ou un dialogue très court pour introduire les personnages. Souvent filmé en POV c’est-à-dire en première personne, mais pas nécessairement. Au départ, le terme désignait surtout les vidéos amateur, crades, avec des acteurs pervers aux colliers de barbe inquiétants. Mais vu le succès de ce format, même les studios ont dû s’adapter et il constitue désormais la forme la plus répandue de porno en ligne.

HQHigh Quality, « HD » en français HD (Haute Définition). Enjeu important pour les plateformes de streaming que celui de la HQ puisque ce type de vidéo est habituellement réservé aux utilisateurs premium. Toutefois, on en trouve beaucoup gratuitement même si c’est souvent les mêmes vidéos qui reviennent. L’image est caractérisée par un sentimentalisme, un rendu finalement assez kitsch et des acteurs aux physiques de rêve.

MMFMale, Male, Female (homme, femme, femme), utilisé pour préciser la composition d’un threesome

(plan à trois).

PORNO CHIC – Porno généralement tourné en HD, souvent aseptisé, basé sur l’affection et le respect mutuels des acteurs. Le « porno féminin » est une catégorie courante du porno chic, qui semble supposer que le désir féminin ne peut exister que dans une sexualité à l’eau de rose.

PORNO MAINSTREAM – Porno grand public, celui qui jouit de la plus grande diffusion, celui qui est consommé le plus massivement et celui qui a le plus d’influence sur l’imaginaire sexuel humain. Désigne aussi bien les productions professionnelles, qu’amateur, hétérosexuelles ou homosexuelles.

POST PORN – ou porno alternatif, ou porno militant. Définition compliquée à fournir car il désigne une grande pluralité d’approches et de pratiques, pouvant néanmoins se rejoindre dans le rejet de la sexualité telle que présentée par le porno mainstream

. Il y a du post-porn lesbien, gay, queer, hétéro, trans, BDSM...

POV – Point of View, qu’il faut traduire en français par « vidéo à première personne ». Méthode de tournage où l’acteur tient la caméra. Évidemment, celui qui tient la caméra est presque toujours un homme. Le POV est omniprésent dans le porno hétéro, un peu moins dans le porno lesbien ou gay.

RIMJOB – annulingus administré spécifiquement à un homme par une femme, généralement lors d’un handjob ou d’une fellation.

TAG – Méthode d’agrégation des données pornographiques qui a succédé aux moteurs de recherche classique et au système suranné des fameuses catégories pornographiques. Les utilisateurs taguent les vidéos qu’ils postent pour que les autres internautes puissent les retrouver en entrant les spécificités ainsi soulignées dans le moteur de recherche. Cette méthode d’agrégation des données a des conséquences directes sur la localisation des fantasmes de l’utilisateur et influence directement la production amateur qui cherchera à produire des vidéos en fonction des tags les plus recherchés et les plus fréquemment combinés.

THREESOME - « plan à trois », en français.

TUBE – méthode d’agrégation des données consistant en un système de chaînes, entretenues par les utilisateurs eux-mêmes. Le mot compose souvent t les noms des plateformes de porno en ligne. Cette forme de distribution numérique se caractérise par une forte centralisation des vidéos sur le serveur, par la diversité des contenus proposés : cela peut-être un studio à gros budget comme un amateur ou un site de porno indépendant qui vient poster un extrait de vidéo pour faire sa promo.

UTILISATEUR – Nous utilisons ce mot pour désigner celle ou celui qui regarde un contenu pornographique. Nous avons choisi le terme « utilisateur » plutôt que « consommateur » ou « spectateur », afin de mettre en avant la nature proprement sexuelle du regard. La pornographie est un support à la masturbation et non pas une œuvre d’art, bien que ces critères soient très relatifs aux époques du matériel et/ou du visionnage.

[2« Tu le fais avec des noirs ? C’était plus une accusation qu’une question. Je ne voyais pas le problème ; c’était juste un autre aspect de mon travail. Si je voulais continuer de le voir, je devais arrêter de coucher avec des mecs noirs au travail. J’ai ri si fort quand il m’a lancé cet ultimatum ridicule. Ce n’était pas une question de noir ou blanc, c’était une question de travail. Et là-dessus, il était clairement OK avec ça. Il disait que l’accuser de racisme était offensant. Il préférait appeler ça « insécurité », en prétextant une peur de ne jamais être à la hauteur. »

[3Elsa Dorlin que c’est une de ces "crises de la rationalité dominante", une de ces incohérences qui ont donné du fil à retordre à l’élaboration d’une pensée sexiste et racialiste (Dorlin 2009)

[4À ce propos voire l’article de Tati-Gabrielle « De Tricks au Grand Remplacement : politique et homosexualité chez Renaud Camus » sur le site trounoir.org qui montre bien la continuité entre sexualité et théorie politique.

[5Nous vous renvoyons ici au travail d’Elsa Dorlin sur la connivence entre misogynie et racisme. Dorlin, 2009

[6Cf. tous les scénarios de films pornos où les hommes noirs sont habillés en cambrioleurs, en survêtements, etc.. https://fr.pornhub.com/view_video.php?viewkey=ph59641238d45be

[8tag désignant les vidéos dans lesquelles un homme reçoit involontairement le sperme d’un autre homme, généralement lors d’un plan à trois

[9Contraction de l’anglais feminine domination – domination féminine

[10Gorge profonde en anglais. C’est aussi le nom d’une catégorie.

[11Terme désignant une pratique sexuelle : trois hommes minimum sur une seule femme.